4 mai 1961 Dossier n° 7190
La Cour, Vu les articles 1, alinéa 2, 2° du dahir du 27 septembre 1957, 265 et suivants du dahir du 10
février1959 formant Code de procédure pénale, 70 et suivants du dahir du 19 janvier 1939, 405 du Code pénal ;
Attendu que par ordonnance du juge d'instruction de Marrakech en date du 21 octobre1959, Ahmed ben Aomar ben Tahar a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de première instance de Marrakech sous la prévention d'avoir, à Marrakech le 7 juillet 1959, en tous cas depuis un temps non prescrit, émis à l'ordre de Ac Ae, sans provision préalable et disponible, ou avec une provision insuffisante, les chèques nos 68736 et 68737, série, I, d'un montant respectif de 100000 et 90 000 francs sur la Compagnie Algérienne ;
Attendu que par jugement du 17 décembre 1959, le tribunal de première instance de Marrakech s'est déclaré incompétent au motif que les faits imputés au prévenu relevaient de la compétence des tribunaux régionaux, et non des juridictions modernes, en raison de la nationalité marocaine du tireur et du bénéficiaire des chèques, et du défaut d'intérêt de l'établissement bancaire de nationalité étrangère ; que sur appel du ministère public, la Chambre des appels correctionnels de la Cour d'appel de Rabat a, par arrêt rendu par défaut le 12 juillet 1960, confirmé ce jugement ; que cet arrêt a été régulièrement notifié le 11 août 1960 au domicile de l'inculpé. parlant en la personne de son épouse ; qu'aucune opposition n'y a été formé ;
Attendu que si l'article 379 du Code de procédure rendu applicable aux arrêts de la Cour d'appel par l'article 432 du même Code permet au prévenu de former opposition jusqu'à l'expiration du délai de prescription de la peine quand la notification n'a pas été faite à sa personne ou s'il ne résulte pas d'actes d'exécution du jugement que le prévenu en a eu connaissance, cet article concerne uniquement les jugements de condamnation et non ceux qui, comme dans l'espèce, se bornent à déclarer l'incompétence de la juridiction saisie ;
D'où il suit que l'ordonnance du juge d'instruction près le tribunal de Marrakech et l'arrêt de la Cour d'appel de Rabat, non attaqués dans les délais légaux, ont acquis l'autorité de la chose jugée ; qu'il résulte de leur contrariété un conflit négatif qui interrompt le cours de la justice et qu'il importe de faire cesser ;
Attendu que le juge d'instruction de Marrakech et la Cour d'appel de Rabat n'ayant au-dessus d'eux aucune autre juridiction supérieure commune il incombe à la Cour suprême de mettre fin à ce conflit de juridiction et de désigner la juridiction compétente ;
Attendu qu'aux termes de l'article 72 du dahir du 19 janvier 1939 les juridictions instituées par le dahir du 12 août 1913 connaissent de la répression des infractions en matière de chèque telles qu'elles sont précisées aux articles 70, 71 et 74 dudit dahir, toutes les fois qu'un ressortissant de ces juridictions aura un intérêt en la cause ;
Attendu qu'un établissement bancaire a toujours intérêt à ce que les chèques tirés sur ses caisses ne donnent pas lieu à des contestations préjudiciables à la réputation de sa clientèle et par voie de conséquence à son crédit ;
Que les chèques litigieux ayant été tirés sur la Compagnie Algérienne, société anonyme non marocaine, ressortissante des juridictions modernes, cette circonstance entraîne la compétence de ces juridictions ;
PAR CES MOTIFS
Réglant de juges, sans s'arrêter aux décisions contraires précitées qui seront considérées comme non avenues ;
Renvoie la cause et le prévenu devant la Cour d'appel de Rabat autrement composée. Président : M. Ad. -Rapporteur : M. Ab. -Avocat général : M. Aa.a.
Observations
I.- Sur le premier point : Aux termes de l'al. 2 de l'art. 373 C. proc.pén., « si la notification ne
lui (à la partie défaillante) a pas été faite à personne et s'il ne résulte pas d'un acte d'exécution quelconque que le prévenu ait eu connaissance de la condamnation, son opposition est recevable jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine ».
Ce texte, qui reprend les dispositions de l'al. 3 de l'art. 187 de l'ancien C. instr. Crim., modifié par la loi du 9 juil. 1934, r.a Dh. 3 nov. 1934, ne s'applique qu'aux décisions qui statuent sur le fond et qui prononcent une condamnation pénale.
Il avait déjà été jugé que les dispositions de l'al. 3 de l'art. 187 C. instr. Crim n'étaient pas applicables aux jugements statuant sur une question de compétence (Crim. 25 juil1867 B.C 17, D.P.
1868. I. 287 ; 28 oct. 1886, B.C. 351, D.P. 1888. I. 48; 6 janv. 1900, B.C. 14 ; 1er juil 1905, B.C. 332, 20 oct. 1910, B.C.513; 4 mai 1938, B.C.130 ; 10 déc.1942, J.C.P. 1943. II. 2130; 19 mai 1950, B.C.168 ; Rép. crim., V° Jugement par défaut, par Maurice Gégout n° 101).
II. - Sur les deuxième et troisième points : Par l'arrêt ci-dessus rapporté, la Chambre criminelle confirme sa jurisprudence (V. l'arrêt n° 466 du 10 déc. 1959, Rec. Crim . t.I. 147 et la note; Comp. Crim 13 nov. 1952, Gaz. Pal. 1952. 2. 404., Rec. t. 17 294 ; 23 déc 1955, Rec. t. 18. 377).
III. - Sur le quatrième point : V. la note sous l'arrêt n° 743 du 10 nov.1960.