217-64/65 16 mars 1965 14 599
Ah Ac Ad Ab Ag et autres c/Abdellah ben Ah Aa A Ae et conservateur de la propriété foncière de Casablanca.
Cassation d'un arrêt de la Cour d'appel de Rabat du 8 mai 1963.
La Cour,
SUR LES TROISIEME ET QUATRIEME MOYENS REUNIS :
Attendu qu'il résulte de la procédure et des énonciations de l'arrêt attaqué que, par acte adoulaire, Ah Ac Ab Ad et ses frères Ah Ai et Ah Aa ont déclaré vendre à Af Ab Ah Aa A Ae «dix hectares à prendre sur leurs droits dans la propriété faisant l'objet du titre foncier n°7111 »; que le conservateur de la propriété foncière ayant refusé d'inscrire ledit acte, Af A Ae a assigné ses vendeurs en réalisation de la vente;
Attendu qu'il est reproché à l'arrêt, qui a accueilli la demande, d'avoir, sans répondre aux motifs du jugement qu'il a infirmé, attribué à l'acheteur des droits sur l'ensemble de la propriété, alors que le contrat, qui a été dénaturé, cantonnait strictement les dix hectares cédés à l'angle nord- ouest du terrain, et que, selon les articles 338 et 339 du Code des obligations et contrats,
l'impossibilité d'exécution sans la faute des parties entraîne la nullité de l'acte, ce qui interdit de modifier la convention pour en rendre l'exécution possible et notamment, comme en l'espèce, d'attribuer à l'acheteur des droits excédant les limites prévues dans l'acte;
Mais attendu que la Cour d'appel relève que, si la rédaction de l'acte adoulaire avait pu aux
yeux du conservateur apparaître défectueuses, il était cependant évident que dans l'esprit des parties la vente avait porté sur une certaine quantité de droits indivis matérialisée par le chiffre de 10 hectares; qu'étant en présence d'une clause susceptible de deux sens, elle a ensuite, estimant par une exacte application de l'article 465 du Code des obligations et contrats que cette clause devait être entendue dans le sens avec lequel elle pouvait avoir quelqu'effet plutôt que dans celui avec lequel elle n'en aurait aucun, jugé que les vendeurs avaient cédé des droits sur les trois quarts indivis qu'ils possédaient dans le terrain, droits qui seraient cantonnés, après un partage éventuel, à concurrence de dix hectares;
Attendu que, par cette appréciation souveraine, exempte de toute dénaturation, les juges du second degré ont suffisamment répondu tant aux conclusions prises qu'aux motifs du jugement qui les avait retenues, et, sans violer les articles 338 et 339 visés aux moyens, dont l'application n'était pas en cause, ont légalement justifié leur décision;
MAIS SUR LE PREMIER ET SUR LE DEUXIEME MOYENS :
Vu l'article 72 du dahir du 9 ramadan 1331 (12 août 1913) sur l'immatriculation des immeubles;
Attendu que selon ce texte, il appartient au seul conservateur de la propriété foncière de vérifier sous sa responsabilité, non seulement l'identité et la capacité de celui ou de ceux qui requièrent toutes inscriptions sur les livres fonciers, mais encore la régularité, tant en la forme qu'au fond, des pièces produites à l'appui de la réquisition;
Or attendu que l'arrêt, après avoir statué sur la demande d'Abdellah El Maâroufi et imparti un délai à ses vendeurs pour faire inscrire sur le titre foncier les droits ainsi définis, ajoute que, faute par eux de le faire, le conservateur de la propriété foncière de Casablanca sera tenu de transcrire lesdits droits sur le titre foncier;
Attendu qu'en statuant ainsi la Cour d'appel a excédé ses pouvoirs;
PAR CES MOTIFS
Casse.
Président : M. Bourcelin.__Rapporteur : M. Morère.__Avocat général : M. Neigel.__Avocats : MM. Villemagne, Bouabid et Belhadj.
Observations
I-Sur les principes que le juge doit appliquer pour interpréter les contrats, v. notamment Rép. civ. V° Contrats et conventions, n. 91 et s.; v. également T. I note III sous l'arrêt n°176, p. 305.
II.-Les dispositions de l'art. 72 Dh. foncier visées par l'arrêt rapporté sont applicables aussi bien lorsque le juge est appelé à statuer sur l'opposition formée contre une réquisition
d'immatriculation après transmission du dossier par le conservateur, que lorsqu'il est saisi par un plaideur d'un litige relatif à un droit réel sur un immeuble déjà immatriculé. Dans un cas comme dans l'autre il lui est interdit de faire des injonctions au conservateur. Celui-ci en effet a compétence pour apprécier si les pièces produites, et spécialement la décision judiciaire rendue, lui permettent de procéder à l'immatriculation d'un immeuble, à l'inscription ou à la radiation d'un droit réel; mais en cas de refus de sa part, la partie intéressée peut exercer un recours devant le tribunal qui, alors mais alors seulement, a qualité pour ordonner éventuellement l'immatriculation, l'inscription ou la radiation (art. 96).