224-60/61 20 juin 1961 4317
Aa Ab Ac Ae c/ Barek ben Bachir.
Cassation d'un arrêt de la Cour d' appel de Rabat du 3 juillet 1959.
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE, PRIS EN SES DEUX BRANCHES:
Vu l'article 12 du dahir du 24 niai 1955 ;
Attendu qu'il résulte de ce texte que le propriétaire qui, au motif, présumé sincère, qu'il veut démolir puis reconstruire son immeuble, refuse de renouveler le bail de son locataire commerçant, n'est tenu de payer à celui-ci qu'une indemnité dont le montant ne peut excéder trois ans de loyer ;
Que le locataire n'a, dans ce cas, que les droits que lui confèrent les alinéas 2 et 3 de l'article 12 et qu'il importe peu qu'après reconstruction le propriétaire crée lui même dans le nouvel immeuble un fonds de commerce similaire a celui que le locataire exploitait ;
Attendu que Aa Ab Ac Ae ayant refusé de renouveler le bail du local à usage de four à pain qu'occupait Barek ben Bachir, donnant comme motif de son refus, dans l'acte par lequel il lui avait fait notifier sa décision, que l'immeuble devait être démoli puis reconstruit, le tribunal d'Oujda saisi par le locataire d'une demande en paiement d'une indemnité d'éviction avait alloué à celui-ci, après expertise, une indemnité égale à trois ans de loyer, conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article 12 du dahir susvisé et lui avait réservé les droits définis aux alinéas suivants ;
Que pour motiver la décision par laquelle elle a condamné Aa à payer l'indemnité égale au préjudice subi, prévue par l'article 10 du même dahir, la Cour d'appel s'est fondée sur la déclaration qu'il avait faite lors de la tentative de conciliation et selon laquelle il désirait exercer son droit de reprise «pour reconstruire et exploiter le four à titre personnel» ; que la Cour d'appel a déduite de cette déclaration que Aa «allait s'approprier le fonds litigieux après en avoir dépossédé son locataire, même s'il opère une transformation» et que «le véritable motif du congé est la reprise personnelle et non la démolition de l'immeuble» ;
Attendu que Aa avait produit aux débats les plans de la boulangerie moderne qu'il avait l'intention d'installer à la place du four «banal» exploité par Barek, ainsi que l'autorisation de bâtir que lui avait délivrée le bureau des constructions des services municipaux ;
Or, attendu que, bien que ces pièces le lui eussent permis, la Cour d'appel s'est abstenue d'apprécier, d'après l'importance des travaux à exécuter, si l'immeuble serait effectivement démoli puis reconstruit ainsi que l'affirmait Aa dont les dires devaient être considérés comme
sincères jusqu'à preuve du contraire, ou s'il n'y serait procédé qu'à de simples transformations ou aménagements ;
D'où il suit que l'arrêt attaqué ne permet pas à la Cour suprême d'exercer son contrôle sur l'application qu'il a faite de l'article 10 au lieu de l'article 12 du dahir du 24 mai 1955 , et par là,
manque de base légale ;
PAR CES MOTIFS
Casse.
Président: M Mazoyer-Rapporteur: M Hauw-Avocat général: M CA B Ad, Gayet et Viaque.
Observations
Aux termes de l'art 10 Dh 24 mai 1955, le propriétaire qui refuse de renouveler le bail d'un local à usage commercial, industriel ou artisanal est tenu de verser à son locataire «une indemnité d'éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement». Toutefois, dans certains cas prévus aux art 11 et s de ce Dh, le locataire ne peut prétendre à aucune indemnité ou n'a droit qu'à une indemnité réduite. En particulier, selon l'art 12, lorsque propriétaire décide de démolir l'immeuble pour le reconstruire, l'indemnité est au plus égale à trois années de loyer, mais le preneur peut rester dans les lieux jusqu'au commencement effectif des travaux et il bénéficie d'un droit de priorité pour conclure un nouveau bail dans l'immeuble reconstruit.
Il s'agissait en l'espèce pour les juges du fait de déterminer s'il convenait d'appliquer les dispositions de l'art 12 ou celles de l'art 10, alors que le bailleur avait bien manifesté son intention de démolir pour reconstruire, mais qu'il avait également déclaré vouloir exercer lui-même dans l'immeuble reconstruit le commerce du preneur. Se fondant sur cette déclaration, la Cour d'appel avait cru devoir allouer au locataire l'indemnité d'éviction droit commun prévue en cas de refus de renouvellement pur et simple. La cassation prononcée par l'arrêt rapporté pour manque de base légale s'explique par les considérations suivantes:
1°Pour l'application de l'art 12, il suffit que le bailleur motive son refus de renouvellement
par sa volonté de démolir pour reconstruire en fait, il justifie de cette volonté en produisant le plan des travaux et le permis de construire de l'administration et il appartient aux juges du fait de vérifier qu'il s'agit bien d'une démolition suivie d'une reconstruction, et non pas simplement de transformations et d'aménagements. Mais aucune autre condition n'est exigée.
2°Il importe peu, dès lors, que le bailleur agisse dans le but de s'installer à la place du preneur. En effet, le propriétaire qui conclut un bail ne s'engage pas, pour autant, à ne pas faire concurrence à son locataire, et rien ne lui interdit d'exercer le même commerce le locataire est d'ailleurs protégé à la fois par le droit de priorité prévu aux art 12 al 3, et aux art 13 et 14, et par les dispositions de l'art 20 sanctionnant la fraude du bailleur.