14-61/62
Société Marocaine de Pneumatiques Firestone et société «Firestone International C°» C/ société «Akron Maroc»
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d appel de Rabat du 31 mai 1958.
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN:
Attendu qu'il résulte du dossier de la procédure et des énonciations de l'arrêt infirmatif attaqué (Rabat 31 mai 1958) que la société «Firestone International Company» (F.I.C) dont le siège social se trouve à Akron (Ohio) a résilié à partir du mois de février 1955 le contrat dit de «distribution» qu'elle avait passé en 1947 avec la société «Akron-Maroc» et par lequel elle lui avait concédé l'exclusivité de la vente de pneumatiques de sa fabrication dans toute l'étendue de la zone sud du Maroc qu'estimant que cette résiliation était abusive et qu'en outre la F.I.C s'était livrée à son préjudice et de concert avec la Société Marocaine des Pneumatiques Firestone (S.M.P.F) à des actes de concurrence déloyale, la société «Akron-Maroc» a assigné ces deux sociétés en paiement solidaire de dommages-intérêts devant le tribunal de première instance de Casablanca, ville où se trouvent son siège social et celui de la S.M.P.F.
Que le tribunal a mis hors de cause la S.M.P.F et s'est déclaré incompétent à l'égard de la F.I.C ;
Que la société «Akron-Maroc» ayant repris en appel toutes ses conclusions de première instance et demandé aux juges du second degré de statuer au fond par voie d'évocation, la Cour d'appel a infirme le jugement en ce que le tribunal s'était déclaré incompétent à l'égard de la F.I.C, et a renvoyé la cause devant les premiers juges «pour être statué à nouveau à l'égard des parties défenderesses»;
Attendu que le pourvoi fait grief à la Cour d'appel d'avoir ainsi statué en violation des articles 23 et 24 (alinéa 6) du dahir de procédure civile en vertu desquels le tribunal de Casablanca n'aurait été compétent à l'égard de la F.I.C que si celle-ci avait eu son siège social ou une résidence dans sa circonscription ou Si les marchandises vendues paelle à «Akron-Maroc» en exécution du contrat avaient été payables au Maroc, alors que Son siège social se trouve aux Etats-Unis d'Amérique, qu'elle n'a aucune résidence au Maroc et qu'il avait été stipulé à l'article 4 du contrat que les paiements seraient effectués par lettre de crédit, par conséquent aux Etats-Unis ;
Mais attendu que la Cour d'appel, sans fonder sa décision sur l'un ou l'autre des deux textes visés au moyen, a fait exclusivement application des dispositions de l'avant-dernier alinéa de l'article 24 (modifié par le dahir du 3 septembre 1932), au motif que le contrat portait sur des «fournitures» et qu'il devait être exécuté à Casablanca où se trouve le siège social de la société «Akron-Maroc»;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
SUR LE SECOND MOYEN:
Attendu qu'il est également reproché à l'arrêt attaqué d'avoir dénaturé la convention de 1947 en déclarant que «le lieu d'exécution du contrat se trouvait être à Casablanca, port des destination et de livraison des marchandises, suivant les termes mêmes de l'article 3 du contrat», alors que les parties avaient stipulé audit article que les expéditions des Etats-Unis destination de Casablanca seraient faites aux conditions des ventes «F.A.S» (Free Along side ou Aa le Long du Bord) ou F.O.B (Aa Bord) et qu'en conséquence «Akron-Maroc» prendrait livraison des marchandises au port de chargement du navire qui les transporterait des Etats-Unis au Maroc ;
Mais attendu que l'arrêt attaqué énonce d'une part «que le lieu d'exécution du contrat se trouve être Casablanca et d'une façon plus générale le territoire de distribution, c'est-à-dire le Maroc», d'autre part que «la société «Akron-Maroc» s'engageait à vendre et à distribuer exclusivement les produits Firestone sur le territoire du Maroc» ;
Que la Cour d'appel a ainsi exactement défini l'objet du contrat, qui n'était pas un contrat de vente mais un contrat d'exclusivité et qui ne pouvait être exécuté ou enfreint qu'au Maroc quel que soit le lieu où la F.I.C livrerait ses produits à la société «Akron-Maroc» ;
Qu'il suit de là, abstraction faite d'un motif erroné mais qui peut être tenu pour surabondant, que la Cour d'appel a légalement motivé sa décision et que le second moyen ne peut être retenu ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président: M Mazoyer-Rapporteur: M Hauw-Avocat général: M XB C Ab, Ad Ac.c.
Observations
I et II-La réponse de la Cour suprême au premier moyen des demanderesses offre un intérêt
sur le plan de la compétence commerciale en droit interne (1°) et sur celui de la compétence internationale (2°).
1°Par exception à la régie de la compétence du tribunal du domicile, ou à, défaut, de la résidence du défendeur, l'art 24, al 6, C proc civ dispose qu' «en matière commerciale le demandeur peut également porter son action devant le tribunal dans le ressort duquel le paiement devait être effectué» D'autre part, l'avant-dernier alinéa du même article dispose qu'en matière «de fournitures .» l'action peut être portée «devant le tribunal du lieu ou la convention a été contractée ou exécutée, lorsque l'une des parties sera domiciliée dans ce lieu».
Il est hors de doute que la première de ces deux exceptions a une portée générale et concerne toute action née de l'exécution ou l'inexécution d'un contrat commercial (sur la portée générale donnée par la jurisprudence française à la disposition pourtant moins large de l'art 420 C proc civ Français, v Rép com. ; V°Compétence commerciale, n 111 et s).