Rejet du pourvoi formé par Ab Ad, épouse Af, Contre un jugement rendu le 13 juin 1961 par le tribunal de première instance de Casablanca qui a notamment mis hors de cause la compagnie d'assurance La Paix africaine.
1er février 1962
Dossier n°8793
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE DE CASSATION, pris «d'une contradiction de motifs, du manque de base légale et d'une fausse application de la loi, en ce que le jugement attaqué a mis la compagnie d'assurances La paix Africaine hors de cause, alors que le risque de leçon de conduite bénévole est admis par l'usage lorsqu'aucune disposition de la police ne l'exclut formellement »:
Attendu qu'aux termes d'un intercalaire du contrat d'assurance souscrit auprès de la compagnie La paix Africaine par le propriétaire du véhicule, au volant duquel se trouvait la demanderesse, « il n'y a pas assurance pour les accidents survenus lorsque la personne tenant le volant ne peut justifier être titulaire du permis de conduire en état de validité exigé par les règlements publics en vigueur »;
Attendu que le libellé clair et précis de cette clause, reproduite dans le jugement attaqué, ne donne lieu à aucune interprétation, et exclut de la garantie tous les accidents sans exception survenus alors que le volant de la voiture est effectivement manié par une personne non titulaire du certificat de capacité exigé pour la conduite du véhicule; qu'une telle clause fait la loi des parties; qu'elle rend inapplicable l'usage ou la jurisprudence respectivement invoqués par la demanderesse et le Fonds de garantie, et selon lesquels, en présence d'une clause moins précise de contrats d'assurance se bornant à exiger que le « conducteur » du véhicule soit titulaire du permis de conduire, il avait paru possible de considérer comme « conducteur » non la personne tenant le volant mais celle qui, à ses côtés, en position d'intervenir et lui donnant une leçon de conduite, avait conservé le contrôle et la maîtrise du véhicule;
Attendu que les juges du fond ayant constaté qu'au moment de la collision le volant du véhicule était tenu par Ad Ab, « conductrice inexpérimentée, non titulaire de permis de conduire. qui pouvait parfaitement éviter l'accident. en donnant un léger coup de volant. », c'est à bon droit que la compagnie d'assurances « La paix Africaine » a été mise hors de cause;
Attendu que, la partie seule attaquée du dispositif du jugement du 13 juin1961 se trouvant ainsi légalement justifiée, le pourvoi limité formé par la demanderesse ne saurait donner lieu à cassation, mais seulement à la substitution des motifs du présent arrêt à ceux par lesquels les juges du fond ont cru pouvoir baser la mise hors de cause de la compagnie d'assurances précitée;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi, mais dit que les motifs du présent arrêt se substituent à ceux retenus par le jugement déféré pour mettre la compagnie La Paix Africaine hors de cause;
Ordonne la transcription de cet arrêt sur les registres du greffe du tribunal de première instance
de Casablanca et sa mention en marge ou à la suite du jugement dont les motifs donnent lieu à substitution.
Président: M.Deltel. Rapporteur: M. Aa. - Avocat général: M. Ae. - Avocats: M M. Ac, Ah, Seghers, Cagnoli.
Observations
I.-Sur le premier point.- Pour le commentaire de cet arrêt, v. l'étude, signée G.D., La garantie
due par les compagnies d'assurances en cas d'accident survenu au cours d'une leçon bénévole de conduite automobile, Rev. maroc.dr. 1962. 615.
Lorsque la police d'assurance subordonne la garantie des accidents causés aux tiers par un véhicule automobile à la condition que le conducteur soit muni d'un permis de conduire régulier en état de validité (V., sur cette clause, la note, B, sous l'arrêt n°981 du 4 janv. 1962), certains arrêts décident que la présence au volant d'un conducteur non titulaire d'un certificat de capacité , si elle est justifiée par la leçon de conduite qui lui est donné par l'assuré assis à son côté, n'empêche pas la garantie de jouer parce que le moniteur peut intervenir à tout moment pour rectifier les erreurs de l'élève et conserve ainsi le contrôle effectif de la direction du véhicule (Req.19 juil.1932, Gaz. Pa.l.1932. 2. 693. Civ. 18 nov. 1936. D.H. 1937. 52. Rec. 17 janv. 1938. D.H. 1938. 211. Gaz. Pal. 1938. 1. 555. Civ. 23. Oct. 1945. Gaz. Pal. 1945. 2. 191. Angers, 7 févr. 1950, Gaz. Pal. 1950, 1. Somm. 9; Civ.6 juil. 1953, D. 1953. D. 1953. 572, Gaz. Pal. 1953. 2. 262. 15 juil.1954. 697, Gaz. Pal. 1954. 2. 313. 18 juil.1957. Bull. Civ. 1957. II. 551, 4 nov. 1957, D. 1957 Somm. 13, J. C. P. 1959.II. 1959.II. 11333 et la note de M. Ai Ag; 7 oct. 1958. J.C.P. 1959. II. 11333 et la note de M. Ai Ag; 8 déc. 1958 D.1959, Somm. 21, J.C.P 1959. II. 11333 et la note de M.A. Ag; 6 janv. 1960, Rev. gén. Ass. Terr. 1960. 353 et la note signée A.B.; 20 janv. 1960, D. 1960, somm. 45; 14 mars1960, Gaz. Pal. 1960. 1. 337. 20. Févr. 1961, Rev. gén. Ass. terr. 1962. 83).
Cette jurisprudence a même été appliquée dans le cas où la police d'assurance exige que la personne «tenant le volant » au moment de l'accident soit titulaire du certificat de capacité (Aj, 9 déc. 1952, D. 1954. 208 et la note de M. Ai Ag).
Elle n'est pas approuvée par M. Le professeur Ag qui estime, à bon droit, qu'elle dénature
les clauses claires et précises des polices: « Comment peut-on raisonnablement considérer comme «conducteur » ou comme « personne tenant le volant », écrit-il dans sa note précitée au J.C.P 1959. II. 11333, celui qui n'est pas à la place du conducteur, c'est-à-dire qui n'est pas en face des organes de direction;
tel n'est pas le cas - réserve faite bien entendu des voitures à double commande - de la personne qui est assise à côté de la personne situé en face des oranges de direction et qui, quel que soit le moment où elle intervient, ne peut être raisonnablement considérée comme conducteur, précisément parce que, n'ayant pas ces organes à sa disposition directe, immédiate et exclusive, elle ne peut agir efficacement et sûrement et que, gênée par la seule présence de l'élève (ce qui l'empêche d'exercer toute action personnelle sur la pédale d'accélérateur ou sur celle du frein), elle ne peut faire qu'une intervention défectueuse, imparfaite ou incomplète ».
C'est cette opinion que fait sienne la Chambre criminelle de la Cour suprême, dans une espèce où la police prévoyait expressément qu'il n'y a pas assurance lorsque la personne tenant le volant ne peut justifier être titulaire d'un certificat de capacité.
L'accident s'était produit le 25 janv. 1959, avenue du lido, dans le périmètre urbain de Casablanca où la circulation était intense, alors que le conducteur avait confié le volant à sa fiancée, non titulaire du permis de conduire.
En demandant la substitution de la compagnie d'assurances et en invoquant la jurisprudence susvisée relative aux leçon de conduite, la prévenue se prévalait d'une violation de l'arrêté municipal de la ville de Casablanca en date du 14 juin1948, dont l'art. 34 prescrit: « Il est interdit d'apprendre à conduire les véhicule automobiles dans le périmètre urbain à moins que les leçons ne soient données sur des voitures-écoles à double commande ».
Il. - Sur le deuxième point. - Malgré l'erreur de droit commise par le tribunal de première instance de Casablanca, la partie seule attaquée du jugement se trouvait légalement justifiée. La Cour suprême rejette, en conséquence, le pourvoi mais substitue ses motifs de droit à ceux par lesquels les juges du fond avaient cru pouvoir fonder la mise hors de cause de la compagnie d'assurances. Elle ordonne cependant, en raison de cette erreur de droit, la transcription de son arrêt sur les registres du greffe de la juridiction ayant rendu la décision déférée.
Sur la substitution de motifs par la juridiction de cassation, v. la note (IV) sous l'arrêt n°731 du 3 nov. 1960, Rec.Crim. t. 2. 32.