Dossier n° 2212
54-60/61
Ac Aa Ab c/Merzouk ben M'Barek et autres.
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 28 octobre 1958.
(Extrait)
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN
Attendu qu'il résulte du dossier de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué (Rabat 28 octobre 1958) que Ab Aa, qui circulait sur un cyclomoteur boulevard de la Résistance à Af, a été victime le 13 août1956 d'un accident mortel à la suite d'une collision avec le camion appartenant à Mohamed ben Tahar assuré de la «Paix Africaine» que le procès-verbal de cet accident ayant été classé sans suite par le parquet, Dame Veuve Gringas a assigné le chauffeur, le propriétaire du camion et son assureur devant le tribunal de première instance de Af pour qu'ils fussent condamnés à lui payer la somme de 10000000 de francs ; que cette demande a été rejetée par jugement du 12 février, au motif que le chauffeur du camion avait fait ce qui était en son pouvoir pour éviter l'accident imputable à la seule imprudence de feu Gringas ;
Attendu que le pourvoi reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir, en violation des dispositions de l'article 88 du dahir des obligations et contrats, retenu pour partie la responsabilité de Gringas, alors que la présomption légale de responsabilité du gardien de la chose, qui ne peut être écartée lorsque l'une des deux conditions d'exonération n'est pas réalisée, oblige le juge à allouer à la victime la totalité de la réparation du préjudice qu'elle a subi ;
Mais attendu que l'article 88 ne met pas obstacle à un partage de responsabilité entre la victime dont la faute a concouru à causer le dommage et le gardien de la chose qui ne démontre pas avoir accompli tout le nécessaire pour éviter l'accident ;
D'où il suit que la Cour d'appel a pu faire état de l'imprudence commise par Gringas sans méconnaître les exigences de l'article 88 invoqué et que le moyen ne peut être accueilli ;
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PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi
Président: M Drappier-Rapporteur: M C général M XAB Ad Ae
Observations
Il résulte des dispositions de l'art 88 C. obl. contr. que pour être exonéré totalement de la présomption de responsabilité instituée par cet article le gardien doit rapporter une double preuve: il doit établir qu'il a fait tout ce qui était nécessaire afin d'empêcher le dommage ; et il doit établir en outre que le dommage est du à un événement pour lui normalement imprévisible et irrésistible, événement pouvant être la faute de la victime, la faute d'un tiers ou un fait matériel quelconque non constitutif d'une faute.
Quelle est l'étendue de l'obligation du gardien lorsque, sans parvenir à rapporter cette double preuve. il établit, du moins, que le dommage est dû pour partie, soit à la faute de la victime, soit à la faute d'un tiers, soit à un autre fait matériel? La réponse est différente selon l'une ou l'autre de ces hypothèses.
Si c'est la faute de la victime qui a concouru à la réalisation du dommage. le juge doit partager la responsabilité entre la victime et le gardien, dans une proportion qu'il apprécie librement. C'est ce que décide l'arrêt rapporté (dans le même sens, notamment arrêts 38-64/65 du 27 oct 1964 275-64/65 du 4 mai 1965 ; 18-65/66 du 26 oct 1965 84 65/66 du 30 nov 1965).
Si le dommage a été en partie causé par la faute d'un tiers et que celui-ci a été attrait à la procédure, soit comme défendeur principal par la victime, soit comme appelé en cause par le gardien, il faut encore faire une distinction entre deux cas (art 99 et 100 C obl contr): quand la juridiction saisie ne peut déterminer la proportion dans laquelle le tiers et le gardien ont contribué à la réalisation du dommage, elle doit condamner solidairement le tiers et le gardien à le réparer en son entier ; quand cette proportion est déterminée, le tiers et le gardien ne peuvent être condamnés chacun qu'à concurrence de sa part de responsabilité. Lorsque le tiers n'a pas été attrait à la procédure, le gardien doit être condamné pour le tout ; mais il peut exercer ensuite une action récursoire contre le tiers pour démontrer que celui-ci a une part de responsabilité et obtenir de lui le remboursement partiel de l'indemnité versée à la victime. (V C.S. Crim. 29 mars 1962,Rec. III, p 193).
Enfin, Si le fait qui a concouru à la réalisation du dommage n'est imputable ni à la faute de la victime, ni à la faute d'un tiers, le gardien est tenu d'indemniser la victime de son entier préjudice.
Il faut sur ces différents points éviter de se référer aveuglément au droit français, qui est d'ailleurs actuellement en évolution dans ce domaine ; en cas de faute de la victime la solution est identique dans les deux pays ; en cas de faute d'un tiers, la jurisprudence française considérait le gardien et ce tiers comme toujours responsable du dommage in solidum (sur l'obligation in solidum qui est plus proche de l'obligation solidaire prévue aux art 164 et s C obl Contr. Que de l'obligation solidaire du C civ Français, v notamment Mazeaud, n°1960 et s et infra, note sous l'arrêt n°164) ce qui s'expliquait par l'absence dans le C civ français de dispositions analogues à celles de l'art 100 C obl. Contr-mais elle tend aujourd'hui à exonérer partiellement le gardien (v notamment: Meurisse le déclin de l'obligation «in solidum», D 1962 Chr p 243 Civ Il, 18 janv 1963, B 65 ; Civ II, 9 mai 1963, Gaz. Pal. 1963.2.223) ; elle tend même à une exonération partielle du gardien lorsque c'est un fait non fautif qui a contribué à la réalisation du dommage Civ III, 19 juin 1951, D.1951.717, note Ripert, S. 19 w 52 1. 89, note Nerson, J.C.P. 1951 II 6426, note Becqué ; Paul Esmein la théorie de la responsabilité civile et les arrêts de la Cour de cassation relatifs au naufrage du Lamoricière, Gaz. Pal. 1952.1, Doctr 8 Mazeaud, n. 1612).