17 décembre 1964
Dossier n°10945
Cassation sur le pourvoi formé par C. contre un jugement rendu le 19 avril 1962 par le tribunal de première instance de Af qui a confirmé un jugement du tribunal de paix de Casablanca- Sud ayant alloué à C.victime d'un accident de la circulation, la somme de 15000 dirhams à titre de dommages-intérêts.
La Cour,
SUR L'EXCEPTION D'IRRECEVABILITE soulevée par la Société Marocaine d'Assurances et prise de ce que C, française internée dans un hôpital psychiatrique, n'aurait pas capacité pour agir en justice :
Attendu que, par jugement du tribunal de grande instance de Tarbes en date du 24 septembre
1964, D.a, en application de l'article 35 de la loi française du 30 juin 1838, été désignée comme mandataire ad litem de sa fille C, française internée non interdite;
Qu'ainsi la représentation en justice de la demanderesse incapable se trouvant régulièrement assurée conformément à sa loi nationale, la Société Marocaine d'Assurances excipe vainement de cette incapacité pour tenter de faire obstacle à l'examen du pourvoi;
Sur le premier moyen de cassation pris par la demanderesse de la « violation des formes substantielles de procédure du défaut de réponse à conclusions et du manque de base légale » :
Attendue que, lorsqu'elles motivent spécialement leur décision accordant ou refusant une expertise, les juridictions répressives ne peuvent fonder cette décision sur une motivation manifestement impropre à la justifier; que, se trouvant privée de base légale par l'effet d'une telle motivation, leur appréciation de l'opportunité de l'expertise cesse, en ce cas, d'échapper au contrôle du juge de cassation;
Que, d'autre part, tout préjudice consécutif à un délit ou un quasi-délit s'apprécie « in concreto » à la date du jugement qui en assure l'indemnisation, et doit être entièrement réparé, compte tenu de tous ses éléments connus à cette date;
Attendu que, pour refuser la nouvelle expertise médicale sollicitée en raison d'une aggravation de l'état de C. ayant nécessité son internement prolongé dans un hôpital psychiatrique, le jugement d'appel du 19 avril 1962 attaqué énonce que l'expert Kircher a tenu le plus grand compte des sequelles consécutives de l'accident et des antécédents médicaux de cette victime, qu'il a pris soin de départager les troubles occasionnés par l'accident de ceux existant antérieurement, a estimé que les troubles psychiques préexistants avec état dépressif n'avaient pu « que subir une certaine impulsion du fait de l'accident », et a fixé compte tenu de ces divers éléments les incapacités dont elle a été atteinte à la suite de cet accident de la circulation;
Attendu que l'expert Kircher a examiné C.le 7 mars 1961 antérieurement à son internement qu'il n'a pas connu avant de déposer son rapport, puisque ce document fait uniquement allusion à une toute récente tentative de suicide de la victime; qu'ayant admis avec cet expert dont ils ont homologué les conclusions que les troubles psychiques préexistants avaient tout au moins subi « une certaine impulsion » du fait de l'accident, et se trouvant saisis de conclusions régulières de la victime justifiant par une attestation du médecin-chef de l'hôpital psychiatrique d'un internement remontant déjà à un an et toujours en cours, les juges d'appel n'ont pas donné de base légale à leur décision en la motivant par un simple rappel des conclusions de l'expert Kircher purement conjecturales quant à l'importance et aux conséquences de l'impulsion apportée par l'accident aux troubles psychiques préexistants, sans tenter dans le doute suscité par la nouvelle situation de confronter de telles conclusions avec la réalité en recherchant dans quelle mesure l'aggravation tangible révélée aurait pu les avoir modifiées au jour où ils statuaient;
D'où il suit qu'ainsi vicié en sa motivation et ne permettant pas à la Cour suprême de vérifier
s'il a été fait une exacte application des règles relatives à l'appréciation du préjudice, le jugement d'appel attaqué encourt de ce chef la cassation, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le second moyen de la demanderesse;
PAR CES MOTIFS
Casse et annule entre les parties le jugement du tribunal de première instance de Af du 19 avril 1962.
Président : M. Deltel.-Rapporteur : M.Martin.-Avocat général : M. Ruolt.-Avocats : MM. Ab Aa, Pajanacci, Ac
Ae, Ganzales de lara et Ad Ae.e.
Observations
I. - Sur les premier et deuxième points.-Aux termes de l'art.3 Dh.12 août 1913 sur la condition civile : « l'état et la capacité des Français et Etranger sont régis par leur loi nationale ».
Le pourvoi en cassation ne peut être formé que par une personne capable (V.la note sous l'arrêt n°1546 du 12 févr.1964).
L'art.33 de la loi française du 30 juin 1838 dispose que : « le tribunal, sur la demande de l'administrateur provisoire, ou à la diligence du procureur du Roi, désignera un mandataire spécial à
l'effet de représenter en justice tout individu non interdit et placé ou retenu dans un établissement d'aliénés, qui serait engagé dans une contestation judiciaire au moment du palcement, ou contre lequel une action serait intentée postérieurement » .
Le pourvoi de la demanderesse, qui avait été régulièrement pourvue d'un mandataire ad litem conformément à sa loi nationale, était donc recevable.
II._ Sur les troisième et cinquième points._ V. la note sous l'arrêt n°1344 du 7 mars 1963.
III._ Sur les quatrième et cinquième points.-V.la note (III A et B) sous l'arrêt n°1220 du 8 nov.1962 et l'arrêt n°1522 du 19 déc 1963.