Cassation sur le pourvoi formé par Ah Af, Ae An et la compagnie d'assurances London Guarantee and Am Ak limited contre un jugement rendu le 24 mai 1960 par le tribunal de première instance de Ap qui a condamné Ah Af, pour infractions au Code de la route et blessures involontaires, à diverses amendes et à payer des rentes complémentaires aux parties civiles, Ae An étant, sous la substitution de la compagnie d'assurances précitée, déclaré civilement responsable de Franco.
1er décembre 1960
Dossier n° 6101
La Cour,
SUR LE MOYEN DE CASSATION, pris de la violation des articles 409 alinéa 2 et 410 alinéa
3 du Code de procédure pénale , excès de pouvoir et manque de base légale ; Vu lesdits articles ensemble l'article 586, 2°, du Code de procédure pénale ;
Attendu qu'en l'absence d'appel de la partie civile, qui seul leur eut permis de modifier à l'avantage de celle-ci le jugement frappé d'appel par le prévenu et son civilement responsable, les juges d'appel ne peuvent pas majorer l'évaluation faite par le premier juge du préjudice subi par la partie civile, même lorsque cette majoration ne modifie pas, en raison d'un partage de responsabilité qu'ils ordonnent, le chiffre des dommages-intérêts alloués à la partie civile, mais exonère cette dernière des conséquences de sa responsabilité partielle ;
Attendu que par jugement du tribunal de paix de Casablanca-Sud en date du 30 septembre 1959 , Ah Af a été déclaré entièrement responsable de l'accident du travail dont la dame Ao bent Ali a été victime le 25 avril 1956 ; que le préjudice total subi par cette dernière ayant été évalué à une somme correspondant à une rente annuelle de 60 000 francs, Ah Af a été, sous la responsabilité civile de Moréno et la substitution de la compagnie d'assurances « London Guarantee And Accident Cy »,condamné à constituer le capital nécessaire pour assurer à la victime une rente complémentaire annuelle de 49 869 francs et à exonérer l'employeur de celle-ci ainsi que sa compagnie d'assurances, du service d'une rente annuelle de 10 131 francs allouée au titre de la législation sur les accidents du travail ;
Attendu que sur les appels de Ah Af, de Moréno et de la « London Guarantee And Accident Cy » le tribunal de première instance de Casablanca a, par la décision attaquée, partagé la responsabilité de l'accident entre Ah Af et la victime, un cinquième étant laissé à la charge de cette dernière; que cependant le montant des condamnations civiles prononcées en première instance a été maintenu, les juges d'appel ayant déclaré « avoir les éléments nécessaires et suffisants pour estimer que les dommages- intérêts ont été sous-estimés par le premier juge »;
Attendu qu'il est à bon droit fait grief au jugement d'appel attaqué d'avoir ainsi violé les dispositions des articles 409, alinéa 2, et 410, alinéa 3, du Code de procédure pénale ; qu'en effet, alors qu'il réduisait la part de responsabilité du prévenu Ah Af dans l'accident, ce jugement n'a pu maintenir les condamnations civiles prononcées en première instance qu'en majorant le chiffre auquel le premier juge avait fixé le montant du préjudice total subi par la victime, ce qui, en l'absence d'appel de celle-ci, ne pouvait être fait sans violer les dispositions des articles 409, alinéa 2; et 410, alinéa 3 susvisés ;
Attendu d'autre part que la rente globale annuelle de 60 000 francs maintenue en appel correspond, compte tenu du partage responsabilité, à un préjudice total réparé par une rente annuelle de 75 000 francs alors que la victime n'avait sollicité qu'une rente complémentaire annuelle de 50 000 francs en sus de la rente d'un montant de 10 131 francs par an allouée au titre des accidents du travail ; qu'ainsi les juges d'appel ayant statué ultra petita, les demandeurs leur font à bon droit grief d'avoir excédé leurs pouvoirs ;
PAR CES MOTIFS
Casse et annule entre les parties au présent arrêt le jugement du tribunal de première instance de
Casablanca du 24 mai 1960, mais uniquement en ses dispositions relatives aux intérêts civils ; et pour être statué à nouveau conformément à la loi et dans la limite de la cassation partielle
intervenue, renvoie la cause et les parties devant le tribunal de première instance de Casablanca autrement composé.
Président : M Ad . - Rapporteur : M. Ac. - Avocat général : M Ruolt - Avocats : MM. Cagnoli, Bernaudat.
Observations
I.- Sur les premier, deuxième et troisième points.- L'étendue de l'effet dévolutif de l'appel varie d'après la qualité de l'appelant.
Cette règle, consacrée par un avis du Conseil d'Etat du 12 nov. 1806, était déjà admise sous l'empire du C. instr. Crim.
Le c. proc. pén., dans ses art. 409, al. 2, et 410, al. 3, prévoit aujourd'hui que « l'appel . ne permet à la juridiction d'appel que de confirmer la décision ou de l'infirmer à l'avantage de l'appelant».
Ainsi, lorsque l'appel émane du prévenu et du civilement responsable et que la partie civile n'a pas usé de cette voie de recours, la juridiction du second degré ne peut augmenter le chiffre des dommages-intérêts qui ont été alloués en première instance ( Crim. 28 août 1851, B.C. 362, D.P. 1851. 5. 26 ; 7 juil. 1899, B.C.194 ; 18 nov. 1933 , B.C.212, GAZ . Pal. 1933. 2. 1010 ; 6 avr. 1954, D. 1954. 572 ; 17 févr. 1959, B.C.108, S. 1959. 123 et la note de M. Aa Ai, Rev. trim. Dr. civ. 1960, 114, n° 25, observations de MM. Léon et Ab Ag ; 6 oct. 1959, B.C. 409 ; 4 avr.
1960, B.C. 417 ; Le Poittevin, art. 202 , nos 189 s. ; Rép. crim., V° Appel, par Aj Al, nos 81
et 82 ; Nouv. Rép., V° Appel criminel , nos 34 s. ; Bouzat et Pinatel, 2, nos 1480 s. ; stéfani et Levasseur, 2 n os 845 ; Vitu, p. 396 ; Vouin et Léauté, p. 313). La juridiction d'appel ne peut pas non plus augmenter la provision sur dommages-intérêts allouée à la partie civile en première instance (arrêt n° 632 du 5 mai 1960, Rec. crim. t.I. 270).
Mais les juges du second degré peuvent-ils, sur les seuls appels du prévenu et du civilement responsable, majorer l'évaluation, faite par le premier juge, du préjudice subi par la partie civile, lorsque cette majoration ne modifie pas, en raison du partage de responsabilité qu'ils ordonnent, le chiffre des dommages-intérêts alloués à la partie civile en première instance ?
La Chambre criminelle de la Cour de cassation l'a admis puisque, ayant à appliquer les règles relatives à l'effet dévolutif de l'appel dans une affaire où la partie civile était seule appelante, elle a décidé (12 févr. 1959, B.C. 209, S. 1959. I. 123 et la note de M. Aa Ai, Rev. trim. Dr. civ. 1960, p. 114, n° 25 et les observations de MM. Henri et Léon Mazeaud) que les juges d'appel pouvaient apprécier d'une manière que l'avaient fait les premiers juges les circonstances de l'accident et les responsabilité engagées de part et d'autre, sous la seule réserve ne pas réduire le montant des réparations au-dessous du chiffre fixé par les premiers juges.
MM. Aa Ai, Léon et Ab Ag dans leurs notes précitées n'approuvent pas cette solution.
En effet, « la décision qui condamne un prévenu comporte en réalité deux parties, celle qui statue sur la responsabilité civile, sa mesure et son étendue, celle qui liquide les dommages-intérêts. Toutes deux sont des dispositions sur le fond. Modifier dans un sens défavorable à la partie civile le partage de responsabilité, c'est en réalité lui porter préjudice, c'est vider la règle que la partie civile ne fait appel que dans son propre intérêt » ( note précitée de M. Ai).
La même Chambre (Crim. 18 nov. 1933 précité) avait d'ailleurs antérieurement décidé que devait être cassé l'arrêt qui, sur le seul appel du prévenu, déclare tant dans ses motifs que dans son dispositif, que la responsabilité civile d'un accident incombe entièrement au prévenu alors que le jugement de première instance avait partagé cette responsabilité. Elle devait confirmer ce point de vue quelques jours après le prononcé de l'arrêt du 12 févr. 1959, en cassant une décision qui, sur appels du prévenu et du ministère public, avait estimé que la responsabilité civile d'un accident incombait pour ¿ à la faute du prévenu et pour ¿ à celle de la victime alors que le jugement entrepris avait jugé que l'accident était dû pour ¿ à la faute de la victime et pour ¿ à celle du prévenu (Crim. 17 févr. 1959 précité).
C'est en ce sens que statue la Chambre criminelle dans l'arrêt ci-dessus rapporté.
Le tribunal avait, en outre, commis un excès de pouvoirs et statuéultra petita en accordant à la
partie civile, non appelante, une indemnité qui, compte tenu du partage de responsabilité qu'il ordonnait, dépassait le mon tant de la réparation demandée par cette partie civile.