Rejet du pourvoi formé par la Compagnie des Wagons-lits Cook contre un arrêt rendu le 19 juillet 1960 par la Cour d'appel de Rabat qui l'a déboutée de sa demande en paiement du montant d'un chèque sans provision émis à son profit par Ac Aa, épouse Ab et condamné cette dernière à lui verser la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts.
26 janvier 1961
Dossier n°6090
la Cour ,
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION, pris de « la violation des articles 70 et 74 du
dahir du 19 janvier 1939 sur les paiements par chèques et des articles 62, 63 et 64 du dahir des obligations et contrats, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a décidé que la prévenue n'avait souscrit aucun engagement envers la partie civile créancière uniquement de son mari et que l'obligation découlant de l'émission du chèque était nulle en l'absence de cause »,
« Alors que le tireur d'un chèque transfère au bénéficiaire la propriété de la provision que ce chèque est censé avoir, en garantit par là le paiement et contracte ainsi l'obligation de payer le montant du chèque au cas où, faute de provision suffisante, ce paiement n'est pas effectué par le tiré, le bénéficiaire ayant en ce cas aux termes de l'article 70 du dahir du 19 janvier 1939, rendu applicable aux chèques postaux par l'article 74 du même dahir, le droit de demander ce paiement sans préjudice des dommages-intérêts devant les juges répressifs comme devant les juges civils ;
« Alors d'autre part, que si l'obligation sans cause est nulle aux termes de l'article 62 du dahir des obligations et contrats, les articles 63 et 64 de ce Code disposent que toute obligation est présumée avoir une cause certaine et licite, quoiqu'elle ne soit pas exprimée et que la cause exprimée est présumée vraie jusqu'à preuve contraire, d'ou il suit que la Compagnie des Wagons-lits Cook n'avait pas à établir la cause du chèque en justifiant d'une créance antérieure, mais qu'il incombait à Mme Ab de prouver la prétendue absence de cause ;
« alors au surplus que l'absence de cause ne pouvait se déduire de ce que Mme Ab n'était pas originairement débitrice de la Compagnie des Wagons-lits ni responsable des agissements de son mari, car Mme Ab pouvait s'obliger à payer une dette de ce dernier ;
« et alors enfin qu'il résultait du jugement condamnant la prévenue à une amende et à des dommages-intérêts, jugement dont elle n'avait pas interjeté appel, que l'arrêt attaqué confirmait en toutes ses dispositions et qui, par conséquence, avait force de chose jugée à cet égard, que Mme Ab tireur responsable du chèque était tenue envers la Compagnie des Wagons-lits d'une obligation dont l'inexécution avait causé un préjudice à celle-ci ».
Attendu qu'il ressort de l'article 70 du dahir 19 janvier 1939 sur les paiements par chèques, dont les dispositions sont rendues applicables aux chèques postaux par l'article 74 du même dahir, que le juge répressif saisi d'une demande de paiement du montant d'un chèque émis sans provision se trouve exceptionnellement investi des pouvoirs habituellement réservés au juge civil et n'est pas tenu, bien qu'il réprime l'infraction commise, d'ordonner, du seul fait de l'émission du chèque et sans contrôle, le paiement sollicité ; qu'il doit au contraire se préoccuper des conventions intervenues entre les parties et ne peut accorder au bénéficiaire dont le nom est porté sur le chèque, le paiement demandé que s'il existe une cause à l'obligation qu à le tireur de garantir le paiement du chèque ; que cette cause qui consiste le plus souvent dans l'existence, antérieure à l'émission du chèque, d'une créance du bénéficiaire à l'égard du prévenu peut également se trouver dans l'engagement pris par ce dernier de régler la dette d'un tiers ;
Attendu que par l'arrêt attaqué la Cour d'appel a relevé que le chèque postal reproché à la prévenue avait été établi par son mari, Ab pour couvrir les détournements qu'il avait commis au préjudice de la partie civile ; que ce chèque signé en blanc avait été extrait par Ab du carnet appartenant à sa femme et dont il avait la disposition ; que celle-ci n'avait pas concouru à l'établissement du chèque hormis la signature et n'avait souscrit aucun engagement envers la partie civile ;
Attendu qu'en l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui n'a aucunement imposé la charge de la preuve à la partie civile, a pu, sans violer aucune des dispositions visées au moyen, estimer que l'obligation du tireur se trouvait dépourvue de cause et confirmer la décision de première instance rejetant la demande tendant au paiement du montant du chèque ;
qu'ainsi le moyen ne saurait être accueilli ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M.Deltel. - Rapporteur : M.Zehler. - Avocat général :M.Ruolt. - Avocat : Me Pajanacci.i.
Observations
Dans le sens de l'arrêt rapporté, v.Crim.20 mars 1952, J.C.P.1952.II.7162 et la note de M.Léauté ; 12 juin 1956, Gaz.Pal.1956.2.232 ;7 déc.1961, D.1962.61 et le rapport de M.Jean-Marie Robert ; Rép. crim, V° Chèque, par Ae Ad, N° 80.