Rejet du pourvoi formé par Af Ae contre un arrêt rendu le 14 janvier 1961 par la Cour d'appel de Rabat qui a confirmé un jugement du tribunal de première instance de Casablanca du 26 juillet 1960 l'ayant condamné à 5 000 dirhams d'amende pour avoir sciemment établi des certificats faisant état de faits matériellement inexacts, constitué illégalement un établissement et une société de prêts sur gages et contrevenu aux dispositions du dahir du 1er septembre 1926 sur le registre du commerce.
11 mai 1961
Dossier n° 7261
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION EN SES TROIS BRANCHES, pris de la
violation de la loi, défaut de motifs, manque de base légale, violation de l'article 9 quinquies de l'arrêt du directeur des finances du 31 mars 1943, modifié par l'arrêté du directeur des finances du 16 avril 1955, du dahir du 12 avril 1954, des articles 347 et 352 du dahir du 10 février 1959 formant Code de procédure pénale,
En ce que la Cour d'appel de Rabat a déclaré Af coupable d'infraction à la législation réglementant la profession bancaire,
Au motif ci-après reproduit : qu'il n'importe, comme le fait plaider Af, que les opérations
de prêts qu'il a traitées avant même la constitution de la société ne constituaient que de simple prêts, dès lors que ces opérations étaient faites par Af sous le nom de « Crédit Général » dans les bureaux de la société illégalement constituée,
Alors que ;
1° La Cour ne constate pas que Af ait constitué un établissement ou société ayant pour objet principal ou habituel l'octroi de prêts sur gages ;
2° Elle reconnaît explicitement dans le même motif que les opérations faites par Af sont de simples prêts sans gages ;
3° Elle se contredit dans le même motif en affirmant que les opérations de prêts ont été traitées « avant même la constitution de la société. », « dans les bureaux de la société illégalement constituée » ;
Vu lesdits articles ;
Attendu que les motifs d'une décision judiciaire ne pouvant être sainement appréciés qu'en
fonction du contexte, un demandeur en cassation ne saurait les fragmenter arbitrairement pour tenter de tirer argument d'un motifs pris isolément ;
Attendu que la décision confirmative attaquée énonce que « Af, qui projetait de créer au Maroc, sous la dénomination de « Crédit Général », un établissement financier, d'un genre assez particulier, consistant essentiellement en des opérations de prêts sur gages . s'est vu refuser . l'autorisation nécessaire » ; que le jugement de première instance, dont les juges d'appel ont expressément adopté les motifs, précise que « Af, qui avait déjà organisé des bureaux boulevard Ney et fait de la publicité, a néanmoins continué ses activités », qu'il « traitait pour le Crédit Général, société au capital de 50 000 000 de francs » et qu'il « effectuait des prêts sous le couvert du Crédit Général malgré le refus d'agrément et le défaut de constitution de ladite société » ;
Attendu que de ces constatations souveraines des juges du fond il ressort qu'en fait Af a crée, malgré le refus d'autorisation du directeur des finances, un établissement ayant pour objet principal l'octroi de prêts sur gages ; que dès lors, l'article 9 quinquies de l'arrêté du directeur des finances du 31 mars 1943 retenant, comme élément constitutif du délit, l'objet principal de l'établissement et non la nature des opérations qui y auraient été effectivement traitées, il importerait peu pour l'existence légale de l'infraction que Af eut, ainsi qu'il l'allègue, effectué seulement sous le nom de Crédit Général, des prêts sans gages ;
Attendu que les constatations des juges du fond selon lesquelles Af a pratiqué ses opérations boulevard Ney à Casablanca, sous le couvert du Crédit Général, dans les bureaux de cet établissement, que la société anonyme « Crédit Général Agricole » devait ultérieurement occuper, précisent le motif critiqué, qui ne contient, ainsi éclairé, aucune contradiction ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
SUR LE DEUXIEME MOYEN DE CASSATION, EN SES TROIS BRANCHES, pris de la violation de la loi, défaut de motifs, manque de base légale violation de l'article 161, dernier alinéa, du Code pénal, des articles 347 et 352 du dahir du 10 février 1959 formant Code de procédure pénale,
En ce que l'arrêt attaqué a déclaré Af coupable de complicité d'établissement de faux certificats et d'usage de ces faux certificats aux motifs suivants :
« Attendu, par ailleurs, que Af, Ad Ab ont établi des bulletins de souscriptions fictifs (Flamant et Combes fournis par Af et ceux des autres actionnaires par Tazi), une feuille de
présence, un procès-verbal d'assemblée générale ainsi qu'un état des souscriptions et des versements contenant de fausses affirmations » ;
« que si ces documents dans les rapports entre les souscripteurs et la société ne sont pas des certificats, il n'en est pas de même à l'égard des actionnaires étrangers, du notaire qui a dressé l'acte de versement du capital et des tiers aux yeux desquels ils constituent attestation de la sincérité des déclarations qu'ils contiennent et de la réalité des opérations constitutives de la société » ;
1° alors que les bulletins de souscriptions et les autres actes relatifs à la constitution de la société ne sont pas des certificats ni des attestations ;
2° que l'arrêt n'indique pas en quoi consiste la fausseté de ces actes ;
3° et que, Af étant poursuivi comme complice des auteurs des actes incriminés, l'arrêt ne
précise nullement les faits constitutifs de cette complicité ; Vu lesdits articles ;
SUR LA PREMIERE BRANCHE DU MOYEN :
Attendu qu'en application des articles 1er, alinéas 10, 11 et 12, 28, alinéa 3, 55 et 56 de la loi du 24 juillet 1867, rendue applicable par le dahir du 11 août 1922 et modifiée par le dahir du 26 janvier 1955, les bulletins de souscriptions sont représentés au notaire qui reçoit la déclaration constatant la souscription et le versement des fonds en provenant, que la feuille de présence est déposée au siège social de la société après avoir été certifiée par le bureau de l'assemblée et doit être communiquée à tout requérant, que la liste certifiée des souscripteurs et l'état des versements effectués par chacun d'eux sont annexés à la déclaration notariée et doivent, ainsi que le procès-verbal certifié de l'assemblée générale constitutive, être déposées au greffe du tribunal de première instance du lieu du siège social et être publiés par extrait ;
Qu'ainsi les pièces susvisées constituent à l'égard du notaire et des tiers des « attestations » au sens de l'article 161 du Code pénale ;
SUR LA SECONDE BRANCHE DU MOYEN :
Attendu que le jugement de première instance énonce que « les souscriptions sont fictives étant
assorties d'actes de transfert d'actions alors que les versement ont été effectués en réalité par Af avec ses propres deniers, . que furent établis une feuille de présence d'actionnaires inexacte, un faux procès-vebal d'assemblée générale constitutive de délibération du conseil d'administration de la société marocaine de Crédit Général Agricole en date du 15 décembre 1955 alors que le « service fiduciaire »figurait auxdits actes comme secrétaire ; que Ab Ad a reconnu les faits que Pérez, employé du « service » y a figuré alors qu'il n'avait pas qualité et l'a reconnu . » ;
Que, cette motivation indiquant en quoi consiste la fausseté des actes, le moyen, ne cette branche, manque en fait ;
SUR LA TROISIEME BRANCHE DU MOYEN ;
Attendu qu'en adoptant expressément les motifs des premiers juges, qui avaient notamment pris
soin de préciser que « Af, véritable organisateur des opérations, s'est bien rendu complice des délits . par aide, assistance, directives données et moyens procurés, alors qu'il a fourni les fonds de versement, qu'il est intervenu pour la signature irrégulière des faux procès-verbaux établis .», l'arrêt confirmatif attaqué a caractérisé les faits constitutifs de la complicité ;
Qu'ainsi le moyen manque en fait, également en cette branche ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M. Ac .-Rapporteur :M.Carteret.- Avocat général : Me. Léon Perez.
Observations
I.- Sur le premier point : Dans le même sens, v. l'arrêt n° 542 du 4 févr. 1960, Rec. Crim. t.I.201.
II.- Sur le deuxième point : L'art. 9 quinquies de l'arr. direct. Finances du 31 mars 1943 prévoit que « les sociétés ou établissement qui, sans recevoir des dépôts du public, ont pour objet principal ou habituel l'octroi de prêts ou d'avances sur gages mobiliers ou immobiliers, ne peuvent se constituer ni pratiquer lesdites opérations sans une autorisation préalable du directeur des finances ». les sanctions sont prévues par les dahirs de 31 mars 1943 et 12 avr. 1954.
Cet art., en tant qu'il interdit la constitution d'une société ou d'un établissement « ayant pour objet principal .l'octroi de prêts sur gages », ne tient pas compte, comme élément constitutif du délit, de la nature des opérations qui y sont effectivement traitées. Il importe donc peu, pour l'existence de l'infraction, que le prévenu ait seulement effectué des prêts sans gages.
III.- Sur le troisième point : A) Les « bulletins de souscription » sont prévus par l'art. 1er, al. 5, 10 et 11 de la loi du 24 juil. 1867 sur les sociétés, modifié par le Dh. 26 janv.1955.
Art. 1er, al 5 : « Le contrat de souscription doit être constatés par un bulletin de souscription signé du souscripteur ou des son mandataire . »
Al. 10. : « La souscription et le versement sont constatés par une déclaration dans un acte notarié ».
Al.II : « Le notoire se fera représenter les bulletins de souscription et un certificat de la banque dépositaire constatant le versement des fonds ».
Ces bulletins de souscription constituent, à l'égard du notaire qui reçoit la déclaration, des « certificats » au sens de l'art. 161 C. pén, complété par la loi du 27 août 1948, r.a.Dh. 21 oct. 1953, puisque leur représentation a pour objet de permettre à ce fonctionnaire de s'assurer de la réalité des souscriptions que ces bulletins constatent.
Une interprétation large des dispositions de l'art. 161, voulue par le législateur (V. l'exposé des motifs de la loi) paraît d'autant plus nécessaire que le décret-loi du 8 août 1935, modifiant l'art. 15 de la loi de 1867, n'a pas été rendu applicable au Maroc et que le dahir du 26 janv. 1955 modifiant la législation marocaine des sociétés n'a pas complété ledit art. 15. les prévenus Auraient pu, en France, être poursuivis en vertu de l'art. 15, I°, et être punis des peins de l'art. 405 C. pén. pour avoir « dans la déclaration notariée, affirmé sincères et véritables des souscriptions qu'ils savaient fictives. » .
B) La « feuille de présence » est prévue par les al. 2 et 3 de l'art. 28. L'al. 3 prévoit que « cette feuille, certifiée par le bureau de l'assemblée, est déposée au siège social et doit être communiquée à tout requérant ».
« La présence des actionnaires, écrit Georges Ripert (Traité élémentaire de droit commercial, n° I088), est constatée par la signature de la feuille de présence, qui sert à calculer le quorum. C'est
par cette feuille que l 'on arrive à connaître le nom des actionnaires qui détiennent les actions au porteur ».
C) La liste des souscripteurs et l'état des versements prévus par l'art. 1er , al. I2, de la loi de 1867, sont annexés à la déclaration notariée et la liste doit, en application de l'art. 55, être publiée.
D) Le procès-verbal d'assemblée générale constitutive (art. 25, al. 1er) doit constater, aux termes de l'al. 4 du même art., l'acceptation des administrateurs et des commissaires présents à la réunion. « Ce procès-verbal, écrit Georges Ripert (op. Cit., n° 993), fait foi de son contenu et de sa date, sauf preuve contraire. Il doit, en application de l'art. 55, être publié et il a le même objet que la feuille de présence ».
Toutes ces pièces constituent donc bien, au sens de l'art. 161 C. pén., des « attestations » à l'égard du notaire et des tiers (Sur l'interprétation de l'art. 161 C. pén. V. Crim. 9 juil. 1954, D. 1954. 655, Rev. science crim. 1955, p. 78, n° 1 ; 20 oct. 1955, D. 1956. 138, J.C.P. 1956. II. 9032 et la note de M. Aa, Rev. science crim. 1956, p. 107, n° 2 ; 15 mai 1957, B.C. 415 ; 19 avr. 1958, B.C. 319 ; 3 mai 1960, B.C. 234 ; 12 mai 1960, B.C. 261).