Rejet du pourvoi formé par Aa Ac Ad contre un arrêt rendu 8 juillet 1961 par
la Cour d'appel de Rabat qui l'a condamné, pour diffamation envers un ministre à l'occasion des fonctions de celui-ci, à la peine de 1000 dirhams d'amende avec sursis et à payer à m'hamed Douiri, partie civile, la somme d'un franc à titre de dommages-intérêts, la publication de la décision dans cinq journaux étant en outre ordonnée.
7 Décembre 1961
Dossier n° 8486
La Cour ;
SUR LE PREMIER MOYEN de cassation pris de la " violation de la loi, défaut de base légale et défaut de motifs, en ce que l'arrêt incident du 5 juillet 1961 a rejeté la citation de témoins complémentaires présentée en cause d'appel, au motif que d'une part, l'article 73 du dahir du 15 novembre 1958 formant Code de presse au Maroc dont le caractère est d'ordre public prévoit une déchéance pour toute citation de témoin présentée plus de cinq jours après notification de la citation à l'audience, et que d'autre part, l'article 430, alinéa 4, du dahir formant Code de procédure pénale n'autorise qu'exceptionnellement l'audition de nouveau témoins en cause d'appel, alors que d'une part, le prévenu a présenté sa liste de témoins pour établir à titre principal l'existence de faits justificatifs et à titre subsidiaire la bonne foi de la reproduction des imputations jugées diffamatoires (cf. Conclusions déposées en ce sens) ce qui, pour le subsidiaire, échappe à la déchéance édictée par l'article 73 du dahir 15 novembre 1958, la preuve de la bonne foi n'étant soumise à aucune règle de forme particulière autre que celles édictées par le droit commun (cf.encore conclusions déposées à ce sujet par le prévenu) et que d'autre part, l'article 430, 4 e alinéa, du dahir formant Code de procédure pénale ne peut recevoir application en la cause soumise à la cour d'appel dés lors que celle-ci était appelée après prononcé de son arrêt du 5 juillet 1961 à procéder elle-même à l'instruction qui n'a pas eu lieu devant les premiers juges dont la décision a été sur ce point infirmée, ce qui entraînait évocation et rétention de l'affaire, pour être examinée non pas suivant la procédure normal applicable à l'appel, mais suivant ces conditions mêmes qui se trouvent prescrites en première instance" :
Attendu que, par son pourvoi formé en temps utile contre l'arrêt qui a statué définitivement au
fond, le demandeur a acquis le droit de se prévaloir des irrégularités commises dans les arrêts qui ont préparé cet arrêt définitif et sont censés faire corps avec lui ; que dès lors, le moyen, dirigé contre l'arrêt incident du 6 juillet 1961, se trouve recevable ;
Attendu que, par arrêt avant dire droit du 13 juin 1961, la cour d'appel, infirmant un jugement
du tribunal de première instance de Casablanca du 15 décembre 1960, a ordonné l'audition des témoins dont Ad, prévenu de diffamation envers un ministre à l'occasion de ses fonctions, avait en application de l'article 73 du Code de la presse, notifié la liste à la partie poursuivante ; que, par arrêt incident du 6 juillet 1961, elle a rejeté la demande de Ad tendant à faire entendre d'autres témoins pour prouver tant la vérité des faits diffamatoires que sa bonne foi ;
Attendu qu'en ce qui concerne la preuve de la vérité des faits diffamatoires, la cour d'appel a estimé à bon droit que, les dispositions de l'article 73 du Code de la presse étant impératives et d'ordre, public, l'arrêt infirmatif du 13 juin 1961, qui ordonnait l'audition des témoins figurant sur la liste notifiée, n'avait pu avoir pour effet d'ouvrir un nouveau délai permettant la notification d'une liste complémentaire de témoins ;
Qu'en ce qui concerne la preuve de la bonne foi du prévenu, la Cour d'appel ne s'est pas référée
à l'article 73 précité, mais après avoir cru devoir rappeler que l'article 430 (alinéa 4) du Code de procédure pénale rend exceptionnelle l'audition des témoins en cause d'appel, a souverainement décidé que l'audition de nouveaux témoins s'avérait en l'espèce inutile, «dix-neuf témoins ayant déjà été cités pour prouver non seulement la vérité des faits diffamatoires mais encore la bonne foi et la bonne moralité du prévenu" ;
D'où il suit que, abstraction faite du rappel erroné mais surabondant de l'article 430 (4e alinéa inapplicable alors que la Cour d'appel statuait par évocation aux lieu et place du premier juge, l'arrêt attaqué se trouve légalement justifié ; qu'en conséquence le moyen doit être rejeté ;
SUR LE SECOND MOYEN DE CASSATION, pris de la " violation de la loi, défaut de base
légale et de motifs, en ce que l 'arrêt du 8 juillet 1961 a déclaré le prévenu coupable du délit de diffamation à lui reproché, au motif que d'une part, la loi n'admet en matière de diffamation politique d'autre faits justificatifs que la vérité des imputations diffamatoires et à condition que cette vérité soit établie à l 'audience suivant des règles de forme et de délai impératives, et, que d'autre part la
mauvaise foi résulte de droit de la nature même des imputations et ne saurait être détruite par la circonstance que le prévenu aurait cru en leur exactitude, alors que, d'une part, la relaxe du prévenu peut résulter soit de la preuve du fait justificatif, soit de la destruction de la présomption de mauvaise foi édictée par l'article 50 du dahir du 15 novembre 1958, et que, d'autre part, cette présomption de mauvaise foi peut être écartée par la preuve du défaut d'intention coupable, d'intention malicieuse et d'esprit d'injure chez le prévenu, ce qui paraît avoir échappé à la Cour d'appel de Rabat et qui est en tout cas implicitement mais nécessairement rejeté de sa motivation en ces points, motivation constituant pourtant le soutien nécessaire de la culpabilité retenue, alors surtout que l'arrêt du 5 juillet 1961 rappelle que le prévenu demande à titre subsidiaire que les témoins soient entendus dans le cadre des règles de droit commun, non pas pour établir la vérité des faits diffamatoires, mais pour apprécier sa bonne foi, ce sur quoi il n'a pas été statué après audition des témoins, comme si la bonne foi n'avait pour effet que de faire bénéficier le prévenu des circonstances atténuantes et non de justifier son renvoi des poursuites" :
Attendu que, dans les cas où l'article 49 du Code de la presse permet d'en rapporter la preuve, la vérité des faits diffamatoires relatifs aux fonctions constitue l'unique " fait justificatif" , au sens strict du droit pénal, qui soit prévu par ce Code ; que s'étant bornée à rappeler cette règle, en énonçant" que la loi n'admet en matière de diffamation politique d'autre fait justificatif que la vérité des imputations diffamatoires" , la Cour d'appel n'a pas affirmé par là, comme il lui en est fait grief, l'impossibilité légale de prononcer la relaxe d'un prévenu qui établirait sa bonne foi ;
Attendu d'autre part que, l'intention coupable étant présumée en matière de diffamation, cette intention ressort suffisamment de la déclaration de culpabilité du prévenu, sans qu'il soit nécessaire que les juges du fait en constatent explicitement l'existence, du moment qu'ils ne la dénient pas, qu'en énonçant au soutien de la décision de condamnation que la mauvaise foi résulte «de la nature même des imputations" , la Cour d'appel, par cette énonciation qui révèle que la question de l'intention ne lui avait pas échappé, a implicitement mais nécessairement constaté que la preuve de la bonne foi du prévenu n'était pas rapportée ;
Qu'en conséquence le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt attaqué est régulier en la forme ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M.deltel.-Rapporteur : M. Zehler.-Avocat général : M.Ruolt. - Avocats : M.M El Ab, Bayssière.
Observations
I.- Sur le premier point.-v, dans le même sens, l'arrêt n°704 du 14 juil.1960, Rec.Crim.t.1.331 et la note.
II.- Sur le deuxième point. - aux termes de l'al.1er de l'art.49 dh.15 nov.1958 formant code de la presse au Maroc : " La vérité du fait diffamatoire, mais seulement quand il est relatif aux fonctions, pourra être établie par les voies ordinaires dans le cas d'imputation contre les corps constitués, les armées de terre, de mer ou de l'air, les administrations publiques et contre les personnes énumérées en l'art.46" , c'est-à-dire les ministres, les fonctionnaires, les dépositaires ou agents de l'autorité publique, les personnes chargées d'un service ou d'un mandat public, temporaire ou permanent, les assesseurs ou les témoins à raison de leur déposition. L'al.4. de cet art. précise que : " Si la preuve des faits diffamatoires est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte" .
L'art.73 du même dahir prévoit que : " Quand le prévenu voudra être admis à prouver la vérité des faits diffamatoires.il devra, dans les cinq jours qui suivront la notification de la citation, faire signifier au ministère public prés le tribunal, ou au plaignant au domicile par lui élu, suivant qu'il est assigné à la requête de l'un ou de l'autre :"
" 1° les faits articulés et qualifiés dans la citation, desquels il entend prouver la vérité ;" " 2° la copie des pièces ;"
" 3° les noms, professions et demeures des témoins par lesquels il entend faire sa preuve."
" Cette signification contiendra élection de domicile prés le tribunal, le tout à peine d'être déchu du droit de faire la preuve" .
Ce texte, comme en France l'art.55 de la loi du 28 juil.1881, fixe le délai dans lequel le prévenu qui désire rapporter la preuve du fait diffamatoire doit faire les significations sous peine de déchéance. Ce délai a pour point de départ exclusif la date de la première citation donné au prévenu (crim.31 mai 1949, b.c.204, j. c. p 1949. II., 5207 ; 17 nov. 1954, GAZ. Pal., 1954. 2. 407, s. 1954.1. 39, D. 1954 , somm.29). Il ne peut, par exemple, être prorogé par le nom-comparution du prévenu à l'audience pour laquelle il a été cité et l'opposition à la décision de défaut n'a d'autre effet que de faire tomber la condamnation prononcée sans relever l'opposant de la déchéance encourue (crim.31 mai 1949, précité). De même, la notification d'une nouvelle citation, faite en cas de renvoi de l'affaire, ne peut relever le prévenu de la déchéance et faire courir de nouveaux délais (crim.18 juil.1885, b.c.219 ; 24 juil.1885, b.c.227 ; 12 juin 1896, b.c.190 ; 29 août 1912, b.c.474 ; 28 mai 1957,.b.c.451).
La déchéance a un caractère d'ordre public et un effet absolu (crim.17 nov. 1953, précité, 11 mai 1960, Gaz.pal.1960.2.37 ; rép. crim V° presse, par jean boucheron et guy chavanon, n°970).
III.- Sur le troisième point. - la cour d'appel statue en principe sur pièces et l'art. 430, al.4 C.
proc. pén. rappelle qu'elle n'est pas obligée d'entendre les témoins, cependant, en cas d'évocation, la cour remplit directement le rôle des premiers juges et lorsque l'instruction et les débats de première instance ont été annulés, elle ne trouve plus en la cause les éléments de preuve nécessaires pour former sa conviction. La chambre criminelle en conclut que l'al.4 de l'art.430 c. proc. pén. n'est pas applicable en cas d'évocation.
IV.- Sur le quatrième point.- le prévenu qui a négligé de recourir à la procédure spéciale prévue par l'art.73 Dh 15 nov.1958 (V. supra, II), ou qui a encouru la déchéance édictée par ce texte, ou qui a succombé dans l'administration de la preuve de la vérité du fait diffamatoire peut encore faire la preuve de sa bonne foi (Rép crim, V° presse, par Jean boucheron et guy chavanon, N°971).
Mais les imputations diffamatoires sont légalement présumées faites avec l'intention de nuire (Crim.7 févr.1945, D 1945.254 ; 23 janv.1947, B.C.36, D.1947, somm.9, s.1947.1.76 ; 16 mars 1948,
B.C.96, Gaz.pal.1948.1.195, S.1948.1.87 ; 28 oct.1948, B.C 248 ; 27 janv.1949, b.c.3737 ; 17
févr.1949, B.C.67 ; 1er juil.1949, B.C 224, D.1949.447. 8 août 1949, B.C.283. 28 Avr.1950, Gaz.pal.1950.1.347 ; 20 juin 1952, d.1953, somm.30 ; 18 mai 1954, J.C.P.1954.II.8247 et la note de M.Albert Chavanne ; 28 mai 1957, B.C.451 ; 16 avr.1959, B.C.229 ; Rép.Crim, V° Diffamation, par jean Boucheron, n°s 86s.), et cette intention résulte suffisamment de la déclaration de culpabilité du prévenu sans que les juges du fond aient besoin d'en constater l'existence dès lors qu'ils ne la dénient pas (Crim.4 août 1965, D.P 1866.5.367 ; 11 nov.1865, DP.1867.5.325 ; 18 mars 1881, B.C.81. 15 févr.1894, D.P.1894.1.463).
La présomption de mauvaise foi ne peut être détruite que par la preuve contraire ou par des faits justificatifs suffisants pour faire admettre la bonne foi (Arrêt n°649 du 19 mai 1960, Rec.Crim.t.1.280).