3 novembre 1960
Dossier n° 5483
La Cour,
Vu Le mémoire du demandeur déposé le 12 avril 1960 mais écartant des débats le mémoire en
réponse tardivement produit au nom de la défenderesse le 8 août 1960 ;
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION, violation des articles 2 de la loi du 23 juillet
1942 et du dahir du 12 janvier 1943, défaut de motifs et manque de base légale ; Vu lesdits articles ;
Attendu que le délit d'abandon de famille n'est constitué qu'autant que le défaut de paiement
est volontaire ; que si le défaut de paiement est, aux termes de la loi, présumé volontaire, cette présomption ne saurait dispenser les juges du fond de motiver sur ce point leur décision, ne fût-ce qu'en affirmant le caractère volontaire du non-paiement, ou en réfutant les arguments que le prévenu aurait invoqués pour dénier ce caractère ;
D'où il suit qu'en s'abstenant de déterminer le caractère volontaire du défaut de paiement qui a motivé la condamnation à l'amende et aux dommages-intérêts qu'ils prononçaient contre Lam.., les juges d'appel n'ont pas donné de base légale à leur décision ;
PAR CES MOTIFS
Casse et annule entre les parties en toutes ses dispositions pénales et civiles le jugement rendu
le 15 mars 1960 par le tribunal de première instance de Casablanca ;
Et pour être à nouveau statué conformément à la loi, renvoie la cause et les parties devant le
même tribunal autrement composé.
Président : M Ad . - Rapporteur : M. Ab . - Avocat général : M Ruolt - Avocats : MM. Zunino, Motion.
Observations
I. -Sur le premier point : V. la note, premier point, sous l'arrêt n° 725 du 27 oct. 1960.
II.- Sur le deuxième, troisième et quatrième points : Sur le manque de base légale, v. la note,
troisième point, sous l'arrêt n° 732 du 3 nov. 1960.
Aux termes de l'article 2 de la loi du 23 juill. 1942 relative à l'abandon de famille, r. a. Dh. 12
janv. 1943, « sera punie d'un emprisonnement de trois mois à un an ou d'une amende de 20 000 francs à 400 000 francs toute personne qui, au mépris d'une décision rendue contre elle, en vertu du paragraphe 3 de l'article 214 du Code civil, ou en méconnaissance d'une ordonnance ou d'un jugement l'ayant condamnée à verser une pension alimentaire à son conjoint, à ses ascendants, à ses descendants, sera volontairement demeurée plus de deux mois sans fournir la totalité des subsides déterminés par le juge ni acquitter le montant intégral de la pension ».
« Le défaut de paiement sera présumé volontaire sauf preuve contraire. L'insolvabilité qui résulte de l'inconduite habituelle, de la paresse ou de l'ivrognerie ne sera en aucun cas un motif d'excuse valable pour le débiteur ».
« En cas de récidive, la peine de l'emprisonnement sera toujours prononcée».
Les éléments constitutifs du délit d'abandon de famille (abandon pécuniaire) sont au nombre de quatre :
1) Il faut une décision de justice accordant une pension alimentaire ;
2) La pension alimentaire doit avoir été accordée à un conjoint, à un ascendant ou à un descendant ;
3) Le prévenu doit être resté plus de deux mois sans fournir la totalité des subsides déterminés par le juge ou acquitter le montant intégral de la pension. Ce délai doit être écoulé avant le commencement des poursuites (Crim. 26 nov. 1932, S. 1934. 1. 197) ;
4) Il faut une intention coupable.
Aux termes de la loi « Le défaut de paiement sera présumé volontaire sauf preuve contraire ». Il appartient donc au prévenu de faire la preuve du caractère involontaire de l'abstention (Crim.
16 nov. 1954, D. 1955. 26).
Il a été jugé que se rend coupable du délit, l'individu qui s'est rendu volontairement insolvable
(Crim. 30 mars 1939, Gaz. Pal. 1939. 1. 921) ou celui qui ne rapporte pas la preuve de son insolvabilité (Crim. 16 nov. 1954 précité) ou celui qui affirme seulement ne posséder aucun bien et
qui ne fait pas la preuve de l'impossibilité absolue où il se trouve de payer la pension à laquelle il a été condamné (Crim. 13 oct. 1955, D. 1955. 738,Gaz. Pal. 1955. 2. 355).
Mais la présomption légale susvisée ne dispense pas les juges du fond, en cette matière comme en toute autre, de motiver leur décision sur l'élément intentionnel du délit.
Ils peuvent, pour caractériser la mauvaise foi du prévenu, simplement affirmer le caractère volontaire du défaut de paiement de la pension. (Crim. 19 mai 1931, B.C 198 ; 20 avr. 1934, B.C. 82). Ainsi, la décision qui énonce que le prévenu a bien commis les faits qui lui sont reprochés alors que l'énoncé de ces faits dans la prévention comporte le mot « volontairement » caractérise le défaut volontaire de paiement de la pension.(Arrêt n° 893 du 22 juin 1961, publié dans ce volume) .
L'existence de l'élément intentionnel du délit peut également être déduite de ce que les juges du fond ont réfuté les arguments invoqués par le prévenu pour dénier tout caractère volontaire au défaut de paiement. Ainsi lorsque les juges ont refusé expressément d'assimiler à la pension alimentaire les revenus pouvant provenir d'une communauté de biens, le rejet de la prétention du prévenu de déduire de la pension à verser en espèces la somme qui aurait correspondu au loyer d'un immeuble commun, implique constatation du caractère volontaire du défaut de paiement de la pension (arrêt n° 893 précité, Rappr. Crim. 22 janv. 1957, B.C. 105, D. 1957. 299, S. 1957. 1. 221).
Sur l'intention coupable, en matière d'abandon de famille, v. Aa Ac, La loi du 23 juill. 1942, relative à l'abandon de famille ,D.C. 1943.L. 14 ; Rép. crim., V° Abandon de famille, par L. Saint-Laurens, nos 39 s. ; Goyet, Rousselt et Patin, p. 449.