Rejet du pourvoi formé par Ae Ab contre un jugement rendu le 10 juillet 1961 par le tribunal criminel des Casablanca qui l'a condamné pour vols qualifiés à sept années de réclusion, à cinq années d'interdiction de séjour et à des réparations civiles.
1er mars 1962
Dossier n°8510
LA Cour,
SUR LE PREMIER MOYEN DE CASSATION, pris de l'incompétence du tribunal criminel moderne:
Attendu qu'en application de l'article 435 alinéa 2 du Code de procédure pénale l'arrêt de la chambre d'accusation, non frappé de pourvoi et renvoyant un accusé devant le tribunal criminel, attribue irrévocablement compétence à cette juridiction; qu'il en est ainsi même au cas où postérieurement à cet arrêt l'accusé renvoyé devant un tribunal criminel crée par le dahir du 12 aôût 1913 prétendrait, en raison de sa nationalité, relever d'une autre juridiction marocaine.
Attendu dans ces conditions, qu'à défaut de pourvoi contre l'arrêt de la Chambre d'accusation
de la Cour d'appel de Rabat du 7 mars 1961, lévy ne saurait contester la compétence du tribunal criminel moderne de Casablanca, irrévocablement fixée par cet arrêt;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli;
SUR LE DEUXIEME MOYEN DE CASSATION, en ses deux branches, pris de la violation des formes substantielles de procédure, en ce que le jugement attaqué, d'une part, ne préciserait pas les noms, prénoms, professions et adresses des parties civiles qui se sont constituées en cours d'audience, éludant ainsi tout contrôle de la Cour suprême sur leur capacité à agir en justice et, d'autre part, ne mentionnerait pas le montant des demandes de ces parties civiles mais seulement les sommes à elles allouées à titre de dommages-intérêts:
Attendu que les noms des parties civiles ont indiqués par le jugement attaqué, et les autres précisions dont l'absence est alléguée par le demandeur ne figurent pas parmi les mentions dont l'article 352 du Code de procédure pénale sanctionne l'omission par une nullité; que d'ailleurs le contrôle de la capacité juridique des parties civiles échappe au juge de cassation, lorsque, comme en l'espèce, cette capacité n'a fait l'objet d'aucune contestation devant les juges du fond;
Attendu d'autre part que la constatation expresse par le tribunal criminel de la régularité en la forme et de la recevabilité des conclusions des parties civiles, implique reconnaissance par ce tribunal du dépôt de conclusions précisant, en exécution des articles 334 et 335 du Code de procédure pénale, le montant des dommages-intérêts sollicités, montant auquel le tribunal s'est nécessairement référé et qu'il est loisible de vérifier au cas d'allégation d'ultra petita;
D'où il suit que le moyen doit être rejeté;
SUR LE DEUSIEME MOYAN DE CASSATION, pris de la violation de la loi de fond, en ce
que l'arrêt de renvoi de la chambre d'accusation, l'acte d 'accusation et le jugement attaqué ne comporteraient pas l'indication de la nationalité des victimes des faits dont l'accusé a été déclaré coupable:
Attendu que le demandeur, n'étant pas pourvu contre l'arrêt de renvoi du 7 mars 1961, n'est pas recevable à critiquer cet arrêt qui a acquis l'autorité de la chose irrévocablement jugée;
Attendu d'autre, que le moyen, en ce qui l'est dirigé contre l'acte d'accusation, est irrecevable puisque n'ayant pas été soumis au tribunal criminel, il constitue un moyen nouveau devant la Cour suprême;
Attendu enfin, que le moyen, en ce qu'il dirigé contre le jugement du tribunal criminel, s'avère inopérant, la nationalité des victimes ne pouvant modifier la compétence de ce tribunal, que l'arrêt de renvoi avait irrévocablement fixée;
D'ou il suit que le moyen ne peut être accueilli;
SUR LE QUATRIEME MOYEN DE CASSATION, en ses deux branches, pris du défaut de motifs et du manque de base légale, en ce que, d'une part, le jugement attaqué aurait insuffisamment justifié sa décision en déclarant qu'il résulte de l'information, des débats, ainsi que des aveux de lévy des charges suffisantes d'avoir commis les faits qui lui sont reprochés, alors notamment que cet accusé n'aurait au cours de l'information reconnu être l'auteur que de 70 vols, sur les 73 vols à lui imputés, et ce que, d'autre part, il existerait une contradiction entre les motifs et le dispositif du jugement qui, après avoir dans ses motifs évalué le préjudice subi par la dame Hegedus à 16 662 dirhams, ne lui aurait, dans son dispositif, alloué que la somme de 1662 dirhams à titre de dommages- intérêts:
Attendu que le jugement attaqué, au lieu de constater qu'a été rapporté la preuve exigée par l'article 289 du Code de procédure pénale, mentionne que de l'information et des débats ainsi que des aveux de l'accusé il résulte des « charges suffisantes »; que l'emploi d'une telle formule ne justifie pas néanmoins en l'espèce l'annulation du jugement, l'énonciation ultérieure du dispositif, qui déclaré lévy coupable des crimes qui lui étaient reprochés, permettant de déterminer la conviction du juge et révélant que, par l'expression inadéquate « charges suffisantes », il avait entendu désigner les preuves de culpabilité ayant entraîné sa conviction;
Attendu que les juges du fond , en retenant comme élément de conviction les aveux de l'accusé, constatent qu'après s'être reconnu l'auteur de 70 des 73 vols qui lui étaient reprochés, Lévy n'a persisté à nier que celui commis au préjudice de la dame Hegedus mais que ses dénégations se trouvent contredites par un rapport dactyloscipique; que par ces constatations souveraines, qui ne peuvent être remises en discussion devant la Cour suprême à l'aide d'éléments empruntés à l'information, le tribunal a légalement justifié sa décision;
Attendu que s'il est exact que, par suite d'une erreur, les motifs et le dispositifs de la décision attaquée indiquent, pour les dommages-intérêts accordés à dame Hegedus, un chiffre différent, une telle erreur ne saurait donner ouverture à cassation;
D'où il suit que le moyen, mal fondé en sa première branche, est irrecevable en la deuxième;
Et attendu que le jugement attaqué n'est entaché d'aucune irrégularité; que les faits souverainement constatés justifient les qualifications et les peines;
PAR CES MOTIFS
Rejette le pourvoi.
Président: M.Deltel. - Rapporteur: M.Carteret. - Avocat général: M. Ad. - Avocat: Me Rutili.i.
Observations
I - Sur le premier point. - v. dans le même sens, les arrêts n°s 159 du 11 déc.1958, Rec.Crim.t.1.43 et 748 du 17 nov.1960, Rec.Crim.t.2.71.
II - Sur le deuxième point. -v. la note (III) sous l'arrêt n°1021 du 8 févr.1962.
III- Sur le troisième point. - en ce qui concerne les moyens nouveaux, v. la note (1) sous l'arrêt n°732 du 3 nov.1960, Rec.Crim.t.2.36.
Il a déjà été jugé que constitue un moyen nouveau, irrecevable devant la juridiction de cassation lorsqu'il n'a pas été soulevé devant les juges du fond, le moyen pris de ce que la partie civile n'avait pas qualité pour intervenir (Crim.8 janv.1904, B.C.16; 8 nov.1912, B.C.541; 1er août 1913, B.C.390), ainsi que celui pris de l'irrégularité de sa constitution (Crim.13 juil.1911, B.C. 365. 20 MAI 1947 , B.C.138) ou de l'irrecevabilité de l'action civile ( Crim.21 juin 1934, B.C.126).
IV- SUR LE QUATRIEME POINT. - Aux termes de l'al. 1er de l'art.334 C. Proc.Pén: « La partie civile déjà constituée devant la juridiction d'instruction doit obligatoirement être convoquée devant la juridiction de jugement. Pour saisir valablement cette dernière de sa demande en réparation, elle doit nécessairement déposer, soit avant l'audience au greffe de cette juridiction, soit pendant l'audience entre les mains du président, des conclusions écrites assorties du récépissé du paiement de la taxe judiciaire, précisant les chefs de sa demande et le montant des dommages-intérêts sollicités ».
L'article 335 prévoit, d'autre part, dans ses premier et second al. Que « la personne lésée qui n'était pas intervenue devant la juridiction d'instruction peut, devant la juridiction de jugement, se constituer partie civile dans les formes prévues à l'alinéa premier de l'article précédent ».
« Dans ce cas, les conclusions doivent, en outre, contenir les indications propres à identifier celui qui se porte partie civile, à préciser l'infraction génératrice du préjudice dont il est demandé réparation et faire connaître les motifs qui justifient la demande. ».
Aucune disposition légale ne prescrit la mention, dans les décisions des juridictions répressives, des demandes formulées par les parties civiles. »il suffit que le jugement fasse mention que les parties ont pris des conclusions en cette forme: . « après avoir entendu les conclusions et les moyens de la partie civile « (jur.gén.dalloz.v° jugement, 842) les art.334 et 335 prévoyant le dépôt de conclusions écrites de la partie civile, il est toujours possible de s'y référer lorsqu' un moyen de cassation est pris soit de l'ultra petita, soit de la dénaturation des conclusions (comp.Rép.Pr.civ, v° Cassation, par Aa Ac, n°s 2092, 2093 et 2114).
V.- Sur le cinquième point. - en ce qui concerne les moyens nouveaux, v. la note (1) sous l'arrêt n°732du 3 nov.1960, Rec.Crim.t.1 2.36.
VI- Sur le sixième point. - dans le sens de l'arrêt ci-dessus rapporté, v.les arrêts n°s 400 du 22 oct.1959, Rec.Crim.t.1.106 et 456 du 3 déc.1959, ibid.138.
VII- Sur le septième point. - v., en ce qui concerne les erreurs matérielles, l'arrêt n°85 du 1er juil.1958, Rec.Crim.t.1.27 et la note, ainsi que l'arrêt n°770 du 8 déc.1960, Rec.Crim.t.2.99 et la note (VIII).