Cassation, sur le pourvoi de la compagnie d'assurances Le Secours, dudit jugement, mais uniquement en celles de ses dispositions ayant fixé au jour de l'accident le point de départ des intérêts de la créance indemnitaire accordée à Himy Albert, partie civile.
25 janvier 1962
Dossier nos 8459 et 8459 bis
La Cour,
SUR LA RECEVABILITE :
Attendu que Ab A Ae et Ad A Ae n'ont eu devant la juridiction d'appel d'autre qualité que celle d'intimés ; que n'ayant eux mêmes jamais relevé appel principal ou incident de la décision du premier juge, ils ne sauraient se pourvoir contre le jugement d'appel du 22 avril
1961 qui n'a pas infirmé cette décision à leur détriment et ne peut donc leur faire grief ; qu'en conséquence, les pourvois de ces deux demandeurs se trouvant irrecevables, les moyens invoqués ne peuvent être examinés qu'en tant qu'ils sont présentés par la compagnie d'assurances « Le Secours » ;
SUR LE PRMIER MOYEN, pris de la «violation des articles 347 et 352 du Code de procédure pénale pour défaut de motifs et manque de base légale, en ce que le jugement attaqué a fait siens les motifs du premier juge qui s'était borné à déclarer que devaient être admises les sommes réclamées par la partie civile au titre de pretium doloris et de préjudice d'agrément et a estimé avoir les éléments d'appréciation suffisants de ces deux chefs de préjudice, pour, les séparant avec l'invalidité, allouer à la partie civile une indemnité globale de 47175 dirhams et condamner les requérants au paiement d'une somme complémentaire de 40 000 dirhams, alors que le jugement attaqué n'indique nullement comment la partie civile a pu justifier l'importance de ces deux chefs de préjudice dont les appelants avaient, dans leurs conclusions d'appel, souligné l'insuffisance de justification » :
Attendu que les juridictions répressives apprécient souverainement, dans les limites des conclusions de la partie civile, l'indemnité due à celle-ci, sans être tenues de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ou d'évaluer séparément la réparation afférente à chacun des éléments du préjudice ;
Que dès lors les juges d'appel, qui adoptaient les motifs de la décision du premier juge, ont pu se borner à déclarer avoir des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer le préjudice global subi par la partie civile ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
SUR LE DEUXIEME MOYEN, en ses deux branches, pris de la «violation des articles 347 et 352 du Code de procédure pénale, pour insuffisance et contradiction des motifs, en ce que le jugement attaqué a estimé avoir les éléments d'appréciation suffisants du préjudice résultant pour la partie civile de l'incapacité permanente partielle de 20% dont elle demeure atteinte et a fait siens les motifs du premier juge pour allouer une indemnité globale réparant à la fois cette invalidité ainsi que le pretium doloris et le préjudice d'agrément,
« 1° Alors que le jugement attaqué n'indique pas comment la partie civile a pu justifier l'importance du préjudice souffert en raison de cette invalidité, dont les appelants avaient, dans leurs conclusions d'appel, souligné le peu d'incidence sur les revenus de son travail,
« 2° Et alors d'autre part que le premier juge, dont les motifs ont été faits siens par le jugement attaqué, avait constaté que la capacité professionnelle de la partie civile s'était trouvée relativement peu diminuée et que celle-ci avait, dès sa consolidation, repris son travail d'employé de banque et estimé que si son invalidité l'empêcherait vraisemblablement d'obtenir un emploi mieux rémunéré, le calcul de la réparation de cet élément de préjudice ne devait tenir compte que du salaire effectivement perçu au jour de l'accident et non d'un salaire futur éventuel » :
Attendu d'une part que le tribunal d'appel, ayant adopté les motifs du premier juge, n'était pas tenu d'indiquer à nouveau ceux de ces motifs qui concernaient spécialement l'évaluation de l'incapacité permanente subie par la victime ;
Attendu d'autre part que les diverses considérations énoncées par les juges du fond sur l'importance relativement faible de certains éléments du préjudice exprimant uniquement les tendances d'une appréciation à caractère subjectif qui, ne correspondant à aucune évaluation chiffrée précise, ne peut se trouver en contradiction avec cette dernière ;
Qu'ainsi le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
SUR LE TROISIEME MOYEN, pris de la «violation de la loi, articles 77, 78 et 98 du Code des obligations et contrats, en ce que le jugement attaqué, confirmant pour le surplus la décision du premier juge, alloue à la partie civile les intérêts de droit à compter du 30 avril 1958, jour de
l'accident, alors que, d'une part, les appelants avaient dans leurs conclusions d'appel formellement conclu sur ce point sans que le jugement attaqué ait répondu aux moyens soulevés ;
« Et alors que d'autre part le jugement attaqué n'indique pas que ces intérêts sont alloués à titre compensatoire, après avoir précisé au contraire qu'il avait les éléments d'appréciation suffisants pour chiffrer le préjudice global souffert à la somme de 47 175 dirhams et alors que ces intérêts ne pouvaient être alloués à titre moratoire qu'à compter de la décision qui liquidait l'indemnité » :
Attendu que les intérêts des dommages-intérêts ne peuvent être alloués à titre moratoire qu'à compter de la date du jugement de condamnation attributif de droit qui alloue lesdits dommages- intérêts ; que si les juges du fond peuvent cependant accorder des intérêts à partir d'une date antérieure à ce jugement de condamnation c'est à la condition de préciser que ces intérêts ont un caractère compensatoire et sont attribués à titre de supplément de dommages-intérêts ;
Que par suite, en faisant remonter le point de départ des intérêts au 30 août 1958, jour de l'accident, antérieure à la décision judiciaire accordant réparation , et sans préciser s'ils avaient ou non un caractère compensatoire et s'ils constituaient un supplément de dommages-intérêts, le jugement attaqué, qui n'a d'ailleurs pas répondu sur ce point aux conclusions régulières des parties, a violé les textes visés au moyen ;
PAR CES MOTIFS
Déclare irrecevables les pourvois formés par Ab A Ae et Ad A Ae ;
Sur le pourvoi formé par la compagnie d'assurances « Le Secours », casse et annule entre les parties audit pourvoi le jugement du tribunal de première instance de Casablanca du 22 avril 1961, mais uniquement en celles de ses dispositions ayant fixé le point de départ des intérêts de la créance indemnitaire accordée.
Président : M. Deltel.- Rapporteur : M Aa. - Avocat général : M. Ac. - Avocats : MM.Mérou, Nahon.
Observations
I.- Sur le premier point. - Sur la notion d'intérêt, v. la note (1) sous l'arrêt n°726 du 27 oct. 1960, Rec.Crim. t. 2.21.
II- Sur le deuxième point.- Il a déjà été jugé que les juridictions répressives apprécient souverainement, dans les limites des conclusions de la partie civile, l'indemnité due à celle-ci, sans être tenues de justifier par des motifs spéciaux la condamnation à des dommages-intérêts ni de spécifier sur quelles bases elles ont évalué le montant de l'indemnité allouée (Arrêts nos180 du 22 janv. 1959, Rec. Crim. t. 1. 50 ; 229 du 12 mars 1959, ibid. 67 ; 564 du 25 févr. 1960 ibid. 231 ; 726 du 27 oct. 1960 Rec. Crim.t. 2. 21 ; 918 du 22 juil.1961, ibid. 308 ; V. également l'arrêt n°1169 du 7 juin 1962, publié dans ce volume).
Le pouvoir des juges du fond n'est cependant pas sans limite et la juridiction de cassation est amenée fréquemment à exercer son contrôle.
La chambre criminelle décide en effet que, si les juges répressifs apprécient souverainement les éléments constitutifs du préjudice et la quotité de la réparation à accorder à la partie civile dans la limite de sa demande, leur appréciation n'échappe à son contrôle qu'autant qu'ils l'ont exprimée sans ambiguïté ni contradiction et qu'ils ont justement déduit des circonstances par eux constatées les conséquences juridiques qu'elles comportent (Arrêts nos 1112 du 19 avr.1962 et 1125 du 10 mai 1962, publiés dans ce volume).
Ainsi, ne justifient pas légalement leur décision les juges d'appel :
-qui, ayant successivement examiné les divers chefs de préjudice indemnisés par la décision déférée, passent sous silence le « préjudice d'agrément » dont la réparation, sollicitée par la partie civile, avait été admise par le premier juge, sans permettre de déterminer si ce chef de préjudice a intentionnellement été écarté par eux, s'il a été omis par inadvertance ou si sa réparation, a été englobée dans celle du «pretium doloris » (Arrêt n°1112 précité) ;
-qui, pour infirmer la décision du premier juge en ce qu'elle avait indemnisé la partie civile de son manque à gagner pendant la période de son incapacité totale de travail, se bornent, sans dénier l'existence de cette incapacité et d'un manque à gagner, à refuser toute indemnisation de ce chef aux seuls motifs que la partie civile aurait exercé une profession différente de celle par elle déclarée, que l'attestation de salaire produite n'apparaissait pas sérieuse et qu'elle n'aurait pas fourni d'autre élément d'appréciation sur son manque à gagner (Arrêt n°1125 précité) ;
-qui infirment la décision du premier juge ayant admis comme préjudice matériel donnant lieu à indemnisation les frais d'obsèques et la perte de la voiture du défunt détruite par la collision et qui refusent toute indemnisation du préjudice matériel au motif qu'il n'est pas établi, alors précisément qu'ils déclarent d'autre part que le préjudice subi est «essentiellement »affectif, formule impliquant par l'emploi de cet adverbe la reconnaissance, à côté du préjudice affectif essentiel, d'un préjudice matériel de moindre importance. En outre, en refusant la plus minime réparation d'un quelconque préjudice matériel, ils dénient l'existence des dégâts de la voiture, qu'ils venaient nécessairement d'admettre en constatant que cette voiture avait été «violemment heurtée à hauteur du capot » par un véhicule circulant à une vitesse exagérée (Arrêt n°1078 du 22 mars 1962, également publié dans ce volume).
Il a été jugé également que doit être cassé pour contradiction de motifs la décision qui, après avoir homologué un rapport d'expertise fixant à 30%le taux de l'incapacité permanente partielle dont un jeune enfant, victime d'un accident, demeure atteint, affirme, notamment, sans autrement s'expliquer sur ce point, que l'enfant ayant été blessé à l'âge de cinq mois, «les 30% d'invalidité fixés par le médecin-expert ne correspondent pas à une réduction de la capacité de travail» et réduit partiellement pour ce motif le montant des dommages-intérêts alloués à la victime (Arrêt n°1060 du 6 mars1962, publié dans ce volume).
Il en est de même de la décision qui admet que le préjudice subi par le demandeur est «pratiquement irréparable» et ne doit donner lieu qu'à une réparation dite «de principe» (Crim. 15 mai 1957, B.C 410, Rev. Science Crim. 1957, p. 883, n°1, chronique de M.Maurice Patin).
D'autres exemples sont cités dans la note (VIII) sous l'arrêt n°726 du 27 oct.1960, précité.
III. -Sur les troisième, quatrième et cinquième points. - V., dans le même sens, les arrêts nos726 du 27 oct. 1960, Rec. Crim. t. 2. 21; 815 du 9 févr.1961, ibid.166, la note (V) sous l'arrêt n°726 et les références citées.