Cassation sur le pourvoi formé par L.D.contre un arrêt rendu le 25 octobre 1960 par la Cour
d'appel de Rabat qui a déclaré irrecevable l'appel interjeté par cette partie civile.
13 avril 1961
Dossier n° 6685
La Cour
SUR LES DEUX MOYENS DE CASSATION R UNIS, pris de la violation des règles de
compétence, défaut de motif et manque de base légale ;
Vu les articles 255, 403, 422 et 424 du dahir du 10 février 1959 formant Code de procédure
pénale ;
Attendu que des dispositions de l'article 424 dudit code il ressort que les jugements
correctionnels peuvent en règle générale être frappés d'appel ; que même lorsque le tribunal correctionnel a déclaré statuer en dernier ressort dans le cas exceptionnel prévu par l'article 255 du même Code, il incombe à la Cour d'appel, saisie par l'appel de l'une des parties, de s'assurer que ledit article se trouvait applicable en l'espèce et qu'ainsi le jugement du tribunal correctionnel a été rendu à bon droit en dernier ressort ; que notamment s'il lui apparaît que les faits retenus par le tribunal sous la qualification de délit de police constituent en réalité un crime, la Cour d'appel a l'obligation de déclarer l'incompétence de la juridiction correctionnelle conformément à l'article 422 du Code de procédure pénale ;
Attendu que la Cour d'appel de Rabat était saisie des appels, injerjetés par le ministère public et par L...D., partie civile, du jugement du 16 juin 1960 par lequel, après avoir rejeté l'exception d'incompétence soulevée par cette partie civile qui soutenait que les faits commis par le prévenu constituaient le crime d'attentat à la pudeur, le tribunal correctionnel de Rabat, déclarant faire
application de l'article 255 précité, avait relaxé T.M..du chef d'outrage public à la pudeur et l'avait condamné à un an d'emprisonnement pour violences, voies de fait et violation de domicile, ainsi qu'à verser aux parties civiles des indemnités inférieures à celles qu'elles demandaient ;
Attendu qu'après avoir énoncé que l'article 255 était inapplicable puisque les infractions avaient reçu la qualification de délits de police dans l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction, l'arrêt attaqué a néanmoins décidé qu'en retenant sa compétence le tribunal correctionnel avait privé les parties en cause de la voie de l'appel ; qu'en statuant ainsi, sans avoir recherché si les faits reprochés au prévenu comportaient réellement la qualification visée par la prévention, la Cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Attendu qu à défaut de pourvoi du ministère public, la juridiction à laquelle l'affaire sera renvoyée après la cassation qui va être prononcée, se trouvera uniquement saisie de l'action civile de L.D. ; que si elle estime que les faits constituent un crime et qu'ainsi l'exception d'incompétence soulevée par L.D.est fondée, il appartiendra à cette juridiction, après avoir qualifié l'infraction, de se déclarer incompétente et de renvoyer ladite partie civile à se pourvoir devant la juridiction compétente, qui ne saurait être que le juridiction civile, pour qu'il soit statué sur sa demande de dommages-intérêts ;
PAR CES MOTIFS
Casse et annule entre les parties au présent arrêt, mais seulement en ce qui concerne les intérêts
civils de L.D., l'arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 25 octobre 1960 qui a déclaré irrecevable l'appel interjeté par cette partie civile ;
Pour être statué à nouveau conformément à la loi, renvoie la cause et les parties devant la Cour d'appel de Rabat autrement composée. Président : M.Deltel. -Rapporteur : M.Zehler. -Avocat général :M.Ruolt. -avocat : Me Paolini.i.
Observations
I.- Sur le premier point : Aux termes de l'art.255 C.proc.pén., « lorsqu'il estime que l'infraction qui lui est déférée sous la qualification de délit correctionnel ne constitue qu'un délit de police ou une contravention , le tribunal de première instance ou le tribunal régional, si le ministère public, le prévenu ou la partie civile n'ont pas demandé le renvoi, demeure compétent et son jugement est rendu en dernier ressort ».
L'art.191, al.1er et 2, C.instr.crim., modifié par la loi du 26 nov.1936, r.a.Dh.13 janv.1937, prévoyait que « si le fait n'est qu'une contravention de police et si la partie publique, la partie civile ou le prévenu n'a pas demandé le renvoi, le tribunal (correctionnel) appliquera la peine et statuera, s'il y a lieu, sur les dommages-intérêts ».
« Dans ce cas, le jugement sera en dernier ressort ».
Cette dispositions ne visait que le cas où, à la suite de l'instruction et des débats, le tribunal
décidait que l'infraction ne constituait pas un délit mais une contravention. Elle ne pouvait pas contre recevoir application lorsque, d'après les termes mêmes de la citation ou de l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction le tribunal correctionnel avait été saisi d'une contravention.
Les parties avaient alors la faculté d'opposer l'exception d'incompétence et le tribunal devait y faire droit (Le Poittevin, Art.192, n°s 2 s).
Les dispositions nouvelles de l'art.255 C.proc.pén. doivent recevoir la même interprétation, car elles visent seulement le cas où, à la suite de l'instruction et des débats, le fait déféré sous la qualification de délit correctionnel ne constitue plus qu'une contravention ou un délit de police.
Comme le jugement ne peut être déclaré « en dernier ressort » que dans l'hypothèse prévue cet art., il appartient à la juridiction du second degré, lorsqu'elle est saisie d'un appel contre un tel jugement, de rechercher la nature exacte de l'infraction poursuivie, de la qualifier et de déclarer l'appel irrecevable lorsque le fait ne constitue qu'un délit de police ou une contravention. Dans le cas contraire, elle doit recevoir l'appel et appliquer les règles propres à la nature de l'infraction reconnue(V.Crim.29 déc.1885, B.C.235 ,D.P.1866.I.192,S.1866.I.310).
« S'il s'avère que le fait constitue un crime », le juge d'appel « se déclare incompétent dans les conditions prévues à l'art.403.S'il y a lieu, il décerne immédiatement contre le prévenu un mandat de dépôt ou d'arrêt (Arêt.422 C.proc.pén.V., sous l'empire du C.instr.crim., les art.193 et 214 de ce Code ; Le Poittevin, Art.193, n° 1 ; Comp.Crim.7 août 1950, B.C.235).
II.- Sur le deuxième point : Le pourvoi de la partie civile est limité quant à son effet dévolutif aux disposition relatives à l'action civile et, en l'absence de pourvoi du ministère public, l'action publique est éteinte (V.la note, premier point, sous l'arrêt n° 761 du 1 er déc.1960 et l'arrêt n° 110 du
17 juillet.1958, Rec.crim.t.I.37).
La cassation, sur le seul pourvoi de la partie civile, n'intervient que partiellement, en ce qui
concerne les intérêts civils seulement. L'affaire doit être renvoyée, en application de l'art 601 al.1er, C.proc.pèn. « devant une juridiction de même nature et degré que celle ayant rendu la décision attaquée, ou exceptionnellement, devant la même juridiction autrement composée ».
La chambre criminelle indique à la juridiction de renvoi, dans les motifs de son arrêt, que si elle décide que le fait poursuivi est un crime, elle devra, après avoir qualifié l'infraction, se déclarer incompétente et renvoyer la partie civile à se pourvoir devant la juridiction civile.
Il appartiendra en effet à la juridiction de renvoi, saisie dans les limites de la cassation, d'examiner si, en tant que fait générateur du dommage allégué, l'infraction reprochée au prévenu a bien été commise et, dans l'affirmative, de qualifier cette infraction au seul point de vue des intérêts civils, sans pouvoir prononcer de peine.
Mais si la Chambre des appels correctionnels décide que le fait constitue un crime, elle deviendra incompétente pour connaître de l'action civile et devra renvoyer la partie civile à se pourvoir devant la juridiction civile.
Il a en effet été jugé à ce sujet que « liée. par les règles de sa propre compétence et dés lors qu'il lui apparaissait que les faits, qualifiés crime par la loi, se trouvaient placés en dehors de ses attributions, la juridiction du second degré était dans l'obligation de le déclarer, de réparer, dans la mesure où elle pouvait le faire, l'erreur commise par les premiers juges, et de renvoyer la partie civile à se pourvoir devant le juge compétent, qui ne pouvait être que le juge civil, pour être statué sur sa demande en dommages-intérêts »(Crim.20 déc.1956, B.C.864, D.1957.91 ; 7 janv.1865, B.C.5 ; 25 nov.1882, B.C.254 ; Comp.Crim.1er mars 1960, D.1961.73 et la note de M.René Meurisse ; Contra, Crim.16 avr.1932, S.1933.1.319).