17 novembre 1960
Dossier n° 5639
L a Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION, en ses deux branches prises de la violation des
articles 435 et 767 alinéa 2 du Code de procédure pénale ;
Vu lesdits articles, ensemble l'article 767 alinéa 3, 1° du Code de procédure pénale et les
articles 296 alinéa 1er et 365 du Code d'instruction criminelle ;
Attendu que les arrêts de la Chambre d'accusation étant attributifs de juridiction, les
constatations, relatives à l'âge de l'accusé, d'un arrêt de cette Chambre devenu irrévocable s'imposent au tribunal criminel en tant qu'elles déterminent sa compétence ; qu'il incombe donc audit tribunal de conserver la connaissance de l'affaire dont il est irrévocablement saisi, sauf à rétablir en vertu de sa plénitude de juridiction l'âge réel de l'accusé pour l'appréciation et l'application des mesures de protection ou rééducation ou de la peine ;
Attendu que par arrêt du 3 mars 1959 la Chambre des mises en accusation de la Cour d'appel de Rabat a renvoyé Ae Ac Af Ac Ae Ac Af dit Ad devant le tribunal criminel des mineurs de Casablanca sous l'accusation de vols qualifiés ; que le Code de procédure pénale étant entré en vigueur le 1er mai 1959 avant le jugement de l'affaire, la procédure a été transférée au tribunal criminel de Casablanca, la juridiction du tribunal criminel des mineurs n'étant pas maintenue par la législation nouvelle ; que par la décision attaqué le tribunal criminel de Casablanca estimant que, contrairement aux énonciations de l'arrêt de renvoi l'accusé était âgé de moins de 16 ans au moment des faits qui lui sont reprochés, a déclaré que le transfert de la procédure aurait dû après l'entrée en vigueur du Code de procédure pénale être effectué au tribunal des mineurs compétent pour connaître des crimes et délits commis par des auteurs âgés de moins de 16 ans et a ordonné le transfert à cette juridiction du dossier de la procédure.
Attendu que le tribunal criminel devait se borner à vérifier s'il avait bien été désigné conformément aux dispositions transitoires de l'article 767 du Code de procédure pénale, en considération des éléments retenus par l'arrêt de renvoi attribuant à l'accusé l'âge de 16 à 18 ans au
moment des faits ; qu'il résulte de l'article 767 alinéa 2 que le tribunal criminel connaît des crimes commis avant le 1er mai 1959 par un auteur alors âgé de 16 à 18 ans ; qu'ainsi c'est à bon droit que le tribunal criminel de Ak avait été saisi de l'accusation dirigée contre Ae Ac Af Ac Ae Ac Af dit « Ad ».
Attendu que si, en l'absence d'acte de l'état civil de l'accusé dont l'âge était contesté, le tribunal criminel devait procéder à la vérification de cet âge, ainsi qu'il est prévu par l'article 515 du Code de procédure pénale, il ne pouvait cependant pas se déclarer incompétent même s'il estimait qu'au moment des faits l'accusé était âgé de moins de 16 ans ; qu'en effet tant par application des dispositions des articles 296 alinéa 1er et 365 du Code d'instruction criminelle applicables au moment où l'arrêt de la Chambre des mises en accusation était intervenu que de celles de l'article 435 du Code de procédure pénale, la juridiction criminelle, saisie par un arrêt de renvoi d'une Chambre d'accusation, ne peut se déclarer incompétente ; et doit statuer comme le ferait la juridiction normalement compétente ; que si le tribunal criminel de Casablanca n'a pas été saisi directement par l'arrêt de la Chambre des mises en accusation le transfert de la procédure qui lui a été fait de plein droit, en application de la loi équivaut à sa saisine directe par la Chambre d'accusation.
Attendu en conséquence qu'en décidant que la procédure lui avait été transmise à tort, le tribunal criminel de Casablanca a violé les dispositions visées au moyen ;
PAR CES MOTIFS
Casse et annule entre les parties au présent arrêt le jugement rendu le 9 mai 1960 par le tribunal
criminel de Casablanca ;
Et pour être statué à nouveau conformément à la loi renvoie la cause et l'accusé devant le
tribunal criminel de Rabat.
Président : M. B : M.Zehler.- Avocat général : M. Ai.i.
Observations
Aux termes de l'art. 435 C. proc. Pén « le tribunal criminel est saisi par l'arrêt de la Chambre d'accusation dans les conditions prévues aux articles 235 et 236 du présent Code ».
« le tribunal criminel ainsi saisi ne peut se déclarer incompétent ».
sous l'empire du C. instr. Crim. La Chambre criminelle avait déjà jugé, par arrêt n° 159 du II
déc. 1958 (Rec. Crim. T. I. 43) que l'arrêt de renvoi devant le tribunal n'était pas seulement déclaratif, comme l'arrêt de renvoi devant le tribunal correctionnel, mais attributif de juridiction.
L'arrêt ci-dessus rapporté, rendu sous l'empire du nouveau C. proc. Pén. Confirme cette interprétation, de laquelle il résulte que lorsque l'arrêt de renvoi de la Chambre d'accusation est passé en force de chose jugée, soit parce qu'il n'a pas été attaqué devant la Chambre criminelle, soit parce que le pourvoi a été rejeté, le tribunal criminel, qui a plénitude de juridiction, ne peut se déclarer incompétent et doit juger tous les faits dont il a été saisi (V. Faustin-Hélie, Pratique criminelle des cours et des tribunaux, V. 2316 ; Garraud, 2, n° 1079 ; Rép. Part., V° Chose jugée, nos 287 et 288, V° Compétence, n° 270, V° Instruction criminelle, nos 816 et 1402 ; Rép. Crim., V° Compétence, par Ah Ab, nos 40 s. ; Nouv. rép., V° Compétence criminelle, n° 96 ; Crim. 7 août 1947, D. 1947. 463 ; 15 janv. 1948, J.C.P. 1948. II. 4370 et la note de M. Aa Ag ; Aj et Levasseur, 2 n° 755 ; Vitu, p. 123).
Aux termes de l'arrêt, « les constatations relatives à l'âge de l'accusé d'un arrêt » de renvoi «devenu irrévocable s'imposent au tribunal criminel en tant qu'elles déterminent sa compétence ».
L'arrêt de la « Chambre des mises en accusation » de la Cour d'appel de Rabat avait, le 3 mars 1959, c'est-à-dire sous l'empire du C. instr. Crim., saisi le « tribunal criminel des mineurs de Casablanca » des vols qualifiés reprochés à l'accusé « âgé de seize à dix-huit ans au moment des faits ».
Le C. proc. Pén. Ayant abrogé le C.instr. crim. et le « tribunal criminel des mineurs » n'ayant pas été maintenu par la nouvelle législation, l'affaire avait été en application de l'art. 767, al. 2, C. proc. Pén. « transférée de plein droit et sans formalité à la juridiction devnue compétente « c'est-à- dire au tribunal criminel (V. l'art. 514 C. proc. Pén.).
Il appartenait certes à cette juridiction, comme le prévoit l'al. 2 de l'art. 515 dudit Code, d'apprécier l'âge réel de l'accusé « après avoir fait procéder à l'examen médical et à toutes investigations qu'elle jugera utiles », mais elle ne pouvait, après avoir décidé que l'accusé était agé de moins de seize ans au moment des faits, qu'appliquer les mesures de protection ou de rééducation prévues par l'art. 516 C. proc., et, exceptionnellement, les dispositions de l'art. 517, sans pouvoir se déclarer incompétente.