Rejet du pourvoi formé par Ah Ad contre un arrêt rendu le 7 février 1961 par la Cour
d'appel de Rabat qui l'a débouté de sa demande en dommages- intérêts dirigée contre Ag Aa.a.
29 juin 1961
Dossier n° 7375
La Cour,
Vu le mémoire produit pour le demandeur, mais écartant des débats celui déposé tardivement
par Ag ;
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris de la « violation de l'article 492 du Code
de procédure pénale en ce que l'arrêt attaqué met à la charge de l'accusé acquitté exerçant l'action prévue par cet article, la preuve dans les termes du droit commun d'une faute commise par la partie civile, alors qu'en instituant en matière criminelle où le renvoi à l'audience ne peut être ordonné que par la Chambre d'accusation cette action spéciale, le législateur a nécessairement entendu tirer la preuve de cette faute de la décision même d'acquittement rendue par le tribunal criminel» ;
Attendu qu'en instituant une action en dommages- intérêts au profit de l'accusé acquitté, l'article 492 du dahir du 10 février 1959 formant Code de procédure pénale n'a pas dérogé au principe général de la responsabilité civile édicté par les articles 77 et 78 du Code des obligations et contrats : qu'en conséquence l'accusé ne peut obtenir des dommages- intérêts qu'en rapportant la preuve d'une faute de la partie civile que la décision d'acquittement du tribunal criminel ne fait pas présumer ;
Qu'à l'appui de sa prétention d'échapper au fardeau de cette preuve, le demandeur au pourvoi
ne saurait tirer argument du renvoi ordonné par la Chambre d'accusation, l'arrêt de cette Chambre impliquant seulement que les griefs de la partie civile avaient tout au moins été corroborés par l'existence de charges suffisantes ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
SUR LE SECOND MOYEN DE CASSATION en ses deux branches, pris de la «violation des
articles 77 et 78 du dahir formant Code des obligations et contrats, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale, en ce que pour l'appréciation de la faute « même légère » commise par Ag, la Cour d'appel n'a tenu aucun compte de deux éléments qui lui avaient pourtant été formellement soumis par voie de conclusions et a ainsi laissé sans réponse partielle lesdites conclusions savoir :
« a) d'une part, l'inopposabilité à Ag des lettres arguées de faux qui avaient été échangées entre l'exposant et Aj et par suite, le défaut d'intérêts réel de la plainte en faux,
« b) d'autre part la possibilité qu'avait Ag en tout état de cause, de faire vérifier l'authenticité de ces lettres par une procédure purement civile de sorte que le choix de la voie pénale constituait en lui-même une légèreté coupable » ;
Attendu que s'ils ont l'obligation de répondre aux moyens régulièrement formulés par les parties les tribunaux ne sont pas tenus de suivre celles-ci dans le détail de leur argumentation ;
Attendu qu'à l'appui de sa demande en dommages-intérêts dirigée contre Ag, Ah invoquait comme moyen, dans ses conclusions d'appel, la faute au moins légère commise par Ag en le poursuivant pour faux et usage de faux devant la juridiction répressive ainsi que le défaut d'intérêt qu'il avait à arguer de faux les pièces incriminées ; que pour démontrer le caractère fautif du comportement de Ag, il invoquait dans lesdites conclusions l'inopposabilité à celui- ci deux lettres arguées de faux qui auraient été échangées entre lui et Aj et le fait qu'en tout état de cause Ag avait la possibilité de faire vérifier par la juridiction civile l'authenticité de ces deux lettres ;
Attendu qu'après avoir rappelé les circonstances de la cause, en précisant que les lettres arguées de faux avaient été adressées par Aj à Ah, et qu'une demande en rétractation formée par Ag devant la juridiction civile et basée sur l'altération de la vérité dans l'une des lettres n'avait pas abouti, la Cour d'appel qui a débouté Ah de sa demande en dommages-intérêt énonce : « que de l'ensemble des faits ci-dessus analysés, il résulte que Ag a pu légitiment croire qu'il était victime d'un concert frauduleux ayant existé entre Ah et Aj et qu'il avait un intérêt légitime et sérieux à faire juger que les lettres incriminées étaient des faux. » puis constate « qu'il ne se dégage pas des éléments de la procédure criminelle que, soit lors du dépôt de la plainte, soit lors de l'appel de l'ordonnance de non-lieu, soit devant la juridiction de renvoi, Ag ait agi avec mauvaise foi ou malice ou avec légèreté ou d'une manière téméraire ou imprudente» ;
Attendu qu'ainsi la Cour d'appel a régulièrement répondu aux conclusions dont elle était saisie
et qu'aucun grief ne saurait lui être fait de n'avoir pas plus explicitement statué sur la partie desdites conclusions concernant l'inopposabilité à Ag des lettres arguées de faux et la possibilité qu'avait celui-ci de saisir la juridiction civile plutôt que d'agir par la voie pénale, les circonstances ainsi invoquées ne constituant que des arguments produits par le demandeur à l'appui de son moyen ;
Qu'en conséquence le moyen ne saurait être accueilli ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M Ac . - Rapporteur : M. Ab . - Avocat général : M Ruolt - Avocats : MM. Fernandez et Botbol, Lorrain.
Observations
I.- Sur le premier point : V. la note, premier point, sous l'arrêt n° 725 du 27 oct. 1960.
II. -Sur le deuxième point : L'art. 492 C.proc. pén. prévoit que « l'accusé acquitté ou absous
peut, dans les trois mois du jugement, introduire une action en dommages-intérêts contre la partie civile ».
« Cette action est portée par voie de citation directe devant le tribunal correctionnel qui a été appelé à constituer le tribunal criminel. Ce tribunal est saisi du dossier de la procédure et du procès- verbal des débats ».
« Il est alors statué dans les formes prévues à l'art.99 ».
L'art. 358, al. 4, C. instr. crim. prévoyait déjà une action en dommages-intérêts formée par
l'accusé contre ses dénonciateurs pour fait de calomnie.
L'action en dommages-intérêts fondée sur l'art. 492 C. proc.pén .est soumise aux principes
généraux de la responsabilité civile des art.77 et 78 C. oblig. et contrats et il ne peut être fait droit à la demande de l'accusé que si ce dernier rapporte la preuve d'une faute de la partie civile.
Il a été jugé par la Cour de cassation (Crim. 23 mars 1821, B.C.42) qu'une dénonciation « peut être fondée sur des indices suffisants pour qu'il en résulte que l'auteur de la dénonciation a eu de justes motifs de la faire, qu'il n'a agi ni avec légèreté, ni avec indiscrétion et qu'ainsi il ne peut être passible d'aucune réparation civile ».
III. -Sur le troisième et le quatrième points : Si le défaut de réponse aux conclusions équivaut
au défaut de motifs et entraîne la cassation de la décision (Arrêt n° 195 du 5 févr. 1959,Rec. Crim.t. 1. 54 ; Faye, nos 83 s. ; Le Poittevin, Art. 190, nos 204s. ; Le Clec'h, Fasc. III, nos 313, 319 s. ; Rép. pr. civ., V°Cassation, par Ai Ak, nos 2119 et 2172 s. ; Rép. crim., V°Cassation, par Af Ae, n° 339), les juges du fond ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation (Arrêt nos 542 du 4 févr. 1960, Rec. Crim. t.1.201 ; 591 du 24 mars 1960, ibid. 250 ; 650 du 26 mai 1960, ibid. 282 et 910 du 23 juil. 1961, publié dans ce volume ; V. également la note (III) sous l'arrêt n° 542 précité,Rec. Crim. t. 1. 205).