Rejet du pourvoi formé par Ab Ad contre un arrêt rendu le 6 décembre 1960 par la
Cour d'appel de Rabat qui l'a condamné à 150 000 francs d'amende pour infraction au dahir du 30 septembre 1953 relatif aux lotissements et morcellements.
6 avril 1961
Dossier n° 6930
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION, en ses trois branches, pris de la violation de la
loi interne, notamment des articles 4, 18, 19 du dahir 30 septembre 1953 de l'article 67 du dahir du 12 août 1913 et des articles 19, 62, 230 et 489 du dahir formant Code des obligations et contrats, défaut, insuffisance et contradiction de motifs, manque de base légale, en ce que la Cour d'appel de Rabat a confirmé le 6 décembre 1960 un jugement correctionnel du 23 avril 1960 rendu par le tribunal de première instance de Ah qui a condamné Ab à une amende de 150 000 francs pour avoir procédé à une vente immobilière en indivision sans autorisation administrative préalable ;
Au motif que :
1° Il résulte du dossier que Ab. a vendu suivant « acte » du 14 octobre 1958 au nommé Ag A Af une part indivise des titres fonciers 11719 et 22556 C ;
2° L'acte ne comprend aucune condition suspensive ;
3° Cet acte ne saurait être tenu pour nul en l'état des dispositions des articles 67 du dahir foncier et 19 du dahir sur les lotissements ;
Alors que,
D'une part, l'acte du 14 octobre 1958 constitue une quittance de la somme de 218 420 francs
« montant de la vente » immobilière incriminée mais non un acte de vente parfait, satisfaisant aux conditions de forme et de fond prévues par la loi et susceptible de produire effet vis-à-vis des tiers ou même entre parties ;
De second part, un tel instrument de caractère manifestement provisoire et incomplet ne saurait constituer la preuve que la vente n'aurait pas été assortie d'une condition suspensive, étant observé que cette condition suspensive résulte de la loi comme de la volonté des parties, et au besoin s'impose à cette volonté ;
De troisième part, le principal élément constitutif du délit, savoir une vente valable et efficace, faisait défaut en l'espèce, la prétendue vente étant frappée de nullité en l'état des dispositions des articles 67 du dahir foncier et 19 du dahir du 30 septembre 1953 ;
vu lesdits articles ;
Attendu que le dahir du 30 septembre 1953 relatif aux lotissements et morcellements
subordonne à une autorisation administrative préalable, dans les villes municipales, toute vente en indivision d'un fonds qui aurait pour effet d'attribuer à l'un au moins des acquéreurs des droits de copropriété d'une équivalence en superficie inférieure à celle prévue par les plans et règlements d'aménagement ou de zonage et, à défaut ; à 2500 mètres carrés ; que dans ses articles 4,18 et 19, ce dahir dispose d'une part, que l'inscription d'une telle vente sur le titre foncier, qui seule, aux termes de l'article 67 du dahir du 12 août 1913 sur l'immatriculation des immeubles, lui fait produire effet même entre les parties, exige la production d'un certificat attestant qu'elle a été autorisée, d'autre part, qu'à défaut d'autorisation la personne qui procède à la vente est punie d'une amende de mille à cent mille dirhams, la nullité de cette vente pouvant, en outre, être prononcée à la requête de l'acquéreur ou de l'administration ;
Qu'il en résulte que l'article 18 ne tient compte, comme élément constitutif de l'infraction qu'il réprime, ni du caractère nécessairement imparfait, ni de la nullité de la vente à laquelle il est procédé sans autorisation administrative préalable ;
Attendu, que l'arrêt confirmatif attaqué énonce qu'il « résulte des pièces du dossier et des débats que Ab, agent d'affaires, administrateur unique de la Société Civile l'Atlantique, propriétaire de deux terrains immatriculés sous les titres fonciers 11719 C. et 22556 C, situés dans le périmètre administratif de la ville de Ah, a vendu, suivant acte en date du 14 octobre 1958, au nommé Ag Ae Af, une part indivise de 88/4547e desdits titres fonciers, d'une superficie totale de 45 ares 47 centiares » et que cet acte est ainsi conçu : « Reçu de M.Hachmi ben Ghezouani la somme de 218 420 francs montant de la vente d'une part indivise, doit une part de 88/4547e, dans la propriété dite « Le Chaluzet » sise rue des Myosotis, objet des titres fonciers 11719 C et 22556, c. Ce prix comprend le montant du terrain, qui est de francs 176000, frais et honoraires : francs 27 320 et participation du plan : 15 100 francs soit au total 128 420 francs. Ah le 14 octobre 1958. Signé : Ab » ;
Que cet arrêt précise que l'acte de vente, plus haut analysé et qui est à la base de la poursuite, ne comporte aucune condition suspensive ;
Attendu que, de ces constatations souveraines, la Cour d'appel a pu à bon droit déduire, sans dénaturer le sens clair et précis de l'acte qui lui était soumis et sans violer les textes visés au moyen ,
que Ab avait procédé à une vente, au sens de l'article 18 du dahir du 30 septembre 1953, et que cette vente ne comportait aucune condition suspensive ;
Attendu, en conséquence, que le moyen ne saurait être accueilli ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M.Deltel. - Rapporteur : M.Carteret. - Avocat général : M.Ruolt.- Avocat : M Aa Ac.c.
Observations
Le dahir du 30 sept.1953 relatif aux lotissements et morcellements, après avoir défini dans son art.2 le lotissement, prévoit dans son art.4 que « sont subordonnées à une autorisation administrative préalable dans les villes municipales. : 1° toute vente en indivision d'un fonds qui aurait pour effet d'attribuer à l'un au moins des acquéreurs des droits de copropriété dont l'équivalence en superficie serait inférieure à la superficie prévue pour les lots de terrain par les plans et règlements d'aménagement ou par les plans de zonage et, à défaut de superficie ainsi prévue, à 2 500 mètres carrés » et que « l'inscription aux livres fonciers des actes constatant les opérations énumérées aux alinéas ci-dessus ne peut être faite par le conservateur de la propriété foncière que sur production d'un certificat délivré par l'autorité de contrôle attestant que les conventions dont il s'agit ont été autorisées ou ne tombent pas sous le coup du présent dahir ».
L'art.18 de ce dahir punit d'une amende « toutes personnes qui procédent à une vente en indivision. sans avoir obtenu l'autorisation prévue à l'art.4 » et l'art.19 édicte que, « en cas d'inobservation des dispositions du présent dahir, la nullité de la vente. peut être prononcée à la requête de l'acquéreur.ou de l'administration ».
Si la vente est, en vertu de l'art.488 Dh.formant C.oblig.et contrats, un contrat consensuel, l'art.66 Dh.12 août 1913 sur l'immatriculation des immeubles prévoit que « tout droit réel relatif à un immeuble immatriculé n'existe à l'égard des tiers que par le fait et du jour de son inscription sur le titre par le conservateur de la propriété foncière » et l'art.67 du même dahir que « les actes volontaires et les conventions tendant à constituer, transmettre, déclarer, modifier ou éteindre un droit réel, ne produisent effet, même entre les parties, qu'à dater de l'inscription, sans préjudice des droits et actions réciproques des parties pour l'inexécution de leurs conventions ».
La Cour d'appel de Rabat a toujours jugé que la vente d'un immeuble immatriculé n'opérait le transfert de proprièté du vendeur à l'acquéreur que lors de l'inscription sur le titre foncier (Rabat.27 avr.1937, Pendant,1938.61 ; 29 oct.1937, Rec.t.9414 ; 3 févr.1951, Gaz.Trib.M.1951.112) et la Cour de cassation a confirmé ce point de vue (Civ.8 janv.1955, Gaz.Trib.M.1956.29 ; 5 juil.1956, ibid.1956.131).
Ainsi, lorsque la vente n'a pas été autorisée, elle ne peut pas être transcrite sur le titre foncier et demeure imparfaite tant à l'égard des tiers quà l'égard des parties contractantes. Sa nullité peut, outre, être prononcée à la requête de l'acquéreur ou de l'administration.
Mais l'art.18 Dh. 30 sept.1953 ne tient compte, comme élément constitutif de l'infraction qu'il réprime, ni du caractère nécessairement imparfait de la vente en indivision non autorisée, ni de sa nullité. L'infraction est consommée dès qu'il y a consentement des parties sur la chose et sur le prix.