Irrecevabilité des pourvois formés par Aa Ag et Ae Af contre un arrêt rendu le 26 août 1961 par la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Rabat qui a rejeté leurs demandes de mise en liberté provisoire, en constatant en outre la régularité de la procédure d'instruction préparatoire.
23 novembre 1961
Dossier n°s 8845 et 8846
La Cour,
Attendu que faute par le juge d'instruction d'avoir, dans le délai imparti au troisième alinéa de l'article 156 du Code de procédure pénale, statué sur leurs demandes de mise en liberté provisoire fondées notamment sur des considérations de santé, Allègre et Israël, inculpés placés sous mandat de dépôt, ont saisi directement de ces demandes la Chambre d'accusation par application du cinquième alinéa de cet article , en excipant en outre de la nullité de procès-verbaux selon eux irréguliers ;
Attendu que les articles 191 et 192 du Code de procédure pénale accordent exclusivement au juge d'instruction et au procureur du Roi la faculté de saisir la chambre d'accusation des nullités de l'information ; que l'article 227 du même Code, étant le corollaire des dispositions des articles 191 et 192, ne peut avoir pour effet de rétablir au profit des parties la faculté qui leur est refusée par ces deux articles ; qu'il en résulte que les inculpés n'ont pas qualité pour exercer personnellement, au
cours de l'instruction préparatoire, un recours contentieux en vue de faire constater les nullités qui entacheraient l'information ;
Attendu d'autre part qu'en raison de son caractère exceptionnel et de sa portée exactement déterminée, le cinquième alinéa de l'article 156 ne permet ni aux inculpés de soumettre à la Chambre d'accusation une demande autre que celle de mise en liberté provisoire, ni à la Chambre d'accusation de statuer sur la validité de l'information en étendant d'office à l'ensemble de l'instruction préparatoire sa saisine qui doit au contraire rester strictement limitée à la procédure spéciale de mise en liberté provisoire, puisque l'article 227 n'accorde à cette juridiction que le pouvoir d'examiner la régularité de la procédure qui " lui est soumise" .
Attendu, dés lors, que la prétention des inculpés Allègre et Israël de se prévaloir de la nullité de certains procès-verbaux à l'occasion de la procédure prévue au cinquième alinéa de l'article 156 susvisé ne pouvait avoir que la valeur d'une argumentation venant à l'appui de leurs demandes de mise en liberté provisoire, et n'a point modifié la nature ou la portée de cette procédure spéciale destinée, dans le silence du magistrat instructeur, à faire promptement statuer la Chambre d'accusation sur les mises en liberté provisoire, par un arrêt contre lequel, en vertu de l'article 575 du Code de procédure pénale, aucun pourvoi ne peut être reçu ;
Qu'en conséquence les présents pourvois, par lesquels les deux inculpés demandeurs contestent devant la Cour suprême la régularité de procès verbaux qu'il appartiendra à la juridiction de jugement d'apprécier, et critiquent les motifs admis par la Chambre d'accusation pour refuser les mises en liberté provisoire sollicitées, se trouvent irrecevable ;
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevables les pourvois formés par Allègre et Israël.
Président : M. Deltel.- Rapporteur : M. Zehler.- Avocat général : M. Ab. - Avocats : MM. Vallet,Meylan, Lorrain.
Observations
I - Sur le premier point.- Aux termes de l'art.191 C. proc. pén :
" S'il apparaît au juge d'instruction qu'un acte de l'information est frappé de nullité, il saisit la Chambre d'accusation en vue de l'annulation de cet acte, après avoir pris l'avis du procureur du roi et en avoir avisé l'inculpé et la partie civile."
" S'il apparaît au procureur du Roi qu'une nullité a été commise, il requiert du juge d'instruction communication de la procédure en vue de sa transmission à la Chambre d'accusation et présente à cette chambre une requête aux fins d 'annulation."
" Dans l'un et l'autre cas, la Chambre d'accusation procède comme il est dit à l'article 227" .
L'art.192 du même Code prévoit que : " Il y a également nullité en cas de violation des dispositions substantielles du présent titre, autres que celles édictées aux articles 127, 128 et 132, lorsque cette violation a eu pour conséquence de porter atteinte aux droits de la défense de toute partie en cause."
" La Chambre d'accusation décide si l'annulation doit être limitée à l'acte visé ou s'étendre partiellement ou totalement à la procédure ultérieure."
" Une partie peut toujours renoncer à se prévaloir des nullités édictées dans son seul intérêt. Cette renonciation doit être expresse."
" La chambre d'accusation est saisie conformément à l'article précédent et statue ainsi qu'il est dit à l'article 227" .
Cet art. 227 est ainsi conçu : " La Chambre d'accusation examine la régularité de la procédure qui lui est soumise.
" Si elle découvre une cause de nullité, elle prononce la nullité de l'acte qui en est entaché et, s'il y échet, celle de tout ou partie de la procédure ultérieure."
" Après annulation, elle peut soit évoquer et procéder dans les conditions prévues aux articles 222, 223 et 225, soit renvoyer le dossier de la procédure au même juge d'instruction ou à tel autre afin de poursuivre l'information" .
I.- Les deux premiers al. De l'art.191 et le dernier al. de l'art.192 C. proc.Pén attribuant exclusivement au juge d'instruction et au procureur du Roi le droit de saisir la Chambre d'accusation des nullités de l'instruction préparatoire, l'inculpé n'a pas qualité pour exercer personnellement ce recours qui lui était également refusé sous l'empire du C. instr. crim.(Crim.17 nov. 1900, D.P 1901.1.253 et le rapport du conseiller Laurent-Atthalin ; 24 nov.1937, B.C. 214 ;16 nov.1950, J.C.P 1951.II.6033 et la note de M. Ai Ac). Il lui appartient de se prévaloir de la nullité devant la juridiction de jugement, qui a le pouvoir d'annuler l'acte irrégulier et les actes d'information qui l'ont suivi (V. sous l'empire du C. instr. crim : Crim.4 févr. 1898, D.P. 1898.1.229. 8 déc. 1899 , D.P.19001.31. Rep. crim. V° Instruction préparatoire, par Ai Aj, n°s0238 et 243 ; V. également : Crim.16 mai 1962, J.C.P 1962.II.12808 et la note de M. Ad Ah).
II.- Sur le deuxième point. - En application de l'art.156 C. proc. Pén., la mise en liberté provisoire peut être demandée à tout moment par l'inculpé au juge d'instruction qui doit statuer, par ordonnance spécialement motivée , au plus tard dans les cinq jours de la communication au procureur du Roi.
Faute par le juge d'instruction d'avoir statué dans ce délai, l'inculpé peut saisir directement de sa demande la Chambre d'accusation. Le même droit appartient au procureur du Roi.
Ce droit, nouveau, a un caractère exceptionnel et une portée limitée ; il ne permet à l'inculpé
que de saisir directement de sa demande de mise en liberté provisoire la Chambre d'accusation et cette juridiction ne peut par suite, étendre d'office sa saisine à l'ensemble de l'instruction préparatoire (Comp. L'art.141 C. proc. pén. français).
III - Sur le troisième point.- En ce qui concerne l'application de l'art.575 C.proc.pén, v. la note (1) sous l'arrêt n°846 du 23 mars 1961, Rec.Crim.t.2.203.