Cassation, en ce qui concerne les intérêts seulement et sans renvoi, sur le pourvoi formé par Af Ab Ae Ab Aa, l'Etat marocain et la Compagnie d'assurances « L'Europe » contre un jugement rendu le 20 décembre 1960 par le tribunal de première instance de Rabat qui a condamné Af à 70 000 francs d'amende pour infraction au Code de la route et blessures involontaires ainsi qu'à payer à Ac Ad la somme de 400 000 francs à titre d'indemnité provisionnelles, l'Etat marocain étant déclaré civilement responsable de Af et la Compagnie d'assurance « L'Europe » substituée à l'Etat.
20 avril 1961
Dossier n°s 7096 - 7099 et 7100
La Cour, SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, en ses deux branches, pris de la « violation
des dispositions des articles 347, 348 et 352 du Code de procédure pénale, 6 de l'arêt viziriel du 24 janvier 1953, 9 du dahir du 19 janvier 1953,77 et 78 du Code des obligations et contrats, 320 du Code pénal, violation de la loi, défaut de motifs et manque de base légale ;
« En ce que le jugement attaqué a retenu à l'encontre de Af Ab Ae les dispositions de l'article 9 du dahir 19 janvier 1953 et prononcé les pénalités édictées par ce texte.
« Alors qu'il ne résulte pas des motifs de cette décision que Af Ab Ae conduisent un véhicule pesant en charge plus de 3 500 kilos ;
« En ce que le jugement attaqué a retenu la culpabilité de Af Ab Ae et la responsabilité civile de l'Etat et décidé la substitution de la compagnie d'assurances » L'Europe » à son assuré, au motifs que Af Ab Ae n'avait pas averti suffisamment à temps de son intention d'apporter un changement important à l'allure et à la direction de son véhicule et qu'en tout état de cause, M.Israël avait averti de son intention de dépasser,
« Alors que le conducteur du véhicule venant immédiatement derrière celui des exposants avait parfaitement perçu la manouvre,
« Que l'avertissement sonore donné par M.Israël ne l'a été qu'à l'intention du véhicule dont il opérait le dépassement, c'est-à-dire du véhicule qui suivait celui des exposants.
« Que le carrefour étant signalé, il appartenait à M.Israël d'adapter sa vitesse aux circonstances du moment et lorsqu'il a entrepris le dépassement du premier véhicule, de vérifier s'il pouvait sans danger poursuivre sa manouvre pour dépasser le véhicule des exposants,
« Qu'enfin, M.Israël disposait d'un couloir de circulation absolument dégagé » ; Vu lesdits article ;
Attendu, en ce qui concerne la première branche du moyen, que tout jugement appliquant une peine doit énoncer les motifs de fait et de droit propres à justifier légalement la condamnation ;
Attendu que, pour prononcer à l'encontre de Af Ab Ae Ab Aa la peine délictuelle prévue par l'article 9 du dahir du 19 janvier 1953 relatif aux infractions concernant les véhicule pesant en charge 3 500 kilos ou davantage, la décision du premier juge, confirmée par le jugement attaqué, énonce que ce prévenu, conduisant » le camion G.M.C.110759 », a changé de direction sans s'assurer qu'il pouvait le faire sans danger ;
Qu'en omettant de préciser le poids en charge du camion, les juges du fond n'ont pas mis la Cour suprême en mesure d'exercer son contrôle ;
Attendu cependant, que la peine de 70 000 francs d'amende infligée à Af se trouvant déjà légalement justifiée par la répression du délit de blessures involontaires, il déchet, en application de l'article 589, alinéa 2, du Code de procédure pénale, non de prononcer l'annulation intégrale du jugement attaqué, mais de déclarer que la condamnation ne s'applique qu'à ce chef de prévention légalement retenu ;
Attendu que le moyen, en sa seconde branche, ne contient qu'une argumentation de fait et qu'ainsi, ne soumettant aucune question de droits à la Cour suprême, il ne saurait être accueilli ;
SUR LE DEUXIE
ME MOYEN DE CASSATION, pris de la « violation des dispositions du dahir du 2 mars 1953,
violation des formes substantielles de la loi, défaut de motifs et manque de base légale, en ce que le jugement attaqué a accueilli la constitution de partie civile de M.Israël dirigée contre l'Etat, alors que M.Israël n'avait pas appelé en cause l'agent judiciaire du Trésor » ;
Attendu que si l'article unique du dahir du 24 avril 1939 habilite le directeur de la Régie des exploitations industrielles à représenter l'Etat en justice dans tous les cas où la responsabilité civile de ce dernier est mise en cause par suite d'un accident causé par un de ses véhicules automobiles, l'article premier du dahir du 2 mars 1953 dispose en outre en son dernier alinéa que « chaque fois que l'action engagée devant les tribunaux a pour objet de faire déclarer débiteur l'Etat , chérifien, l'une de ses administrations un office ou établissement de l'Etat dans une matière étrangère à l'impôt et au domaine, l'agent judiciaire doit être appelé en cause à peine d'irrecevabilité de la requête » ;
Attendu en conséquence qu'Israël Abrahm n'ayant pas appelé en cause l'agent judiciaire, sa constitution de partie civile contre l'Etat se trouvait irrecevable ;
D'où il suit que le moyen est fondé ;
Attendu toutefois que l'action civile n'ayant jamais été régulièrement portée devant les juridictions répressives, celles-ci dessaisies de l'action publique irrévocablement jugée par le présent arrêt, ne sauraient désormais en connaître sur renvoi ;
Qu'il appartiendra des lors à la partie civile de saisir de son action la juridiction civile avec mise en cause de l'agent judiciaire ;
PAR CES MOTIFS
Déclare, en ce qui concerne l'action publique, que la peine de 70 000 francs d'amende
prononcée à l'encontre de Af Ab Ae Ab Aa ne s'applique qu'à la répression du délit de blessures involontaires ;
Casse et annule entre les parties, mais en ce qui concerne les intérêts civils seulement et sans renvoi, le jugement rendu par le tribunal de première instance de Rabat le 20 décembre 1960. Président : M.Deltel. - Rapporteur : M.Carteret. - Avocat général : M.Ruolt. - Avocats : MM.Bayssière, Benatar.
Observations
I.- Sur les premier, deuxième et troisième points : L'art.9 Dh.19 janv.1953 sur la conservation de la voie publique et la police de la circulation et du roulage, punit d'une peine d'amende de 24 000 à 120 000 francs et d'un emprisonnement de onze jours à six mois ou de l'une de ces deux peines seulement, « les infractions aux dispositions de (ce).dahir ou celles
de tous arrêtés pris ou à prendre pour son exécution, concernant les véhicules affectés à un service public et les véhicules pesant en charge 3500 kilogs ou davantage, remorque comprise s'il y a lieu, et visant : .3° les autres mesures de police à observer en ce qui concerne, notamment, la vitesse, l'évitement et le dépassement d'autres véhicules ».
Le fait de changer de direction sans s'assurer qu'on peut le faire sans danger et sans en avertir, préalablement, et suffisamment à temps, les autres usagers de la route (Art. 6 de l'arr. viz. 24 janv.1953) est normalement puni d'une peine d'amende par l'art. 16 Dh. 190jan. 1953. Ce fait ne constitueun délit que dans les prévus par l'art. 9 dudit dahir.
Il appartient donc aux juges du fond, pour donner une base légale à leur décision et permettre à la Cour suprême d'exercer son contrôle, de préciser le poids total en charge du camion. Lorsqu'aucune indication n'est donnée à ce sujet, la juridiction de cassation ne peut déterminer si l'application de l'art. 9 - et non celle de l'art. 16 - du dahir est justifiée (V. l'arrêt n° 831 du 2 mars 1961, publié dans ce volume).
Sur le manque de base légale, v. la note, troisième point, sous l'arrêt n° 732 du 3 nov.1960.
II. Sur le quatrième point : V. la note, cinquième point, sous l'arrêt n° 770 du 8 déc1960. III. - Sur le cinquième point : V. la note, troisième point, sous l'arrêt n° 744 du 10
nov1960.
IV. - Sur le sixième point : Le dahir du 24 avr. 1939 ne constitue pas une dérogation à
l'art. 1er Dh. 2 mars 1953, dont la Cour suprême cite le texte dans son arrêt. Ces deux textes doivent s'appliquer cumulativement : le directeur de la Régie des exploitations industrielles représente l'Etat et l'agent judiciaire doit être appelé en cause à peine d'irrecevabilité de la requête.
Cette interprétation avait déjà été retenue par la Chambre administrative de la même Cour dans une autre matière (4déc. 1958, Rec. Adm.t.I.171, Rec.t.20, 44).
V. -Sur le septième point : V. la note, quatrième point, sous l'arrêt n° 733 du 3 nov.1960.