Cassation sur les intérêts civils seulement, sur le pourvoi formé par la compagnie asiatique et africaine contre un jugement rendu le 24 novembre 1960 par le tribunal de première instance de Rabat qui, infirmant la décision du tribunal de paix de Kénitra du 19 avril 1960, a déclaré l'action civile de la Compagnie asiatique et africaine éteinte par la prescription.
18 mai 1961
Dossier n° 7167
La Cour,
Vu les mémoires produits, mais écartant des débats celui déposé hors délai au nom de An Ab Aj Ah ;
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION, pris de la « violation et fausse application des articles 632 et 638 du Code d'instruction criminelle, 13 du dahir du 28 avril 1925, ensemble défaut ou insuffisance de motifs, manque de base légale » ;
Attendu qu'en insérant dans le texte essentiellement pénal du dahir du 28 avril 1925 la disposition de l'article 13 limitant à six mois la durée de la prescription de l'action en réparation du dommage causé par les infractions prévues à ce dahir, le législateur a dérogé à la règle de la solidarité de la prescription des actions publique et civile, posée dans les articles 637 et 638 du Code d'instruction criminelle applicable à l'époque des faits ;
Attendu toutefois que cet article 13 ne dispose que pour le cas où, en l'absence d'acte interruptif de prescription, l'action civile n'a pas été intentée dans le délai de six mois ; que si avant l'expiration de ce délai des actes de poursuite ou d'instruction sont venus interrompre cette courte prescription, il y a lieu de se reporter aux dispositions générales du Code d'instruction criminelle, dont les articles 637 et 638 prévoient en ce cas que l'action civile et l'action publique ne se prescrivent en matière de délit qu'après trois années révolues à compter du dernier acte interruptif ;
Attendu qu'en l'espèce, les juges d'appel, pour déclarer l'action civile éteinte par prescription, se sont bornés à constater que plus de six mois s'étaient écoulés entre la date des faits délictueux et celle où l'action civile avait été engagée ; qu'ils n'ont pas ainsi donné de base légale à leur décision ;
Qu'ils avaient en effet l'obligation de rechercher si, dans les six mois suivant le jour où les
dégâts avaient été commis, aucun acte de poursuite ou d'instruction n'était venu interrompre la courte prescription édictée par l'article 13 susvisé ; que cet examen s'imposait d'autant plus que la décision de première instance faisait état d'un procès-verbal de gendarmerie du 28 janvier 1959 qui avait interrompu la prescription de l'action publique ;
PAR CES MOTIFS
Casse et annule entre les parties au présent arrêt, mais en ce qui concerne les intérêts civils
seulement, le jugement rendu le 24 novembre 1960 par le tribunal de première instance de Rabat ; Pour être à nouveau statué conformément à la loi, dans la limite de la cassation intervenue,
renvoie la cause et les parties devant le même tribunal autrement composé.
Président : M. Ac. - Rapporteur : M. Am. - Avocat général : M. Ad. - Avocats : MM. Lorrain, Allalouche.
Observations
I. - Sur le premier point : V. la note, premier point, sous l'arrêt n° 725 du 27 oct. 1960.
II. - Sur les deuxième, troisième, quatrième et cinquième points : Aux termes de l'art. 13 Dh. 28
avr. 1925, relatif à la protection des cultures, récoltes et plantations contre les dommages causés par les bestiaux, « les actions en réparation du dommage causé se prescrivent par six mois, à dater du jour où les dégâts ont été commis»,
Cette règle dérogeait au principe de la solidarité des prescriptions des actions publique et civile, édictée par les art. 637 et 638 de l'ancien C. instr. Crim. En effet, la prescription des deux actions avait en principe le même point de départ, la même durée, le même caractère d'ordre public et les actes qui interrompaient l'une avaient le même effet à l'égard de l'autre (Donnedieu de Vabres, n° 1143 ; Bouzat et Pinatel, 2, nos 1071 s. ; Rép. Crim., V° Prescription, par Al Ao et Ai
Ag, nos 63 s. ; V°Action civile, par Ak Aa, nos118 s. ; Garraud, I,t. 2, n° 738 ; Ao et Levasseur, I, n° 198 ; Vitu, PP. 175 s. ; Af Ae,La théorie de la prescription des actions en procédure pénale, dans l'ouvrage quelques aspects de l'autonomie du droit pénal, 1956, pp. 103 s.).
Mais lorsqu'une loi spéciale instituait un délai particulier pour la prescription et ne fixait pas les effets de l'interruption, la jurisprudence considérait que l'acte interruptif substituait à la courte prescription celle du droit commun (Crim. 20 sept. 1828, B.C. 227 ; 5 juin 1841, S. 1842. I. 946 ; 17 mars 1866, D.P. 1866. I. 509 ; 13 avr. 1883, D.P. 1884. 5. 64 ; 22 juil. 1890, s. 1891. 2. 21 ; 26 janv. 1906, S. 1909. I. 281 et la note de M. A. Roux ; 15 déc. 1911, S. 1912. I. 421 ; 14 mars 1918, B.C. 62 ; 9 mars 1929, D.P. 1930. I. 56 ; 18 mai 1955, B.C. 253 ; Rép. crim., loc. Cit., n° 87 ; Vitu, p. 174).
La Chambre criminelle adopte cette solution en ce qui concerne la courte prescription prévue par l'art. 13 Dh. 28 avr. 1925, dont les dispositions ne fixent pas les effets de l'interruption.
L'art. 14, al. 1er, C. proc. Pén. Dispose aujourd'hui que « l'action civile ne se prescrit que selon les règles admises en matière civile » (Comp. l'art. 10 C. Proc. Pén. franç., modifié par ordonn. 23 déc. 1958).
Sur le manque de base légale, V. La note, troisième point, sous l'arrêt n° 732 du 3 nov. 1960.