228-61/62 10 juillet 1962 9 365
Compagnie d'assurances «La Protectrice» c/société «Carrère-Durisol ».
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 17 juin 1961.
La Cour,
ENSEMBLE SUR LES TROIS DERNIERES BRANCHES DU PREMIER MOYEN
Vu les articles 230, 461 et 462 du dahir des obligations et contrats;
Attendu que la convention fait la loi des parties, qu'il n'y a pas lieu de rechercher leur commune volonté lorsque les termes en sont formels; que leur interprétation n'est autorisée qu'au cas où ils ne sont pas clairs par eux-mêmes, conciliables avec le but évident de l'acte, ou enfin lors-qu'une incertitude résulte du rapprochement de différentes clauses et fait naître des doutes sur la portée de celles-ci;
Attendu que les Ac Ab Aa, dont le siège social est au Ad BAeA ont déclaré à la société d'assurances «la Protectrice» l'accident du travail dont avait été victime en Algérie un de leurs préposés, en se prévalant de la police «Accidents du Travail» n°20 995 souscrite à cette compagnie en son agence à Rabat; que l'assureur a soulevé l'exception de non assurance en raison de ce que, selon l'article 1er de la police, il n'avait garanti que le risque d'accidents du travail survenus au Maroc;
Attendu que l'article 1er de la police stipule que «la compagnie garantit sans exception ni réserve le paiement des indemnités, rentes ou pensions, ainsi que les frais médicaux, pharmaceutique, d'hospitalisation, funéraires, judiciaires ou autres mis à la charge de l'assure par le dahir du 25 juin 1927 et les lois postérieures qui l'ont modifié ou complété jusqu'à la souscription de la présente police, par suite d'accidents survenus au Maroc à ses ouvriers, apprentis et employés dans les conditions énoncées par ledit dahir. »;
Attendu que l'arrêt confirmatif attaqué a d'une part estimé qu'il y avait lieu d'interpréter cet article parce que celui-ci faisait mention du dahir du 25 juin 1927 et que, ce texte «mettant à la charge de l'employeur les accidents survenus à l'étranger », la rédaction de la clause litigieuse pouvait faire naître raison de la limitation territoriale de garantie, inconciliable «avec cette charge », et a d'autre part énoncé qu'il était «inconcevable» que les Ac Ab Aa aient négligé de se garantir de tels accidents alors que leur activité s'étendait «incontestablement» à l'Algérie et que leur «but évident» d'assurer le risque tant au Maroc qu'en Algérie; qu'en conséquence la Cour d'appel a déclaré qu'il avait été dans la commune intention des parties d'assurer le risque sans limitation territoriale;
Or attendu qu'en se croyant autorisés à interpréter l'article 1er de la police et en conséquence à rechercher la commune volonté des parties, les juges du fond ont contrevenu aux dispositions des articles visés au moyen, dès lors que d'une part les termes de cette clause sont clairs, précis et conciliables avec le but évident de l'acte, qui est de garantir l'assuré des risques d'accidents du travail suivant «les conditions et modalités» du dahir précité, que d'autre part la Cour d'appel ne relève aucune contradiction résultant de la limitation du risque au Maroc contenue dans cette clause avec d'autres clauses de la police, et de laquelle pourrait naître une incertitude sur leur portée; que d'autre part enfin cette incertitude ne saurait ressortir de la rédaction de l'article 1er, seul litigieux, dont les termes sont formels;
D'où il suit que la Cour d'appel qui, écartant la convention formant la loi des parties, a imposé à l'assureur un risque qu'il n'avait pas couvert, encourt les griefs du moyen;
PAR CES MOTIFS
Et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres branches du premier moyen, ni le second moyen,
Casse.
Président :M. Hamiani.__Rapporteur : Mme Houel.__Avocat général : M. Bocquet.__Avocats : MM. Emmanuel et Pautesta.
Observations
Les pouvoirs et obligations du juge en matière d'interprétation des contrats sont précisés avec
soin par les art. 461 à 473 C. obl. contr. Il résulte notamment des art. 461 et 462 que lorsque la volonté des parties résulte clairement et sans équivoque des termes mêmes de la convention le juge n'a pas à rechercher la commune intention des contractants par des raisonnement fondés sur des circonstances ou appréciations étrangères à ces termes; ceux-ci font la loi des parties (art. 230 C. obl. contr.), ils doivent être appliqués strictement, et les obligations qu'ils expriment ne sauraient sans dénaturation être étendues ou restreintes par la volonté du juge.
Sur la dénaturation, v. T. I, note sous l'arrêt n°126, p. 227.