Rejet du pourvoi formé par Ad Ae contre un jugement rendu le 23 août 1961 par le tribunal de première instance de Casablanca qui, statuant sur les poursuites en diffamation non publiques intentées contre Aa Ac sur plainte de Ad Ae, a déclaré les actions publique et civile éteintes par prescription.
18 janvier 1962
Dossier n°8949
La Cour,
SUR L'EXCEPTION D'IRRECEVABILITE DU POURVOI, soulevée par la défenderesse, et tirée des dispositions de l'article 75 du dahir du 15 novembre 1958 selon lesquelles l'action civile ne peut être poursuivie séparément de l'action publique :
Vu ledit article, et les articles 12 et 585 du dahir du 10 février 1959 formant Code de procédure pénale ;
Attendu que la partie civile, qui a porté son action civile devant la juridiction répressive et a de ce fait mis simultanément en mouvement l'action publique, satisfaisant ainsi aux exigences de l'article 75 susvisé, ne saurait, au motif que le ministère public s'est abstenu de se pourvoir en cassation, être elle-même privée de l'exercice de cette voie de recours que l'article 585, alinéa 4, du Code de procédure pénale lui reconnaît expressément, en limitant toutefois les effets aux seuls intérêts civils ;
Que dès lors, présentant par ailleurs les conditions requises, le pourvoi de Lucienne Confais, partie civile ayant régulièrement saisi la juridiction répressive, se trouve recevable, et soumet à la Cour suprême l'appréciation des dispositions à effet civil du jugement attaqué, et, par voie de conséquence, l'examen, mais uniquement en fonction de ses incidences civiles, de la partie du jugement relative à l'action publique qui sert de base à la décision rendue sur l'action civile ;
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris de la «violation des articles 347 et 352 du dahir formant Code de procédure pénale, par défaut de motifs, manque de base légale, en ce que le jugement attaqué, pour déclarer l'action prescrite, s'est borné à constater qu'un délai de plus de cinq mois s'est écoulé entre l'acte d'appel et la citation à l'audience d'appel et à déclarer que, selon une jurisprudence constatante, le jugement et l'acte d'appel sont interruptifs de prescription et que selon les dispositions de l'article 78 du dahir du 15 novembre 1958, après un tel acte, un nouveau délai de même durée prend cours, alors que l'exposante avait expressément demandé au tribunal, par voie de conclusions écrites produites à l'audience et visées par le président, de « dire que ce même appel a interrompu la prescription et l'a en outre suspendu, alors que la concluante ne disposait d'aucun moyen pour faire vider l'appel dans un délai déterminé et que la fixation à l'audience ne devait pas être faite par elle » :
Attendu que, saisi par conclusions de la question de savoir si l'appel d'une décision judiciaire avait pour effet d'interrompre uniquement la prescription des actions publique et civile ou de suspendre en outre le cours de cette prescription, le tribunal de première instance de Casablanca, qui n'était pas tenu de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a tranché le point de droit qui lui était soumis en reconnaissant seulement le caractère interruptif de l'appel, ce qui implique nécessairement le rejet des prétentions relatives à un effet suspensif ;
D'où il suit que, la décision étant légalement justifiée, le moyen doit être rejeté ;
SUR LE SECOND MOYEN DE CASSATION, pris de la «violation des articles 5. 6. 347 et 352
du dahir formant Code de procédure pénale et de l'article 78 du dahir du 15 novembre 1958 par défaut de motifs, manque de base légale et violation de la loi, en ce que le moyen tiré de la suspension a été rejeté par le jugement attaqué aux motifs qu'aux termes d'une jurisprudence constante et des dispositions de l'article 78 du dahir du 15 novembre 1958, après le jugement et l'acte d'appel, un nouveau délai de prescription, égal au premier, commence à courir alors qu'aux termes des articles 5 et 6 du dahir formant Code de procédure pénale, la prescription se trouve, non seulement interrompue par «tout acte de poursuite accompli par l'autorité judiciaire ou ordonné par elle », mais aussi suspendue en cas d'impossibilité d'agir résultant de la loi elle-même et qu'effectivement une fois l'appel interjeté par Madame Aa et par le ministère public l'exposante ne disposait d'aucun moyen pour faire vider l'appel dans un délai déterminé et que la citation à l'audience ne pouvait pas être faite par elle » :
Attendu que par la décision attaqué, le tribunal de première instance de Casablanca a déclaré
que l'appel du ministère public interjeté le 24 janvier 1961 n'ayant qu'un effet interruptif de la prescription, celle-ci se trouvait acquise le 3 juillet 1961, date de l'ordre de citation donné par le parquet ;
Attendu que vainement la demanderesse tente de soutenir que l'appel interjeté par l'une des parties suspendrait nécessairement la prescription à l'égard de l'autre partie privée, puisque cette dernière, ne disposant d'aucun moyen pour faire venir l'affaire à l'audience, se trouverait dans l'impossibilité d'agir ;
Attendu en effet que s'il est d'usage que le ministère public près la juridiction d'appel fixe le jour de l'audience et fasse citer les parties, cette pratique ne saurait faire obstacle à ce que la partie civile, anticipant sur les diligences du parquet, prenne elle-même l'initiative de faire citer les autres parties par le secrétariat greffe pour l'une des audiences de la juridiction d'appel, sauf le pouvoir qui appartient à cette juridiction de renvoyer l'affaire à une audience ultérieure ;
D'où il suit qu'en statuant comme il l'a fait, le tribunal n'a violé aucune des dispositions légales visées au moyen ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président : M. Ab. -Rapporteur : M. Zehler.-Avocat général : M. Ruolt.-Avocats : MM. Cagnoli,Moulieras.
Observations
I. -Sur les premier et deuxième points.-V. les arrêt n°666 du 9 juin 1960, Rec. Crim. t. 1. 303, 692 du 7 juil. 1960, ibid. 321 et 797 du 19 janv. 1961, Rec. Crim. t. 2 145, ainsi que la note (1) sous l'arrêt n°761 du 1er déc. 1960, ibid. 91.
II-Sur le troisième point.-Le défaut de réponse aux conclusions équivaut au défaut de motifs et entraîne la cassation de la décision.
Mais les juges ne sont pas tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation (V. la note (III) sous l'arrêt n°901 du 29 juin 1961, Rec. Crim. T. 2. 285).
Saisi de la question de savoir si l'appel d'une décision judiciaire avait pour effet d'interrompre uniquement la prescription des actions publique et civile ou de suspendre en outre le cours de cette prescription, le tribunal avait seulement et exactement reconnu à l'appel un caractère interruptif (Art. 5 C proc. Pén ; Crim 28 nov. 1857, D.P. 1858. 1. 93 ; 3 nov. 1887, D.P. 1889. 1. 221 ; 23 mars 1893, D.P. 1895. 1. 594 ; 22 janv. 1920, D.P. 1920. 1. 47 ; 22 juin 1944, B.C. 147). Il avait donc par là même répondu aux conclusions et le moyen du demandeur devait être rejeté.
III- Sur les quatrième, cinquième et sixième points.-Il a déjà été jugé que «s'il est d'usage que
le procureur général fixe le jour de l'audience et fasse citer les parties, cette pratique ne saurait en aucun cas faire obstacle à ce que la partie civile, anticipant sur les diligences du parquet, assigne elle même l'appelant dans les formes prévues par le dahir du 12 août 1913 à l'une des audiences de la Cour d'appel, sauf le droit qui appartient au président de la chambre correctionnelle, et, en cas de contestation, à la chambre, de renvoyez le jugement de l'affaire à une audience ultérieure » (Crim. 11 janv. 1956, B.C. 46 ; V. également, dans le même sens, Crim. 26 oct. 1949, B.C. 297).
La partie civile ne se trouvant pas dans l'impossibilité d'agir, la prescription n'est pas suspendue.