94-64/65 15 décembre 1964 9 330
Compagnie d'assurances «L'Equité »
c/Isnardon André, Aj A épouse Af, An Ag ,
la Compagnie «Caledonian Insurance », Ab ben Mohamed et le Fonds de garantie automobile.
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 9 juin 1961.
La Cour,
SUR LA RECEVABILITE DU POURVOI :
Attendu que le Fonds de garantie automobile soulève l'irrecevabilité du pourvoi au motif que l'assureur étant de plein droit subrogé à l'assuré et Ab Ac Ad Ae ne s'étant pas pourvu contre l'arrêt qui le déclare responsable de l'accident, il n'appartient pas à la compagnie d'assurances «L'Equité» de se pourvoir alors que la responsabilité de son assuré se trouve définitivement jugée;
Mais attendu que l'assureur, ayant été partie à l'instance d'appel, a qualité pour se pourvoir en cassation; qu'il y a d'autre part intérêt, tant pour discuter les chefs qui ont retenu l'entière responsabilité de son assuré que pour faire valoir les clauses de déchéance qu'il peut lui opposer;
D'où il suit que le pourvoi est recevable;
SUR LE PREMIER MOYEN :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt infirmatif attaqué que, circulant normalement à leur droite sur leur scooter, les époux Af ont été renversés et blessés par la voiture conduite par An, lequel fit valoir pour sa défense que la survenance en face de lui d'un tiers véhicule qui circulait sur sa gauche l'avait contraint d'abandonner sa droite, provoquant ainsi l'accident;
Attendu que le pourvoi fait grief à l'arrêt, qui a déclaré seul responsable de l'accident Ab Ac Ad Ae, propriétaire et gardien du tiers véhicule, d'avoir, sans donner de motifs ni de base légale à sa décision, estimé démontrée la présence sur les lieux de la voiture appartenant à Ab Ac Ad Ae, alors que rien dans les procédures pénales versées aux débats ne permettait de conclure à la certitude de la participation dudit véhicule au dommage;
Mais attendu que l'arrêt énonce «qu 'il ressort bien, tant de la procédure pénale initiale que du supplément d'information, que c'est bien la voiture Versailles n°8955-MA 27 appartenant à Ab Ac Ad Ae qui circulait en sens inverse de celle de An, le témoin Bertrand en ayant relevé le numéro, ce qui exclut toute équivoque pouvant provenir d'appréciations différentes relatives à la couleur de ce véhicule »;
Que par ce motif par lequel, faisant usage de leur pouvoir souverain d'appréciation, ils affirment la participation du véhicule de Ab Ac Ad Ae à l'événement, ils ont suffisamment et légalement justifié leur décision sur ce point;
SUR LE DEUXIEME MOYEN PRIS EN SA PREMIERE BRANCHE :
Attendu que le pourvoi fait encore grief à l'arrêt d'avoir considéré que Ab Ac Ad Ae, propriétaire du tiers véhicule, répondait, comme gardien, du dommage provoqué par celui-ci alors qu'il était établi qu'au moment de l'accident ce véhicule n'était pas conduit par celui auquel son propriétaire l'avait confié;
Mais attendu que l'arrêt énonce qu'Ahmed ben Ad Ae doit être tenu pour responsable en tant que «propriétaire du véhicule, faute d'avoir justifié en avoir transféré la garde à un tiers »;
Qu'ayant ainsi, par une appréciation souveraine des éléments de la cause, estimé que Ab Ac Ad Ae, propriétaire du véhicule, n'en avait pas perdu la garde, les juges du fond ont donné une base légale suffisante à leur décision;
SUR LE DEUXIEME MOYEN PRIS EN SA SECONDE BRANCHE :
Attendu que le pourvoi reproche également à l'arrêt d'avoir tenu pour seul responsable du dommage le gardien du tiers véhicule, alors que ce dommage avait été causé par le véhicule An et qu'il n'était pas démontré que An ne pouvait, par une manouvre appropriée, éviter de se déporter à gauche et de heurter les victimes;
Mais attendu que l'arrêt relève que An qui circulait sur sa droite ne pouvait prévoir la venue sur ce côté de la route d'un autre véhicule et que, vu le peu de temps dont il disposait et la rapidité de manouvre qui s'imposait, il avait, en obliquant sur sa gauche, pris la seule mesure que les circonstances lui permettaient; que par ces motifs d'où il résulte que An avait rapporté la double preuve exigée par l'article 88 du Code des obligations et contrats pour être exonéré de la présomption de responsabilité mise à sa charge, la Cour d'appel a légalement justifié sa décision;
MAIS SUR LE TROISIEME MOYEN :
Vu l'article 189 du dahir de procédure civile;
Attendu que les arrêts doivent être motivés; que le défaut de réponse aux conclusions équivaut au défaut de motifs;
Attendu que la compagnie «L'Equité» ayant, dans sa requête d'appel (produite) demandé aux juges du second degré de la dire fondée à opposer à son assuré Ab Ac Ad Ae la déchéance prévue au contrat d'assurance en cas de non déclaration du sinistre et de le condamner à rembourser le montant des condamnations prononcées au profit des victimes, l'arrêt attaqué, pour rejeter cette demande, se borne à rappeler que l'assureur ne peut opposer aux victimes les déchéances fondées sur le comportement de l'assuré, notamment postérieurement au sinistre, ce qui ne répond pas à la question soulevée et laisse sans solution la demande en garantie;
D'où il suit que l'arrêt a violé le texte visé au moyen;
PAR CES MOTIFS
Casse.
Président : M. Bourcelin.__Rapporteur : M. Voelckel.__Avocat général : M. Guillot.__Avocats : MM. Pautesta, Rouan, Melia, Chouraqui, Cagnoli.
Observations
I.-Toute personne qui a été partie à l'instance en appel a qualité pour se pourvoir en cassation. Ont également qualité, bien que non partie à cette instance, les héritiers des parties (Besson n. 280), leurs ayants cause particuliers pour les actions concernant la chose à laquelle ils ont succédé (Besson n. 285), leurs créanciers (Besson n. 287), la caution (Besson n. 291), le garant et le garanti (Besson n. 295), les mandataires légaux et conventionnels (Besson n. 298).
D'autre part le pourvoi en cassation n'est recevable que si l'arrêt attaqué fait grief aux intérêts du demandeur (Besson n. 358 et s.).
II.-La présence de la voiture de l'assuré sur les lieux de l'accident était une question de fait relevant de la libre appréciation des juges d'appel, et le moyen de ce chef ne pouvait prospérer.
Mais il est intéressant de noter d'autre part que la responsabilité du gardien a été retenue sur la base de l'art. 88 C. obl. contr. bien qu'il n'y ait pas eu de contact matériel entre véhicule et le scooter monté par le victimes. La solution ainsi adoptée par les juges d'appel, et d'ailleurs non critiquée par la demanderesse, est généralement approuvée par la doctrine (V. Rép. civ. V° Responsabilité du fait des choses, par Ai Am, n. 173 et s.) et elle est admise par la jurisprudence française (v. notamment : Civ. 22 janv. 1940, D.C. 1941.101, note Savatier; Civ. 30 mai 1944, D.A. 1944. 105; Civ. II 12 janv. 1966, B. 42; Toulouse 14 mars 1958 J.C.P. 1961.II. 11942 bis, note Ah Al); sans doute la participation de la chose à la réalisation du dommage est-elle plus difficile à établir en l'absence de contact entre elle et le siège du dommage, mais, lorsque la victime a rapporté cette preuve, il n'y a aucune raison de ne pas la faire bénéficier de la présomption prévue à l'article susvisé.
III.-Sur la présomption de garde attachée à la qualité de propriétaire, v. T. I note VI sous l'arrêt n°75, p. 136.
IV.-Sur la double preuve exigée par l'art. 88 C. obl. contr. pour l'exonération de la présomption pesant sur le gardien, v. supra note III sous l'arrêt n°65.
V et VI.-Aux termes de l'art. 11 arr. viz. 28 nov. 1934 «l'assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice les exceptions opposables au souscripteur de l'assurance »; mais, par exception à ce principe général, l'art. 53 du même texte, spécial aux assurances de responsabilité, dispose que «les déchéances d'assurances postérieures à l'accident ne sont pas opposables aux tiers ». Il en résulte que l'assureur d'un véhicule peut opposer à la victime : la résiliation du contrat d'assurances; sa nullité (notamment pour réticence ou fausse déclaration intentionnelle); la non assurance ou exclusion du risque; les déchéances encourues antérieurement à l'accident (et encore sous réserve de l'exception prévue à l'art. 53, al. 2, susvisé relative au «non paiement des primes dues à titre de pénalité par l'assuré pour fausse déclaration dans l'énonciation du risque lors de l'établissement du contrat », et de l'exception générale prévue en matière d'accident du travail par l'art. 341 Dh. 25 juin 1927 tel que modifié en la forme par Dh. 6 fév. 1963-v. infra arrêt n°119). Au contraire, lorsque comme en la cause le contrat comporte une clause de déchéance en cas de non déclaration du sinistre par l'assuré, c'est-à-dire une déchéance postérieure au sinistre, l'assureur demeure tenu d'indemniser la victime, mais il est fondé à réclamer à son assuré le remboursement des sommes versées à celle-ci (sur ces questions, v. notamment : Rép. civ. V° Assurances de dommage, n. 169 et s.; Juriscl. Responsabilité civile, T. II, Fasc. VIII bis F 1, par Ak Aa, n. 165 et s.). C'est bien ce qu'avait fait la compagnie demanderesse au pourvoi, et, en se
bornant à invoquer, pour rejeter cette demande, les dispositions de l'art. 53 arr. viz. 28 nov. 1934, les juges d'appel n'avaient évidement pas justifié leur décision.