Dossier n° 1750
62-61/62
Ai Ak Ab Ai Ak Ab Al c/ Ad bent Messaoud et autres.
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 24 mai 1958.
La Cour,
SUR LE TROISIEME MOYEN
Vu les articles 176 et 372 du dahir des obligations et contrats,
Attendu que la prescription de la dette accomplie par l'un des débiteurs ne profite pas aux autres et que le juge ne peut suppléer d'office le moyen résultant de la prescription ;
Attendu que par requête introductive d'instance déposée le 9 octobre 1955, Ai Ak
An Ai Ak Am a réclamé aux héritiers de son frère utérin Af An Ai Ac Ab Aj et à ceux du frère consanguin de ce dernier, Ac An Ai Ac ben Seghir, décédés respectivement en 1919 et en 1943, des dommages et intérêts pour dol commis à son préjudice à l'occasion de cinq procédures d'immatriculation qui ont été closes par les titres fonciers 2968/C, 5168/C, 18427/C, 6673/C et 18308/C, le dernier en date de ces titres ayant été établi le 19 août 1936 ;
Attendu que, plus de 15 ans s'étant écoulés entre la date d'établissement du dernier titre et celle du dépôt de la demande, deux défendeurs parmi les héritiers poursuivis ont soulevé la prescription de l'article 387 du dahir des obligations et contrats ;
Que cependant, considérant qu'il s'agit d'un mode définitif d'extinction qui ne peut faire disparaître pour une partie des co-obligés sans la faire disparaître pour tous, une obligation solidaire de la nature de celle qui fait l'objet du procès, la Cour d'appel de Rabat a, par arrêt du 24 mai 1958, étendu les effets libératoires de prescription accomplie à ceux qui ne l'ont pas soulevée et déclaré en conséquence prescrite l'action de Ai Ak en paiement de dommages et intérêts ;
Or, attendu que les termes de l'article 372 du dahir des obligations et contrats, nets et précis, ne prévoient aucune exception pour solidarité à la nécessité pour la partie intéressée d'invoquer elle-même la prescription, le juge ne pouvant se substituer à elle pour le faire ;
D'où il suit qu'en statuant comme elle l'a fait, la Cour d'appel a violé le texte précité ;
PAR CES MOTIFS
Et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi,
Casse.
Président: M Mazoyer-Rapporteur: M Ae,-Avocat général: M B A Aa, Bruno.
Observations
Les effets de la solidarité passive telle que prévue par le C civ français sont si rigoureux pour les codébiteurs solidaires qu'ils ne peuvent s'appliquer à toutes les situations. La doctrine et la jurisprudence ont ainsi été amenés à créer une institution nouvelle: l'obligation insolidum qui est l'obligation pour chacun des codébiteurs de payer le tout, mais ne présente pas tous les caractères de la solidarité, et en particulier n'entraîne pas la représentation des codébiteurs entre eux tel est le cas des coauteurs responsables d'un même dommage. (V sur ces questions:Rep civ, V° Solidarité, par Ag Ah, n 4, 131 et s Holleaux, note sous D.C 1941.124 Mazeaud, n 1960 et s).
La solidarité passive instituée par les art 164 et s C obl. contr. est beaucoup plus proche de cette obligation in solidum que de l'obligation solidaire du C civ français. Ainsi, pour le codébiteur solidaire au Maroc, comme pour le codébiteur in solidum, la chose jugée à l'égard de l'un ne s'étend pas nécessairement aux autres, la mise en demeure ou la faute de l'un ne nuit pas aux autres (art 177 C obl contr), la suspension ou l'interruption de la prescription à l'égard de l'un n'empêche pas la prescription de courir à l'égard des autres, et la prescription dont bénéficie l'un ne profite pas aux autres (art 176 C obl, contr). La distinction entre obligation solidaire et obligation in solidum doit cependant être conservée en droit marocain. En effet, certaines des règles prévues aux art 164 et s susvisés sont inapplicables aux coauteurs d'un même délit ou quasi-délit solidairement tenus de la réparation du dommage par application des art 99 et 100 C obl contr tel est le cas, par exemple, des dispositions des art 170 et 172 selon lesquelles tous les coobligés profitent de la mise en demeure du créancier par l'un d'entre eux, et, sauf stipulation contraire, de la remise de dette consentie par le créancier à l'un d'entre eux.
En l'espèce l'arrêt rapporté ne précise pas si les défendeurs au pourvoi, coauteurs de diverses immatriculations dolosives (art 64 Dh 12 août 1913 sur l'immatriculation des immeubles) étaient tenus solidairement ou in solidum cette précision était inutile puisque les règles de la prescription dont il était fait application sont les mêmes dans les deux hypothès.