3 novembre 1960
Dossiers n° 3649
la Cour.
Vu le mémoire déposé par la demanderesse le 9 juillet 1959, mais écartant des débats le
mémoire en réponse tradivement produit par les défenseurs le 12 octobre 1960 ;
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION, pris en ses deux branches, de la « violation de
l'article 3 du Code d'instruction criminelle, et de l'article 12 du dahir du 10 février 1959, formant Code de procédure pénale en ce que le jugement attaqué, confirmatif du jugement du tribunal de paix de Meknès du 17 février 1959, après avoir admis que le prévenu était décédé en cours d'instance, a
jugé que la juridiction répressive était incompétente pour connaître de l'action civile exercée par Ag Aa Ak, alors que, d'une part, la preuve n'aurait pas été régulièrement rapportée au dossier du décès du prévenu Ac Aa Ai Aa Am ; et alors que, d'autre part, même en admettant que le prévenu soit décédé en cours d'instance, la juridiction répressive régulièrement saisie au moment de la constitution de partie civile de Ag Aa Ak, serait demeurée compétente pour connaître de l'action civile, même en cas d'extinction de l'action publique pour une quelconque» ;
Attendu que le jugement attaqué a déclaré qu'il résultait « des éléments de la cause que Ac Aa Ai était décédé » ; que cette constatation des juges du fond, d'ailleurs non combattue par une preuve quelconque, ne saurait être remise en question devant la Cour suprême, au contrôle de laquelle échappent leurs appréciations des éléments de fait régulièrement produits aux débats, contradictoirement discutés et sur lesquels s'est formée leur conviction ;
Attendu d'autre part que la décision attaquée, en relevant que le décès du prévenu s'était produit « avant tout jugement sur le fond », a pris soin de préciser « qu'aucune citation ne lui avait été délivrée avant son décès » ; qu'il ressort des dispositions de l'article 393 du Code de procédure pénale qu'une telle citation était indispensable pour saisir le tribunal ;
Attendu que si, en vertu de l'article 12 du même Code, la juridiction répressive reste, en cas de survenance d'événements éteignant l'action publique, compétente pour connaître de l'action civile, c'est nécessairement à la condition qu'elle ait été, avant la survenance desdits événements, régulièrement saisie de ces actions ;
Attendu qu'en l'absence de citation délivrée au prévenu avant son décès il incombait au tribunal, non de déclarer l'action publique éteinte, mais de constater son défaut de saisine quant à l'action publique, et par voie de conséquence son incompétence pour statuer sur l'action civile ;
Que dès lors, en se déclarant incompétence pour statuer sur la demande de Ag Aa Ak, dont il ne pouvait connaître qu'accessoirement à l'action publique, le tribunal correctionnel de Méknès, loin d'avoir violé les dispositions visées au moyen, en a fait exacte application ;
PAR CES MOTIFS
Qui se substituent pour partie à ceux de la décision attaquée,
Rejette le pourvoi formé par Ag Aa Ak contre le jugement du tribunal de première instance de Mèknès du 25 juin 1959 ;
Ordonne toutefois la transcription du présent arrêt sur les registres du greffe du tribunal de première instance de Mèknès et sa mention en marge ou à la suite du jugement dont les motifs donnent lieu à substitution partielle.
Président : M. Aj. -Rapporteur : M. Ab. -Avocat général : M. Ah. -Avocats :MM. Portet, Da Costa.
Observations.
I.- Sur le premier point : V. la note, premier point, sous l'arrêt n° 725 du 27 oct. 1960.
II.- Sur le deuxième point : V. la note, septième point, sous l'arrêt n° 726 du 27 oct. 1960. III.- Sur le troisième point : Sous l'empire du C. instr.crim., lorsque le décès du prévenu
survenait avant tout jugement sur le fond, la juridiction répressive devenait incompétente pour
connaître de l'action civile (Crim. 29 oct. 1898, B.C. 270 ; 1er juil. 1899, B.C. 188 ; 7 mars 1936, D.H. 1936. 238 ; 13 janv 1955, B.C. 29). Elle demeurait au contraire compétente lorsque le décès survenait soit au cours de l'instance d'appel (Crim. 18 févr. 1915, D.P. 1919. 1. 71 ; 7 nov. 1946, D. 1947. 29 ; 5 août 1952, D. 1952. 654 ; 27 mars 1954, B.C. 89 ; Le Poittevin, Art. 2, n° 37 s. et les arrêts cités).
Le C. proc.pén., dans son art. 12, prévoit que « lorsque la juridiction répressive est saisie de l'action publique et de l'action civile, la survenance d'événements éteignant l'action publique laisse subsister l'action civile qui reste soumise à la compétence de cette juridiction ».
Il suffit donc, pour que la juridiction répressive demeure compétente sur l'action civile, qu'elle ait été saisie des deux actions, publique et civile, avant le décès du prévenu.
Les art. 366, 393 et 419 C. proc.pén., qui renvoient à l'art. 393, fixent les modes de saisine des tribunaux de paix et du sadad, des tribunaux de première instance et régionaux. Le tribunal est saisi notamment « par la citation directe que le ministère public ou la partie civile délivre au prévenu, et s'il y a lieu, aux personnes civilement responsables ».
Le ministère public ne met en mouvement que l'action publique (art. 2, al. 2, C. proc.pén.). la constitution de partie civile, au contraire, met en mouvement à la fois l'action publique et l'action civile (art. 2, al. 3 et art. 7 C. proc.pén. ; v. sous l'empire du C. instr.crim. : Crim. 27 juin 1811, B.C. 95 ; 11 août 1881, B.C. 198, D.P. 1884. 5. 279 ; 8 déc. 1906, B.C. 443, B.P. 1907. 1. 207, S. 1907. 1. 376 et la note de M. Ae ; 15 nov. 1945, B.C. 112 ; Le Poittevin, art. 1er, n° 26 ; Germain, la partie civile et la mise en mouvement de l'action publique, thèse, Dijoin, 1933).
Lorsque le prévenu décède avant la saisine de la juridiction répressive, et notamment avant toute citation, les dispositions de l'art. 12 C. proc.pén. ne peuvent recevoir application. La juridiction doit simplement constater son défaut de saisine quant à l'action publique et se déclarer incompétente pour connaître de l'action civile (Dans le sens de la décision rapportée, v. l'arrêt n° 838 du 16 mars 1961, publié dans ce volume).
Au contraire, en cas de décès du prévenu au cours de l'instance d'appel, la juridiction répressive du second degré doit, comme sous l'empire du C. intr.crim., se borner, au point de vue pénal de vue pénal, à déclarer l'action publique éteinte et, relativement à l'action civile, statuer sur cette action qui continue à être soumise à sa compétence (Arrêt n° 832 du 2 mars 1961, publié dans ce volume).
IV.- Sur les quatrième et cinquième points : Le pourvoi en cassation avait été formé par la partie civile contre un jugement par lequel le tribunal s'était, à bon droit, déclaré incompétent pour connaître de son action civile en raison du décès du prévenu, survenu avant toute saisine.
Le dispositif du jugement était donc légalement justifié et le pourvoi ne pouvait qu'être rejeté.
En effet « la violation de la loi dans le dispositif même de l'arrêt pouvant seule motiver la cassation, la Cour rejette le pourvoi si, malgré les erreurs de doctrine qui peuvent avoir été commises, la décision se trouve justifiée, soit par les faits relevés, soit par d'autres motifs de droit qui y sont énoncés, soit même par un motif de pur droit qui n'a pas été examiné, mais qu'il lui appartient de supplées, quand elle trouve dans l'arrêt même toutes les circonstances de fait, dont elle n'a plus qu'à tirer les conséquences légales » (Faye n° 61). En ce qui concerne les motifs que peut suppléer la juridiction de cassation, v. Rép.pr.civ., V° Cassation, par Af Ad, n° 1460, 2180 s. ; Nouv.rép., V° Cassation, n° 245 ; Le Clec'h, Fasc. IV, n° 226 s.
La Cour ordonne cependant, en raison de l'erreur de droit commise par le tribunal, la substitution de ses motifs à ceux de la décision déférée, ainsi que la transcription de son arrêt sur les registres du greffe du tribunal ayant rendu la décision attaquée.
Sur la substitution de motifs par la juridiction de cassation, v. Faye n° 113 ; Rép.pr.civ., V° Cassation, par Af Ad, n° 2183 ; Al et Levasseur, 2, n° 859 ; arrêts n° 547 du 11 févr. 1960, Rec.crim.t.l. 212 et 687 du 30 juin 1960, ibid. 319.