Rejet du pourvoi formé par Ben Ad A ben Driss contre l'arrêt rendu le 16 mai 1961 par la cour d'appel de Rabat qui l'a condamné à un mois d'emprisonnement avec surcis et 200 dirhams d'amende pour fraude alimentaire .
20 juillet 1961
Dossier n° 8114
La cour, SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris de la « violation de formes de la loi, en ce
que la décision rendue mentionne que l"arret a été rendu « entre M .le procureur général d'une part et ben Ad », alors que la cour d'appel de Rabat ne comporte pas de procureur général, et que c'est l"Avocat général doyen qui est le chef du paquet de la cour » ;
Attendu que l'inexactitude du titre attribué par l'arrêt attaqué au chef du paquet général prés la cour d'appel, si elle témoigne du manque de soin apporté à la rédaction de la minute, ne saurait cependant donner ouverture à cassation puisqu'elle n'entre dans aucun des cas de nullité des jugements ou arrêts qu'énumère limitativement l'article 352 du code de procédure pénale ; d'ou il suit que le moyen doit être rejeté ;
SUR LE SECOND MOYEN DE CASSATION, pris de la « dénaturation des déclarations de l"inculpé, absence de base légale ,en ce que la cour soutient que des déclarations faites par le requérant à l"enquête préliminaire il résulte » qu'il exerçait un contrôle direct personnel permanent sur le lait provenant de la traite de ses vaches ainsi que sur les manipulations que ce lait était appelé à subir préalablement à la vente » , alors que ces déclarations ne permettent nullement d'aboutir à ce résultat » ;
Attendu que le demandeur ne saurait remettre en question devant la cour suprême, sous prétexte de dénaturation et à l'aide d'éléments pris en dehors de la décision attaquée et empruntés à l'information, les faits souverainement constatés par les juges du fond ;
D'ou il suit que le moyen est irrecevable ;
SUR LE TROISIEME MOYEN DE CASSATION, pris de la « violation du dahir du 14 octobre
1914 et du dahir du 26 décembre 1951 qui l"a modifié, insuffisance de motifs, absence de base légale, en ce que les juges d'appel ont estimé que « sa mauvaise foi est évidente, dés lors qu"étant producteur, il lui appartenait de vérifier ou de faire vérifier la qualité de son produit avant de le livrer à la vente », alors que l"absence de vérification de la qualité du produit ne peut pas permettre de conclure à la mauvaise foi, et alors que seule l'intention frauduleuse dont la preuve incombe au ministère public est un élément constitutif du délit de tromperie ou de fraude sur les marchandises vendues ;
Mais attendu qu'en matière de tromperie sur la teneur en principes utiles de la marchandise vendue, si le fait que le vendeur a négligé de vérifier la pureté de la marchandise ne saurait à lui seul créer à l'encontre de celui-ci une présomption de mauvaise foi, les juges du fond peuvent, lorsque d'autres circonstances tendent à établir la mauvaise foi, faire état du défaut de vérification pour déclarer l'existence de l'élément intentionnel ;
Attendu que la cour d'appel a expressément écarté les allégations du prévenu selon lesquelles il aurait été absent de Taza à la date du mouillage du lait, qu'elle a également adopté les motifs non contraires des premiers juges, qui avaient fait état dans leur décision de l'existence de trois prélèvements distincts effectués le même jour, en deux endroits différents, et ayant révélé que le fait mis en vente par le prévenu état mouillé à 20 % dans deux cas et à 10 % dans le troisième, qu'elle a déclaré que la mauvaise foi du prévenu était évidente, en constatant qu'il lui appartenait comme producteur de lait de vérifier ou de faire vérifier la qualité de son produit avant de le livrer à la vente ;
Attendu que de l'ensemble des faits ainsi constatés, les juges d'appel ont pu déduire l'intention frauduleuse du prévenu ;
D'ou il suit que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président: M.Deltel-Rapporteur : M.Voelckel- Avocat général : M.Ruolt-Avocat : Me Benchétrit .
Observations
I - Sur le premier point : l'inexactitude du titre de procureur général attribué par la décision attaquée au chef du parquet général prés la cour d'appel de Rabat, alors que ce magistrat n'avait, à l'époque, que le titre d'avocat général, ne pouvait donner ouverture à cassation.
Depuis le prononcé de l'arrêt de la chambre criminelle, un dahir n° I 61 .353 du 9 chaabane 1381 (16 janv 1962, B.O 1962 .150° a, dans son art unique, prévu que « nonobstant toutes dispositions actuellement en vigueur, le titre de procureur général prés les cours d'appel est substitué à celui d"avocat général prés lesdites cours ».
II -Sur le deuxiéme point : V.la note, septième point, sous l'arrêt n° 726 du 27 oct 1960. III- Sur les troisième et quatrième points : Aux termes de l'art 1er Dh 14 oct 1914, modif par
Dh 19 mars 1916, « il est interdit de tromper ou de tenter de tromper le contractant : soit sur la nature,
les qualités substantielles, la composition, la teneur en principes utiles de toutes marchanditielles, la composition, la teneur en principes utiles de toutes marchandises ; ».
Il a été jugé, sur la base de l'art 1er de la loi française du 1er août 1905, qui punit également le fait d'avoir « trompé ou tenté de tromper le contractant », que la tromperie ne constitue un délit que si elle a été commise avec intention frauduleuse et que cette intention, dont la preuve incombe au ministère public et à la partie civile, doit être constatée par les juges du fond (crim 15 oct 1957, J.C.P 1958 II 10696 BIS et la note de M René Meurisse).
L'intention frauduleuse n'a cependant pas besoin d'être affirmée expressément, elle peut s'induire des circonstances de fait retenues par la décision (V.crim 26 oct 1954, J.C.P 1955 II 8525 bis et la note de M Ac B, D 1955.48 et la note de M.Jacques Liotard, 17 juil 1913, Bc 355, 6 août 1921 ; BC 337. 8 déc 1928, BC 294 , 2 mars 1950, BC 105).
Ces circonstances doivent être précisées (crim 29 nov 1945, BC 126, 3 janv 1947, D 1947.118, 2 déc 1948, BC 272, 2 juil 1959, BC 343) et la seule négligence ne saurait suffire (crim 28 mai 1941, DA 1941 1941.260 ; 2 mai 1946, S 1947 I 96).
S'il n'existe en la matière, ainsi que le relève l'arrêt ci-dessus rapporté, aucune présomption de mauvaise foi (V, dans le même sens, crim 28 mai 1941, précité, 16 févr 1956, D 1956, somm 130), il a été décidé que les juges du fond peuvent cependant trouver la preuve de l'intention frauduleuse du prévenu, commerçant en gros, dans la circonstance qu'il n'aurait pas vérifié la marchandise sortant de ses entrepôts, ou elle subissait diverses manipulations, avant de la mettre en vente sous une dénomination satisfaisant aux prescription légales qui en fixaient la composition (crim 15 févr 1956, D 1956 ,somm 130).
Ces deux arrêts des 15 et 16 févr 1956, rendus à un jour d'intervalle, ont été interprétés par la doctrine, le premier, comme une manifestation de la tendance « sévére » de la Cour à l'égard des fraudeurs et, le second, comme semblant « vouloir s"écarter de cette sévérité » (Ab Aa, Rev.science. crim 1961, 119, n° 7, A, v .également la note signée R.M .sous trib .corr.verdun , 29 AVR 1960 , J.C.P 1960 II 11652 première colonne, comp Angers, 4 mai 1961, J.C.P 1961 II 12160 et la note de M.Henry Delpech).
En réalité, la juridiction de cassation n'est ni sévère ni indulgente à l'égard des fraudeurs et elle ne fait, lorsqu'elle rejette un pourvoi ou casse une décision, qu'exercer, en droit, le pouvoir de contrôle qui lui est dévolu par la loi. Que le prévenu soit fabricant, intermédiaire ou vendeur, elle exige que les circonstances de fait caractérisant la mauvaise foi soient précisées par les juges du fond (crim 29 nov 1945, 3 janv 1947, 2 déc 1948 et 2 juil 1959 précités) et elle casse, pour manque de base légale, les décisions dont les énonciations ne lui permettent pas d'exercer son contrôle .
La lecture des décisions montre d'ailleurs que l'insuffisance des motifs de fait relatifs à la mauvaise foi provient très souvent de l'hésitation des juges du fond qui n'ont pu parvenir à se former une conviction sur l'existence ou l'absence de l'élément intentionnel de l'infraction dans l'affaire qui leur était soumise .