Rejet des pourvois formés par El Ag Ac Ae Aa et Ai Ac Af ben Ali contre un arrêt rendu le 1er mars 1960 par la Cour d'appel de Rabat qui a acquitté Af ben Mohamed du chef d'émission de chèques sans provision et s'est déclarée incompétente pour connaître de leurs constitutions de partie civile.
15 décembre 1960
Dossiers nos 5166 et 5167
La Cour, SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris de la « violation de la loi sur la compétence, article
72 du dahir du 19 janvier 1939, en ce que l'arrêt attaqué retient la compétence de la juridiction moderne sans préciser quel intérêt pourrait avoir, en l'affaire, un ressortissant de cette juridiction » ;
Vu ledit article ;
Attendu que l'action de la partie civile en réparation du dommage causé par une infraction
s'exerce devant la juridiction répressive qui statue sur l'action publique née de cette infraction ; qu'une fois l'action publique éteinte par une décision irrévocable de la juridiction répressive, sans que la compétence de cette dernière ait jamais été contestée, il n'appartient plus à la partie civile de discuter cette compétence irrévocablement acquise ; qu'il en est ainsi même lorsque la compétence d'une autre juridiction marocaine est invoquée en raison de la nationalité des parties ;
Attendu en conséquence qu'El Ag Ac Ae et Ai Ac Af, parties civiles, qui n'avaient saisi les juges du fond d'aucun déclinatoire de compétence, ne sauraient discuter devant la Cour suprême la compétence de juridiction marocaine moderne, alors que, l'action publique se
trouve en l'absence de pourvoi du ministère public irrévocablement éteinte par la décision d'acquittement que cette juridiction a prononcée en faveur de prévenu Af ben Mohamed ;
D'où il suit que le moyen n'est pas recevable ;
SUR LE DEUXIEME MOYEN EN CASSATION, pris de la violation des articles 1à24 du dahir du 19
janvier 1939 sur le chèque, « en ce que l'arrêt attaqué subordonne l'existence du chèque et le droit de propriété du porteur à la condition supplémentaire, non prévue par la loi, de la preuve rapportée par le porteur que la rédaction du chèque dont la signature est reconnue soit le fait du tireur » ;
Attendu qu'en présence d'allégations contraires émanant, d'une part du prévenu d'après lequel les chèques litigieux auraient été libellés à son insu par suite d'une utilisation abusive d'un carnet de chèques que pour la commodité de son commerce il avait remis signé en blanc à l'un de ses associés, d'autre part desdits associés paries civiles selon lesquels les chèques signés en blanc par le prévenu et libellés en sa présence par Ae Ac Ad leur auraient été remis en règlement de leur part dans l'association, les juges d'appel, constatant que Ae Ac Ad affirmait tout ignorer des circonstances de l'établissement des chèques, ont prononcé au bénéfice du doute l'acquittement du prévenu ;
Que la décision d'acquittement intervenu dans ces conditions n'impliquant aucunement l'exigence de la preuve de la rédaction intégrale du chèque par le tireur, le moyen manque en fait ;
Sur le troisième moyen de cassation, défaut de motifs et manque de base légale, pris de ce que la Cour d'appel n'aurait tenu compte comme éléments de preuve ni des faits qu'elle avait retenus dans son précédent arrêt du 21 juillet 1959 condamnant le prévenu par défaut, ni de la déposition du comptable Ae Ac Af, et se serait abstenue d'entendre les témoins dont la comparution à l'audience était demandée par les parties civiles ;
Mais attendu que l'arrêt du 21 juillet 1959 se trouvait mis à néant par l'opposition du prévenu ; qu'aucun mode de preuve légal n'étant imposé pour la constatation de l'infraction, la détermination et la valeur des éléments de preuve régulièrement produits aux débats, et sur lesquels se forme la conviction des juges du fond, échappent, conformément à l'article 568 du Code de procédure pénale, au contrôle de la Cour suprême qui ne constitue pas un troisième degré de juridiction ; que les demandeurs, ne justifiant pas avoir par des conclusions régulières requis l'audition des témoins, ne sauraient tirer grief de ce que ces dépositions n'ont pas été recueillies devant la Cour d'appel ; que dès lors, en fondant leur décision d'acquittement sur l'incertitude qui subsistait quant aux circonstances dans lesquelles les chèques signés en blanc par le tireur avaient pu être ultérieurement libellés et émis d'appel, non saisis de conclusions des parties civiles auxquelles ils eussent été tenus de répondre, ont légalement justifié leur décision ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
Rejette les pourvois.
Président : M. Aj. - Rapporteur : M. Ab. - Avocat général : M. Ah. - Avocats : MM. Villemagne, El Khatib.
Observations
I. -sur le premier point. - Il a été jugé, dans le sens de l'arrêt ci-dessus rapporté, qu'en l'absence de pourvoi du ministère public contre une décision de relaxe, la partie civile ne peut, sur son seul pourvoi, remettre en question les conditions dans lesquelles la juridiction répressive a été saisi de l'action publique et s'est reconnue compétente pour statuer (crim. 3 janv. 1956, B.C.I ; 29 mai 1956, B.C. 407 ; 28 janv. 1958, B.C. 90, Rec. Dr. Pén. 1958. 181 ; 26 oct. 1960, B.C. 475).
II. -Sur le deuxième point. - V. la note, septième point, sous l'arrêt n° 726 du 27 oct. 1960.