contre un arrêt rendu le 15 novembre 1960 par la Chambre d'accusation de cette Cour qui a déclaré recevable l'appel interjeter par El Ab Ag, partie civile, contre une ordonnance du juge d'instruction d'Oujda du 17 octobre1960 mettant Am Ad en liberté provisoire et a annulé cette ordonnance.
23 mars 1961
Dossier n° 6684
La Cour,
SUR LA RECEVABILITE DU POURVOI :
Attendu que l'article 575 du Code de procédure pénale ne s'opposant pas, malgré la généralité
de ses dispositions, à la recevabilité d'un recours en cassation lorsque, tel le présent pourvoi, il concerne uniquement la légalité d'un appel, ce pourvoi, régulier par ailleurs en la forme, se trouve recevable ;
SUR LE MOYEN DE CASATION, pris de la violation de la loi, de l'insuffisance de motifs et du manque de base légale, en ce que l'arrêt attaqué a déclaré recevable l'appel de la partie civile El Ab Ag, alors qu'aux termes de l'article 207 du Code de procédure pénale « l'appel de la partie civile ne peut en aucun cas porter sur une ordonnance ou sur les dispositions d'une ordonnance relative à la détention de l'inculpé » et que la Chambre d'accusation paraît s'être inspirée d'un arrêt de la Cour de Cassation française du 8 décembre1955 qui, en l'absence de dispositions légales analogues à celles de l'article 207 du Code de procédure pénale marocain, ne saurait être utilement invoqué ;
Attendu qu'en application de l'article 156 du Code de procédure pénale la partie civile, pour être mise en mesure de présenter ses observations, doit recevoir avis, par lettre recommandée, de toute demande de mise en liberté provisoire formée par l'inculpé et l'ordonnance du juge d'instruction ne peut intervenir que quarante-huit heurs après cet avis ; qu'il s'agit là de formalités substantielles conditionnant l'existence de cette ordonnance à l'égard de la partie civile, qui ne saurait se voir opposer l'irrévocabilité d'une semblable décision lorsqu'elle a été rendue en violation de ses droits et à son insu ;
Attendu que l'article 207 précité interdit à la partie civile d'interjeter appel d'une «ordonnance
ou de la disposition d'une ordonnance » du juge d'instruction relative à la détention de l'inculpé, c'est-à-dire uniquement des décisions de ce magistrat satisfaisant en cette matière aux conditions essentielles de l'existence légale d'une ordonnance opposable à la partie civile ; que le même article permet d'autre part à la partie civile de frapper d'appel les ordonnances faisant grief à ses intérêts civils ;
D'où il suit que, saisie d'un appel expressément fondé par El Ab Ag, partie civile, sur la violation des formalités substantielles susvisées qui, en le laissant dans l'ignorance de la demande de mise en liberté provisoire de l'inculpé, ne lui aurait pas notamment permis de solliciter le versement d'un cautionnent destiné à garantir le remboursement des frais avancés par ses soins et la restitution des sommes détournées, la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Rabat n'a point violé le texte visé au moyen et, abstraction faite de certains motifs surabondants erronés, a légalement justifié sa décision déclarant l'appel recevable ;
Attendu enfin qu'une loi française du 26 juillet 1955 interdit l'appel de la partie civile en des termes sensiblement analogues à ceux de l'article 207 précité, et que dès lors n'est pas dénuée d'intérêt la jurisprudence de la Cour de cassation qui admet la recevabilité de cet appel lorsque la demande de mise en liberté provisoire de l'inculpé n'ayant pas été notifiée à la partie civile, cette dernière n'a pu présenter des observations ;
Qu'en conséquence, le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M. Ac. - Rapporteur : M. Ao. - Avocat général : M. Ah. - Avocats : :MM Gayet et Viaque.
Observations
I.- Sur le premier point :Aux termes de l'art. 575 C. proc. Pén., « aucun pourvoi n'est reçu contre les arrêts de la Chambre d'accusation statuant sur une mise en liberté provisoire ».
Ce texte prévoit une irrecevabilité du pourvoi basée sur la nature de la décision attaquée (V. en France, la loi du 25 mars1935, abrogée par le décret-loi du 18 nov1939, qui prescrivait également : «Aucun pourvoi ne sera reçu contre les décisions statuant sur le maintien de l'arrestation ou la mise en liberté provisoire »).
Appliquée à la lettre, cette disposition aurait conduit la Cour suprême à déclarer irrecevable le pourvoi. Cependant, ainsi que l'a jugé la Cour de cassation le 28 juin 1882 (D.P. 1883, I, 78, cité par Faye, n° 31, p. 54, note I), «il est de principe que la voie du recours en cassation est ouverte aux justiciables pour cause de violation de la loi, contre toutes les décisions judiciaires, pourvu qu'elles soient définitives et rendues en dernier ressort ; .toute exception à cette règle générale implique une restriction à l'exercice d'un droit, et doit dès lors être rigoureusement limitée aux cas particuliers pour lesquels elle a été édictée ».
D'autre part, « la question de recevabilité doit être envisagée au point de vue spécial du chef
que l'on attaque ; car chacun des chefs de la décision constitue en réalité un jugement distinct, soumis à ses règles propres au point de vue du ressort. Ainsi tout jugement rendu sur la compétence est susceptible d'appel et ne peut être par conséquent déféré de ce chef à la Cour de cassation ; mais si les juges se sont prononcés en même temps au fond sur une demande qu'il leur appartenait de connaître en dernier ressort, le pourvoi est recevable contre elle seule » (Faye, n° 33 ; V. également, Rép. pr. Civ., V° Cassation, par Ae An, nos 180 s. ; Réq. 26 juil. 1870, D.P. 1871. I. 338 ; Civ. 19 nov. 1902, D.P. 1903. I. 505; 2 déc. 1930, D.H. 1931. 83 ; Civ., sect. Soc., 26 oct. 1951, D. 1952, somm. 13, Gaz.Pal. 1952. I. 56).
Le pourvoi du ministère public ne portait pas sur la disposition de l'arrêt qui avait statué sur la mise en liberté provisoire de l'inculpé mais concernait uniquement la légalité de l'appel de la partie civile, en ce que la Cour avait déclaré recevable cet appel, « alors qu'aux termes de l'art. 207 C. proc. pén. l'appel de la partie civile ne peut, en aucun cas, porter sur une ordonnance ou sur la disposition d'une ordonnance relative à la détention de l'inculpé ».
Le pourvoi était, en conséquence, recevable.
II.- Sur les deuxième et troisième points : Les al. I à 4 de l'art. 156 C. proc.pén. prévoient que
« la mise n liberté provisoire peut être demandée à tout moment au juge d'instruction par l'inculpé,
ou son conseil, sous les obligations prévues à l'article précédent et éventuellement avec offre de cautionnement ».
« Le juge d'instruction doit immédiatement communiquer le dossier au procureur du Roi aux fins de réquisitions. Il avise en même temps par lettre recommandée la partie civile qui peut présenter des observations ».
« Le juge d'instruction doit statuer, par ordonnance spécialement motivée, au plus tard dans les cinq jours de la communication au procureur du Roi ».
« Lorsqu'il y a une partie civile en cause, l'ordonnance du juge d'instruction ne peut intervenir que quarante-huit heures après l'avis donné à cette partie ».
Dans l'espèce soumise à la Chambre criminelle, le juge d'instruction d'Oujda, saisi d'une demande de mise en liberté provisoire de l'inculpé, avait, sans aviser la partie civile par lettre recommandée et sans attendre l'expiration du délai de quarante-huit heures, rendu une ordonnance de soit communiqué et, le même jour, après réquisitions du procureur du Roi, une ordonnance de mise en liberté provisoire.
Sur appel de la partie civile, interjeter contre cette ordonnance « pour violation des paragraphes
2 et 4 de l'art. 156 C. proc. pén. », la Chambre d'accusation de la Cour de Rabat avait déclaré recevable cet appel, annulé l'ordonnance entreprise et donné d'office main-levée du mandat de dépôt.
La Chambre criminelle décide, dans l'arrêt ci-dessus rapporté, que la Chambre d'accusation n'a pas, en statuant ainsi, violé les dispositions de l'art. 207 précité.
Sous l'empire du C. instr. Crim., de la loi du 8 déc. 1897 et de la loi du 22 mars 1921, qui avait étendu à la partie civile les garanties accordées par la loi du 8 déc. 1897 à l'inculpé, la Cour de cassation avait déjà admis l'existence, à côté des nullités formelles prévues par l'art. 12 de la loi de 1897, de nullités substantielles qui doivent être prononcées sans texte, parce qu'elles sont la sanction de « formalités substantielles » qui constituent « les garanties essentielles du droit de la défense » (V. Ap Ai,Les principes généraux relatifs aux droits de la défense, Rev. Science crim. 1953, 47 ; Bouzat et Pinatel, 2, nos 1304 s. ; Aq et Levasseur, 2, n° 723 s. ; Vitu, s. ; pp. 314 s.).
Ainsi, l'ordonnance de soit communiqué par laquelle est sollicité l'avis du parquet après une demande de mise en liberté provisoire formulée par l'inculpé, doit être portée à la connaissance du conseil de l'inculpé afin que cet avocat puisse « réclamer utilement la communication de toutes les pièces du dossier, les examiner et produire des observations qu'il jugerait utiles dans l'intérêt de la défense » si l'avis du conseil a été omis, il y a . violation des droits de la défense » et « il incombe à la Chambre des mises en accusation de le reconnaître et d'annuler la procédure à partir de l'ordonnance de soit communiqué et y compris cette ordonnance » (Crim. 24 févr. 1954, B. C. 87, D. 1954 536 et la note de Af Aa, Rev. Dr. Pén. 1954 .149 et la note de M Aj Al).
En ce qui concerne la partie civile, la haute juridiction avait décidé que cette partie pouvait, soit interjeter appel, malgré les termes de la loi du 26 juil.1955, « dans le cas où les dispositions de l'art. 118C. instr. Crim. (aujourd'hui, art. 156 C. proc. pén.) ont été méconnues » (Crim. 8déc.1955, J.C.P. 1956.11.9230 et la note de M. Aj Al ; 7 mars 1956. B.C.230), soit former un pourvoi en cassation, malgré les dispositions de l'art. 416 C. instr. Crim., contre un arrêt de non-lieu, lorsque cet arrêt « ne satisfait pas aux conditions essentielles de son exister légale » (Crim. II déc.1931, B.C.286 ; 21avr.1932, B.C.109 ; 28 juil.1932, B.C.192, 3 mars 1933, B.C.48 ; 18 mars1938, B.C.84 ; 6 avr1938, B.C.112 ; 4 janv.1940, B.C.I ; 20 juin1946, B.C.142, 25 mars1947, B.C.93 ; 10 févr1949, B.C.58 ; 20 juil1949, B.C.252, 9 déc1949 ; B.C.333 ; 12 mars1959, B.C.175 ; 12 juil1960, B.C.367) V. également : Crim 22 nov.1956, B.C.769 ; 20 juin1935, Gaz. Pal. 1935.2.417, S.1935. I. 317 ; Af Ak, Des voies de recours ouvertes à la partie civile contre les décisions des juridictions d'instruction, Rev. Science crim. 1949. 309 et 547 et notamment pp. 311, 312, 320, 321 et 558.
En statuant sur la mise en liberté provisoire de l'inculpé sans en donner avis à la partie civile et sans laisser expirer le délai de quarante-huit heures prévu par l'al. 4 de l'art.156 C. proc. pén., le juge d'instruction avait violé les droits de la défense (V. Crim. 6 juin 1956, B.C.440., D. 1956.596, S. 1956. 2. 170, J.C.P. 1956. IV.105) et son ordonnance ne satisfaisait pas aux conditions essentielles de son existence légale.
L'appel de la partie civile, qui ne visait pas la disposition de fond de l'ordonnance relative à la détention de l'inculpé, mais uniquement l'inobservation des prescriptions de l'art. 156, était donc recevable.