Par suite, encourt la cassation l'arrêt qui, pour débouter le demandeur à une action en responsabilité engagée à la fois contre le transporteur maritime et l'acconier à raison de la perte de marchandises au cours de leur chargement, se borne à énoncer qu'il n'est pas possible de déterminer la responsabilité respective de chacun des défendeurs et omet de répondre aux conclusions du demandeur selon lesquelles la charge de la preuve incombait à l'acconier.
74-64/65 24 novembre 1964 14 193
Compagnies d'assurances «La Neufchateloise» et «Gresham» c/capitaine du navire Aa Ac, le chef du service de l'acconage à Ab ,
Etat marocain et Agent judiciaire du Maroc.
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 5 janvier 1963.
La Cour,
SUR LE MOYEN UNIQUE :
Vu les articles 189 et 237 du dahir de procédure civile;
Attendu que les jugements doivent être motivés; que le défaut de réponse à conclusions équivaut à un défaut de motifs;
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué dans ses dispositions
qui intéressent le pourvoi, que les compagnies d'assurances «La Neufchatéloise» et «Gresham» ayant indemnisé l'expéditeur de marchandises qui, remises au service de l'acconage d'Essaouira, n'avaient pas été reçues en totalité par le bord, ont recherché la responsabilité du navire et de l'acconier, et ont soutenu devant la Cour que le service de l'acconage auquel la marchandise avait été confiée pour embarquement était responsable des pertes s'il ne prouvait soit qu'il avait amené la marchandise le long du bord, auquel cas la responsabilité du capitaine se substituait à la sienne, soit que la perte dont il lui fallait alors établir la cause exacte était due à un cas de force majeure ou à un risque couvert d'ordinaire par l'assurance maritime;
Or attendu que l'arrêt a débouté les compagnies d'assurances de l'action qu'elles avaient engagée tant contre l'acconier que contre le bord, au seul motif que «la preuve n'étant pas suffisamment rapportée que les pertes à la mer se soient produites au cours du chargement du navire », la responsabilité du capitaine du navire, ni celle du service de l'acconage du port d'Essaouira ne sauraient être engagées;
Qu'en se fondant sur de tels motifs qui ne répondaient nullement aux conclusions prises, la Cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences des textes susvisés;
PAR CES MOTIFS
Casse.
Président : M. Bourcelin.__Rapporteur : M. Voelckel.__Avocat général : M. Neigel.__Avocats : MM. Pajanacci, Seghers et Aoudiani, Rouan.
Observations
Dans le même sens, arrêt 73-64/65 du 24 nov. 1964.
Les opérations de chargement d'un navire en rade se déroulent en trois phases : embarquement de la marchandise sur allèges à partir du quai, transport sur allèges jusqu'au navire, enfin chargement proprement dit. Les deux premières incombent à l'acconier, la troisième est effectuée sous la responsabilité du capitaine.
En l'espèce les circonstances du sinistre n'avaient pas pu être déterminées, mais il était certain que les marchandises avaient été remises à l'acconier et qu'une partie seulement d'entre elles était parvenue à bord. Dès lors, dans le doute sur le moment de la réalisation du dommage, les responsabilités devaient être recherchées dans l'ordre chronologique des opérations de chargement. Or, par application des principes généraux de la responsabilité contractuelle, il appartenait à l'acconier qui avait reçu les marchandises de prouver soit qu'il avait bien exécuté son obligation en transportant l'intégralité de la cargaison sous les palans du navire, soit qu'il en avait été empêché par un événement de force majeure; quant à la responsabilité du bord elle ne pouvait être envisagée tant qu'il n'était pas établi que l'exécution des obligations de l'acconier avait mis le capitaine en mesure de remplir les siennes.
Tel était bien le sens des conclusions déposées par les deux compagnies d'assurances subrogées à l'expéditeur qu'elles avaient indemnisé. Mais les juges d'appel n'avaient pas répondu à ces conclusions et ils avaient commis une sorte de déni de justice en refusant d'accorder réparation d'un préjudice non contesté, au seul motif qu'ils ne savaient comment déterminer celui des deux cocontractants de l'expéditeur qui devait le réparer.