115-61/62 28 février 1962 3938
Société Générale de Transaction Automobile c/ Le Aa Ab.b.
Rejet du pourvoi formé contre un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 20 mai 1959.
La Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN
Attendu qu'il résulte du dossier de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué (Rabat
20 mai 1959) que Le Chevallier alors directeur de la Société Générale de Transaction Automobile BA) avait vendu à un tiers sa voiture automobile personnelle après l'avoir fait réparer dans les ateliers de la SOGETRAN à laquelle il avait payé les frais de main-d'ouvre, conformément à une convention intervenue entre eux en 1950 ;
Que l'acheteur, qui se plaignait du mauvais fonctionnement de la voiture, ayant assigné à la fois la SOGETRAN et Le Chevallier en paiement de dommages-intérêts à la suite d'une expertise qu'il avait provoquée et qui avait établi que le moteur avait été monté de manière défectueuse par les ouvriers de la SOGETRAN, le tribunal, puis la Cour d'appel, avaient condamné la SOGETRAN seul, au motif que «dans ses rapports avec l'acheteur Le Aa avait agi comme représentant de la société et non en son nom personnel» ;
Qu'à la suite de ce litige, la SOGETRAN a formé une action récursoire contre Le Chevallier en produisant une déclaration qu'il lui avait remise le 4 juillet 1952 et dans laquelle il avait reconnu «qu'elle n'était en aucune façon responsable des suites de la vente dont il prenait la pleine et entière responsabilité» ;
Attendu que le pourvoi fait grief à l'arrêt attaqué, par lequel, infirmant la décision des premiers juges, la Cour d'appel a débouté la SOGETRAN de sa demande, d'avoir dénaturé la convention de 1950 et violé par fausse application les articles 723 et 767 du dahir des obligations et contrats en considérant qu'elle avait réparé la voiture de Le Chevallier en vertu d'un contrat de louage d'ouvrage qui l'obligeait à garantie, alors qu'il ne peut y avoir louage d'ouvrage que si un prix a été stipulé, que la convention de 1950 stipulait seulement le remboursement des frais de main-d'ouvre, que la SOGETRAN n'avait perçu aucun bénéfice et que le seul remboursement des frais ne constitue pas un prix ;
Mais attendu qu'en admettant qu'ainsi qu'elle le prétend, la SOGETRAN ait consenti des avantages particuliers à son directeur, le service qu'elle lui a rendu n'était pas gratuit, et qu'à l'obligation qui incombait à Le Chevallier, maître de l'ouvrage, de le rémunérer aux conditions fixées par elle, correspondait nécessairement pour elle, en sa qualité d'entrepreneur de réparations, celle de garantir les défauts et les vices de son ouvrage ;
Qu'il suit de là qu'en statuant ainsi qu'elle l'a fait, la Cour d'appel n'a pas dénaturé la convention des parties et, loin de violer les textes visés au moyen, en a fait, au contraire, une exacte application ;
Que le moyen doit, en conséquence, être rejeté ;
SUR LE SECOND MOYEN, PRIS EN SES DEUX BRANCHES:
Attendu qu'il est encore reproché à la Cour d'appel d'avoir, en violation des dispositions de l'article 739 du dahir des obligations et contrats, estimé que la SOGETRAN était responsable des travaux exécutés par ses préposés, alors d'une part que ces travaux étaient dirigés par Le Aa lui-même qui devait donc répondre de sa propre impéritie, et d'autre part que Le Chevallier s'était reconnu responsable dans sa déclaration du 4 juillet 1952 ;
Mais attendu que Le Chevallier nie avoir jamais eu la direction ou la responsabilité des réparations «qui échappaient à sa compétence» et que les juges du fond n'ont pas eu à examiner Si sa responsabilité pouvait être engagée en raison de ses attributions, celles-ci, sur la nature desquelles aucune précision ne leur a été fournie, n'ayant donné lieu à aucune discussion en première instance ni en appel ;
Que, pris en sa première branche, le moyen, mélangé de fait et de droit, est nouveau et en conséquence non recevable ;
Attendu, d'autre part, que la Cour d'appel, appréciant souverainement à la fois l'intention
des parties, le sens et la portée de la déclaration du 4 juillet 1952 sur laquelle les parties étaient en désaccord, a, par application des dispositions de l'article 473 du dahir des obligations et contrats, adopté la thèse soutenue par Le Chevalier et selon laquelle en signant cette déclaration à un moment où les causes du mauvais fonctionnement de la voiture étaient inconnues, l'expertise n'ayant pas encore eu lieu, il n'avait renoncé ni explicitement ni implicitement à se prévaloir éventuellement des dispositions de l'article 767, ni à exonérer la SOGETRAN de la garantie qu'elle lui devait pour le cas où elle aurait commis une faute dans l'exécution de son ouvrage ;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président: M Mazoyer-Rapporteur: M Zamouth-Avocat général: M Bocquet-Avocats: MM Braudo-Coudon, Lacombe.
Observations
I-Le louage d'ouvrage est le contrat par lequel une personne s'engage à exécuter un ouvrage déterminé moyennant un prix que l'autre partie s'engage à lui payer (art 723, al 3, C obl contr). Ce prix est librement établi par les parties, et le fait que, comme en la cause, il corresponde seulement au coût de la main-d'ouvre, ne saurait modifier la nature du contrat.
L'obligation de garantie du locateur d'ouvrage est prévue aux art 767 et 768 C obl Contr.
II-V supra, note sous l'arrêt n°5.
III-Sur le pourvoi d'appréciation des juges du fait lorsque les clauses d'une convention sont
obscures ou ambiguës, v supra, note sous l'arrêt n°2 et note I sous l'arrêt n°135. Cette liberté d'appréciation n'est pas limitée par l'art 473 C obl. Contr aux termes duquel «dans le doute l'obligation s'interprète dans le sens le plus favorable à l'obligé». Il ne s'agit en effet que d'un simple conseil donné au juge ; celui-ci ne doit pas en faire application systématiquement et il doit le suivre seulement lorsque, malgré un examen approfondi, il n'est pas parvenu à se faire une opinion sur la véritable intention des parties (v Rép c,v V° contrats et conventions n 98)