173-61/62 2 mai 1962 8640
Af Ah Aa c/Buzaglo Isaac.
Cassation d'un jugement du tribunal régional de Tanger du 27 juin 1961.
La Cour,
SUR LES DIVERS MOYENS REUNIS :
Vu l'article 795 du Code des obligations et contrats de Tanger;
Attendu qu'aux termes de ce texte, lorsque le terme du contrat de louage de services n'est pas déterminé, soit par les parties, soit par la nature du travail à accomplir, le contrat est annulable et chacune des parties peut s'en départir en donnant congé dans les délais établis par l'usage du lieu ou par la convention;
Attendu qu'il résulte de la procédure, des pièces produites et des énonciations du jugement d'appel attaqué, que Af Ah Aa, commerçant employeur, ayant fermé une succursale commerciale qu'il avait à Tanger, informait de ces faits par lettre du 8 mai 1958 son employé Ad Ae auquel il offrait la continuation de ses services dans sa direction centrale de Tétouan ainsi que le paiement des frais pour le transport du mobilier et de celui de la famille; que Ad Ae répondant par lettre du 21 mai 1958 qu'il considérait cette offre comme un renvoi, assignait son employeur devant le tribunal du travail qui condamnait ce dernier au paiement de diverses sommes d'argent pour rupture abusive du contrat, défaut de préavis, congé payés, décision partiellement confirmée en appel;
Or attendu qu'en mettant au compte de Ah Aa une rupture abusive du contrat de louage de services, alors qu'il résulte des termes même des lettres produites et notamment de la réponse de l'employé que ce dernier n'acceptait pas l'offre de son employeur l'invitant à continuer ses services à la direction centrale de Tétouan, le jugement d'appel a dénaturé le sens et la lettre du 8 mai 1958 et violé l'article susvisé;
PAR CES MOTIFS
Casse.
Premier Président : M. Hamiani.__Rapporteur : M. Morère.__Avocat général : M.
Neigel.__Avocats : MM. Ab Ag, Barnada Rich.
Observations
Les dispositions relatives au contrat de travail incluses dans le C. obl. contr. de l'ex-zone de Tanger sont semblables à celles du C. obl. contr. de l'ex-zone sud; en particulier l'art. 795 visé par
l'arrêt rapporté est rédigé dans les même termes que l'art. 754 (al. 4) de ce Code. La solution adoptée demeure donc valable pour l'ensemble du territoire marocain.
Les principes applicables en la matière sont les suivants : Tout contrat de travail à durée indéterminée peut être résilié à tout moment par l'une ou l'autre des parties (v. T. I. note II sous l'arrêt n°53, p. 98). Cette résiliation est précédée d'un délai le préavis dont la durée est fixée selon les cas par l'usage, la convention ou la loi (Dh. 30 juil. 1951 et arr. viz. 13 août 1961). Pendant ce délai chacune des parties doit continuer à remplir ses obligations : l'employé à fournir ses services et l'employeur à lui verser son salaire. Il est cependant permis à l'un et à l'autre de rendre la rupture immédiatement effective. Dansce cas l'employeur est tenu de verser à l'employé congédié une indemnité de préavis égale aux salaires afférents à la durée du délai-congé; de même la jurisprudence française et la doctrine admettent que l'employé qui a pris l'initiative d'une rupture sans préavis, doit à son patron l'équivalent de ces mêmes salaires, exacte contrepartie des services dont il l'a privé (v. Rép. soc. V° Contrat de travail, n. 232). Lorsque l'une des parties a exercé abusivement son droit de résiliation en rompant le contrat sans motif légitime, elle doit en outre à l'autre une indemnité égale au préjudice qu'elle lui a fait subir (sur l'appréciation de l'abus en cette matière v. note préc. T. I).
En l'espèce l'employeur ne pouvait être considéré comme coupable d'un tel abus puisque, malgré la fermeture de sa succursale de Tanger qui imposait la cessation des fonctions de son employé, il avait proposé à celui-ci une place à la direction de l'entreprise à Ai, en lui offrant de payer ses frais de déménagement.
Il eût été plus délicat de déterminer lequel des deux cocontractants avait pris l'initiative de la rupture et se trouvait dès lors débiteur de l'indemnité de préavis : était-ce le patron par la fermeture de la succursale, ou le salarié par son refus d'aller travailler à Tétouan ? Il aurait fallu pour trancher la question rechercher si, selon la commune intention des parties, ce changement de domicile constituait une modification accessoire ou une transformation essentielle des conditions prévues au contrat : dans le premier cas la responsabilité de la résiliation eût incombé à l'employé; dans le second la situation se serait analysée en une rupture du contrat initial par l'employeur, suivie de l'offre d'un nouveau contrat que l'employé n'était pas tenu d'accepter. En général il est admis qu'en raison de son incidence sur la vie du salarié un changement de résidence a le caractère d'une modification essentielle du contrat (v. Rép. soc. préc., n. 196; Civ. IV 11 juin 1959, B. n. 711; Civ. IV 25 janv. 1961, D. 1961.621 et la note de M. Ac Aj).