Motifs
TRIBUNAL CORRECTIONNEL
2011/001347
INF. J. I. B18/11
JUGEMENT DU 29 AVRIL 2014
______________
En la cause du MINISTÈRE PUBLIC ;
Contre le nommé :
- j. A, né le 8 janvier 1967 à MÂCON (71), de Antonio DA CUNHA A et de Maria Alice B, de nationalité française, gérant de restaurant, demeurant X, 1 X à ROQUEBRUNE-CAP-MARTIN (06190) ;
Prévenu de :
ABUS DE CONFIANCE
INFRACTION À LA LÉGISLATION SUR LES CHÈQUES (falsifications)
- PRÉSENT aux débats, assisté de Maître Didier ESCAUT, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;
En présence de :
- g. C, né le 2 avril 1945 à SOLIHULL (Angleterre), de nationalité britannique, demeurant X à MONACO (98000), constitué partie civile, assisté de Maître a. ZABALDANO, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;
- La société des droits des Iles Bermudes TIANA Ltd, dont le siège social est 22 Victoria Street, Canon's Court, à Hamilton (BERMUDES), agissant poursuites et diligences de ses directeurs en exercice Messieurs a. c. C et a. j. C, demeurant en leurs qualités audit siège,
- La Société Civile Immobilière de droit français S. C. I. BELLEVUE, dont le siège social est 10 rue du Cepoun San Martin à SAINT-TROPEZ (83990), agissant poursuites et diligences de son gérant en exercice Monsieur a. D, demeurant en cette qualité audit siège,
- La société MASIS LIMITED dont le siège social est Cannon's Court, 22 Victoria Street, Hamilton HM 12 Bermuda,
- constituées parties civiles, REPRÉSENTÉES par Maître a. ZABALDANO, avocat défenseur près la Cour d'appel, plaidant par ledit avocat défenseur ;
LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience du 8 avril 2014 ;
* Vu la procédure enregistrée au Parquet Général sous le n° 2013/001347 ;
* Vu l'ordonnance de non-lieu partiel, de requalification et de renvoi devant le Tribunal correctionnel du Magistrat instructeur, en date du 29 janvier 2014 ;
* Vu la citation signifiée suivant exploit, enregistré, de Maître Marie-Thérèse ESCAUT-MARQUET, huissier, en date du 21 février 2014 ;
* Ouï Maître Didier ESCAUT, avocat défenseur pour le prévenu, qui soulève in limine litis des exceptions de nullité ;
* Ouï Maître a. ZABALDANO, avocat défenseur pour les parties civiles, en ses observations ;
* Ouï le Ministère Public en réponse ;
* Ouï Monsieur le Président qui, après avoir pris l'avis de ses assesseurs, décide de joindre l'incident au fond ;
* Ouï le prévenu en ses réponses ;
* Ouï g. C, partie civile, en ses déclarations, et ce, avec l'assistance de Carmen COLLOT D'ESCURY, demeurant 7 avenue Saint-Roman à MONACO (98000), faisant fonction d'interprète en langue anglaise, serment préalablement prêté ;
* Ouï Maître a. ZABALDANO, avocat défenseur pour les parties civiles, en ses demandes, fins et conclusions en date du 7 avril 2014 ;
* Ouï le Ministère Public en ses réquisitions ;
* Ouï Maître Didier ESCAUT, avocat défenseur pour le prévenu, en ses moyens de défense, plaidoiries et conclusions en date du 7 avril 2014 ;
* Ouï le prévenu, en dernier, en ses moyens de défense ;
Le Tribunal,
Après en avoir délibéré, conformément à la loi ;
Aux termes d'une ordonnance du Magistrat instructeur en date du 29 janvier 2014, j. A a été renvoyé par devant le Tribunal correctionnel, sous la prévention :
« D'avoir, à Monaco, courant 2008 à septembre 2010, en tout cas depuis temps non couvert par la prescription,
* détourné ou dissipé, au préjudice de g. C, un ordinateur et une connexion Internet que son employeur avait mis à sa disposition pour les besoins de son activité professionnelle et qu'il a abusivement utilisés pour visiter, pendant ses heures de travail, des sites à caractère érotique ou pornographique,
DÉLIT prévu et réprimé par l'article 337 du Code pénal ;
* contrefait ou falsifié par apposition de la fausse signature de g. C 237 chèques bancaires tirés sur les comptes ouverts à la Lloyds TSB Bank numérotés 23809620190 (au nom de LAKE TRADING Ltd) et 23789680190 (au nom de g. C), (cf annexe),
DÉLIT prévu et réprimé par l'article 332-1° du Code pénal ;
* détourné ou dissipé, au préjudice de g. C, les sommes de 40.000 euros, 200.000 euros, 50.000 euros et 49.318,66 euros qui ne lui avaient été remises que dans le cadre de son activité salariée, à charge de les rendre ou représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé au regard de son engagement contractuel,
DÉLIT prévu et réprimé par l'article 337 du Code pénal ».
À l'audience g. C, la société TIANA Ltd, la S.C.I. BELLEVUE et la société MASIS LIMITED se sont constitués parties civiles et ont sollicité, par conclusions et oralement, la condamnation du prévenu à payer :
* à g. C les sommes de :
* 10.000 euros à titre de réparation du préjudice subi du fait de la falsification des chèques bancaires,
* 10.000 euros à titre de réparation du préjudice subi du fait de l'abus de confiance lié à la consultation des sites pornographiques pendant les heures de travail à partir de l'ordinateur mis à sa disposition dans le cadre de son emploi salarié,
* 40.000 euros à titre de réparation du préjudice subi du fait de l'abus de confiance lié à la perception d'une rétro-commission dans le cadre de la transaction immobilière portant sur l'appartement de l'immeuble « Les Sporades »,
* à la société TIANA Ltd la somme de 200.000 euros à titre de réparation du préjudice subi du fait de l'abus de confiance lié à la perception d'une rétro-commission dans le cadre de la transaction immobilière portant sur l'appartement de l'immeuble « Sea Side Plaza »,
* à la S.C.I. BELLEVUE la somme de 50.000 euros à titre de réparation du préjudice subi du fait de l'abus de confiance lié à la perception d'une rétro-commission dans le cadre de la transaction immobilière portant sur l'appartement de Saint-Tropez,
* à la société MASIS LIMITED la somme de 49.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le 30 juin 2011, g. C déposait plainte avec constitution de partie civile des chefs de corruption privée et abus de confiance à l'encontre de j. A.
Il exposait que ce dernier, demeurant Roquebrune-Cap-Martin, avait été son assistant personnel en Principauté pendant une vingtaine d'années. Sa compagne, c. E, avait également été son employée, chargée de sa comptabilité.
Au début de l'année 2010, il avait été informé par son chauffeur, A. VI., que j. A avait eu un comportement déloyal à son égard. Il avait chargé son fils, a. c. C, de vérifier la réalité de ces accusations. Le 3 août 2010, ce dernier s'était donc entretenu avec le mis en cause dans les bureaux de l'immeuble « Les Sporades », avenue des Papalins à Monaco, en présence de b. F, autre employé de son père.
À l'issue de cet entretien, j. A avait été mis à pied puis licencié pour faute grave par courrier R.A.R. du 2 septembre 2010, date à laquelle sa compagne avait également été licenciée.
g. C avait par la suite saisi le cabinet Price Water House Coopers afin de vérifier la comptabilité du bureau de Monaco sur les années 2008, 2009, 2010 et de déceler d'éventuelles anomalies.
Elle avait selon lui révélé plusieurs irrégularités commises par j. A : perception indue et occulte de commissions dans le cadre d'opérations immobilières pour la conclusion desquelles il avait été mandaté pour le compte de son employeur et consultation régulière de sites pornographiques à partir du matériel professionnel mis à sa disposition.
Le 21 septembre 2011, le parquet général requérait l'ouverture d'une information à l'encontre de j. A des chefs de corruption et abus de confiance (D 34).
Entendu sur commission rogatoire, g. C confirmait les termes de sa plainte et souhaitait l'étendre aux faits de falsification de nombreux chèques tirés sur les comptes ouverts à la Lloyds TSB Bank à son nom personnel et à celui de sa société Lake Trading Ltd (D 37), lesquels avaient en partie motivé le licenciement.
Le 17 octobre 2011, le parquet général requérait qu'il soit informé supplétivement contre j. A des chefs de falsification de chèques et abus de confiance commis à Monaco courant 2008 à 2010 (D 39).
Le 7 mai 2012, j. A était inculpé des chefs de corruption, abus de confiance et falsification de chèques bancaires (D103).
Inculpé puis interrogé (D 103, D 121 et D 122), j. A expliquait qu'il travaillait pour g. C depuis 1990 et qu'il était son homme à tout faire depuis 1997. Il ne contestait ni avoir utilisé l'ordinateur du bureau pour visiter des sites pornographiques, ni avoir imité la signature de son employeur sur de nombreux chèques, ni avoir perçu plusieurs commissions de l'agence immobilière par l'intermédiaire de laquelle il avait conclu plusieurs transactions immobilières dans le cadre de son emploi. Il précisait toutefois que g. C était informé tant de la perception de ces commissions que de l'imitation de sa signature sur des chèques. Il expliquait la plainte par la connaissance qu'il avait acquise, jamais révélée aux membres de la famille C, d'une relation extra-conjugale de son employeur.
Selon g. C, 237 chèques tirés sur les comptes ouverts à la Lloyds TSB Bank numérotés 23809620190 (Lake Trading Ltd) et 23789680190 g. C) émis entre janvier 2008 et juillet 2010 (pour une somme totale de 411 378 euros) portaient une signature contestée.
Si j. A estimait excessif le chiffre de 237 (ce qui correspond, sur la période considérée, à une moyenne mensuelle de 7 à 8 quand il estimait le nombre de chèques falsifiés entre deux à quatre par semaine), il ne contestait pourtant la paternité d'aucune des signatures incriminées.
Il précisait qu'il avait la co-signature sur le compte de la société Lake Trading Ltd (mais pas sur celui de g. C), et qu'il s'agissait d'une pratique courante depuis la fin des années 1990 - qui s'appliquait d'ailleurs aux autres sociétés off shore (CORNICHE et TRANSIOM) pour lesquelles il avait la co-signature - que son employeur ne pouvait ignorer, même s'il reconnaissait le caractère « implicite » de l'instruction qui lui était donnée.
Sur ces 237 chèques falsifiés, seuls quelques-uns n'auraient pas été justifiés selon les vérifications opérées par le cabinet Price Water House Coopers. Toutefois, l'information ne permettait pas de démontrer qu'un seul de ces chèques avait été émis dans l'intérêt personnel de j. A : en effet, si nombre d'entre eux (74) avaient été émis à son ordre, il s'agissait de remboursement des nombreuses notes de frais dont il s'était acquitté pour le compte de g. C, qui confirmait cette pratique. Par ailleurs, j. A contestait formellement, et il n'était pas établi, que les quelques chèques stigmatisés par le plaignant auraient été émis pour payer frauduleusement des dépenses personnelles.
Lors de la confrontation (D 124), g. C contestait avoir donné pour instruction et même su que j. A imitait sa signature, soulignant que, à la tête d'un groupe employant plus de 10 000 personnes et signant quelques 2 000 chèques par mois, il ne pouvait vérifier les conditions d'émission de chacun d'eux. Il ajoutait qu'il arrivait régulièrement à j. A de lui adresser par UPS, FEDEX ou DHL des documents ou des chèques à signer alors qu'il était en déplacement, ce que ce dernier confirmait, au moins pour les chèques non urgents ou aux montants importants.
Il était par ailleurs établi que j. A avait perçu plusieurs commissions dans le cadre d'opérations immobilières effectuées pour le compte de g. C.
Concernant la vente de parts sociales de la société propriétaire d'un appartement dans l'immeuble « Les Sporades », l'agence REAL IMMOBILIER avait ainsi viré la somme de 40.000 euros sur un compte portugais au nom de j. A le 3 mars 2008 sur la base d'une facture au nom d'Antonio A DA CUNHA, son père demeurant au Portugal. Selon les explications données par le prévenu, l'agent immobilier lui avait demandé s'il connaissait quelqu'un à l'étranger au nom duquel mettre la facture parce que c'était plus intéressant fiscalement.
Concernant la vente de parts sociales d'une société propriétaire d'un appartement de l'immeuble le « Sea Side Plaza », la même agence avait, sur facture, émis en septembre 2008 un chèque de 200.000 euros à l'ordre de Madame G, qui - selon les déclarations de cette dernière - lui avait reversé une partie de la somme par trois virements de 40.000, 50.000 et 25.000 euros, accompagnés de plusieurs versements d'espèces à hauteur de 45.000 euros. Là encore, l'utilisation d'un intermédiaire en la personne de Madame G, une amie résidente monégasque, avait une raison fiscale.
Concernant l'appartement à Saint-Tropez, la même agence avait remis à Madame G, sur facture, un chèque de 50.000 euros en mai 2010, qu'elle avait ensuite restitué à j. A en espèces.
Concernant la vente d'un local aux Villas del Sole, la même agence avait remis à Madame G, toujours sur facture, un chèque de 49.318, 66 euros en avril 2010, restitué à j. A en espèces. Ce dernier avait d'ailleurs déjà perçu une commission de 5 000 euros lors de l'achat d'un fonds de commerce des Villas del Sole.
j. A reconnaissait avoir perçu ces différentes sommes, insistant sur le fait qu'il ne les avait jamais réclamées et que g. C ne l'ignorait pas : il décrivait que sa toute première commission, de 2.000 francs en 1998 ou 1999, lui avait été remise par ce dernier. Il concédait pourtant qu'il n'avait jamais dit à son employeur qu'il en percevait et que ce dernier ignorait quelle commission il touchait et pour quelle transaction, tout étant « tacite » entre eux.
g. C contestait formellement avoir su que son employé percevait des commissions sur les transactions qu'il lui donnait pour instruction de mener à bien. Il soulignait que s'il fixait effectivement lui-même le prix de mise en vente ou d'achat, il lui avait demandé à de nombreuses reprises d'essayer de faire réduire la commission des agences, très élevée à Monaco, son employé lui répondant que ça n'était pas possible. Il contestait la remise de ces 2.000 francs à titre de commission et rappelait que son employé, qui bénéficiait d'un véhicule de fonction, percevait un salaire annuel de 100.000 euros.
Par ordonnance du 29 janvier 2014 un non-lieu était prononcé du chef d'abus de confiance relativement aux chèques falsifiés, le juge d'instruction relevant qu'il n'était pas établi que certains de ces chèques auraient été émis dans l'intérêt personnel de j. A et les faits de corruption privée étaient requalifiés en abus de confiance.
Le prévenu était renvoyé devant ce tribunal des chefs visés dans la prévention.
SUR CE,
Sur les exceptions,
Le prévenu, par l'intermédiaire de son conseil, fait valoir la nullité partielle de l'instruction au motif que la partie civile a déposé plainte personnellement relativement aux abus de confiance liés aux commissions, et non les sociétés propriétaires des immeubles, et subsidiairement sollicite de constater la prescription quant à la vente immobilière intervenue suivant acte du 15 février 2008.
Le moyen tiré de la prescription n'est pas un moyen de nullité et sera donc étudié avec l'action publique.
S'agissant de la nullité partielle soulevée, l'article 218, alinéa 2 du Code de procédure pénale (créé par la loi du 25 juin 2013) prévoit que toutes les nullités sont couvertes par l'ordonnance de renvoi lorsqu'elle est devenue définitive. Celle-ci est bien définitive et la demande en nullité ne peut qu'être rejetée.
Sur l'action publique,
Sur la prescription,
Selon la jurisprudence, en matière d'abus de confiance le point de départ de la prescription de l'action publique doit être fixé au jour où le délit est apparu et a pu être constaté dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. Dès lors le point de départ de ce délai n'est pas la date de commission des faits s'agissant de la vente d'immeuble intervenue le 15 février 2008 mais la date de la découverte de la perception d'une rétro-commission, soit au plus tôt le 3 août 2010, date où le prévenu reconnaît cette commission lors d'un entretien préalable au licenciement. La plainte avec constitution de partie civile datant du 30 juin 2011 et le réquisitoire aux fins d'informer du 21 septembre 2011 la prescription triennale n'est pas acquise.
Sur les falsifications de chèques,
j. A a reconnu avoir imité la signature de son employeur sur de nombreux chèques tirés sur son compte personnel et celui de Lake Trading Ltd et n'a contesté aucun des 237 chèques concernés.
La circonstance qu'il aurait agi sur instructions de son employeur, au demeurant sans portée quant à l'infraction (Crim. 16 avril 2008), qui l'a formellement contestée et qui lui a reproché ces falsifications lors de son licenciement, n'est pas démontrée et est d'ailleurs contredite par les propres explications du prévenu qui fait état en réalité d'instructions implicites et d'agissements réalisés pour ne pas déranger son employeur, mais aussi pour ne pas être obligé de rester au bureau tardivement dans certaines circonstances.
Au demeurant, l'organisation mise en place par g. C contredit cette possibilité. En effet l'exploitation des réquisitions bancaires démontre que ce dernier a voulu un système pérenne très contrôlé où seul lui ou son épouse peuvent avoir une signature unique sur les comptes en nom personnel ou au nom de sociétés et disposent de cartes bancaires, tandis que les directeurs des différentes entités, comme le prévenu, ne disposent que d'une signature conjointe, nécessitant donc toujours une double signature, ou ne disposent d'aucune signature comme pour le compte personnel de g. C. Le prévenu ne disposait ainsi d'aucune carte bancaire malgré les nombreux engagements de frais qu'il devait alors se faire rembourser par le bureau du Family office, les chèques étaient régulièrement envoyés pour signature par colis en cas d'éloignement durable et le prévenu n'a jamais demandé à obtenir la signature seul sur un quelconque compte.
Il sera donc déclaré coupable des faits reprochés.
Sur l'utilisation de l'ordinateur et de la connexion internet,
Si j. A expose en dernier lieu que l'ordinateur portable utilisé serait un ordinateur acheté avec son argent, et indemnisé ensuite par son employeur, en faisant selon lui un ordinateur personnel, cet élément est contredit par les éléments recueillis au cours de la procédure et l'infraction est en tout état de cause caractérisée.
En effet lors de sa mise à pied le prévenu a remis le téléphone et les clés de la voiture mis à sa disposition ainsi que l'ordinateur en cause (D94) et n'a jamais contesté le caractère professionnel de ce portable. Son épouse confirme que cet ordinateur était celui du travail et était utilisé durant les nombreuses heures passées au bureau (D96). Enfin et au besoin, le rapport du cabinet Price Water House Coopers relève le téléchargement et la visite de sites pornographiques sur tous les ordinateurs fixes et portables à disposition du prévenu.
Utilisés durant ses heures de travail, ses longues heures d'attente selon lui, avec la connexion internet professionnelle du bureau, ces ordinateurs ont permis l'accès et le téléchargement d'images pornographiques caractérisant l'utilisation abusive de l'ordinateur, mis à sa disposition par son employeur à charge d'en faire un usage professionnel. Il sera donc déclaré coupable de l'abus de confiance de ce chef.
Sur les commissions,
Il résulte des auditions du prévenu, de g. C et des documents versés aux débats (D118) que le prévenu s'est vu confier à partir de 2005 des missions relatives à différents membres de la famille et sociétés leur appartenant dans le cadre d'achat ou vente d'immeubles, des mandats écrits étant alors parfois rédigés pour signer certains documents (D118-42 à D118-84).
Concernant l'appartement n° 953 de l'immeuble « Les Sporades » à MONACO, g. C a cédé ses actions de la société AZZURO Inc, propriétaire de cet appartement, le 15 février 2008 au prix de 1.600.000 € (D118-70). L'agence REAL IMMOBILIER a viré la somme de 40.000 euros sur un compte portugais au nom de j. A le 3 mars 2008 sur la base d'une facture au nom d'a. A DA CU, son père demeurant au Portugal, étranger à la transaction (D118-71 à 73).
Concernant l'appartement n° 4B43 et ses dépendances de l'immeuble le « Sea Side Plaza », la société Tiana Ltd, représentée par g. C, a cédé le 4 septembre 2008 la totalité des actions de la société Amandine Inc, propriétaire de l'appartement, au prix de 8.080.000 euros (D118-42 et suivants). La même agence qui a perçu des honoraires de 483.184 euros a, sur facture, émis en septembre 2008 un chèque de 200.000 euros à l'ordre de Madame G, étrangère à la transaction, qui - selon les déclarations de cette dernière - a reversé une partie de la somme au prévenu par trois virements de 40.000, 50.000 et 25.000 euros, accompagnés de plusieurs versements d'espèces à hauteur de 45.000 euros.
S'agissant de l'appartement à Saint-Tropez, la SCI BELLEVUE, dont l'associé à 99 % est la société FFTA Investments appartenant à a. c. C et son épouse (pièces n°7 et 8 communiquées par le conseil de g. C), a acquis le 29 mars 2010 un appartement sis 10 rue Cepoun San Martin pour le prix de 4.497.258,88 euros, a. c. C a donné mandat écrit à j. A pour formuler l'offre (D118-75) et a réglé 300.000 euros de commissions à une agence de St Tropez. Après rétrocession partielle à la même agence celle-ci a remis à Madame G, sur facture, un chèque de 50.000 euros en mai 2010, qu'elle a ensuite restitué à j. A en espèces.
Concernant la vente d'un local aux Villas del Sole, la société MASIS LIMITED, donnant mandat écrit à j. A pour ce faire, a vendu le 29 mars 2010 ce local pour le prix de 3.300.00 euros (D118-51 et suivants). La même agence a remis à Madame G, toujours sur facture, un chèque de 49.318, 66 euros en avril 2010, restitué à j. A en espèces.
En vertu de l'article 337 du Code pénal est constitutif du délit d'abus de confiance le détournement ou la dissipation au préjudice des propriétaires, possesseurs ou détenteurs, de biens ou d'écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, qui avaient été remis dans le cadre d'un des six contrats listé, dont l'emploi salarié et le mandat, à charge de les rendre ou représenter ou d'en faire un usage ou un emploi déterminé.
Ce détournement est caractérisé selon la jurisprudence par la non-restitution de la chose remise à titre précaire mais aussi par la transgression de l'affectation de la chose. La remise peut avoir été effectuée par un tiers et la plainte de la victime n'est pas une condition à la poursuite des infractions.
Il est en l'espèce constant que j. A a perçu d'importantes sommes d'argent à titre de commissions dans le cadre de ces transactions immobilières qu'il devait mener à bien à la demande de g. C ou de son fils, tâches qui faisait partie de ses attributions salariées ou qui s'inscrivent dans le cadre de mandats, écrits ou non, présumés gratuits aux termes de l'article 1825 du Code civil.
Tant dans le cadre de son emploi salarié que dans celui du mandat, l'article 1832 du Code civil prévoyant que « tout mandataire est tenu de rendre compte de sa gestion, et de faire raison au mandant de tout ce qu'il a reçu en vertu de sa procuration, quand même ce qu'il aurait reçu n'eût point été dû au mandant » j. A devait remettre ces sommes à son employeur ou mandant.
Il le devait d'autant plus que ces rétrocessions d'une partie des commissions constituaient en réalité des ristournes sur commissions. En effet les explications de l'agent immobilier sur la non réduction des honoraires même s'il n'avait pas procédé à des rétrocessions sont sujettes à caution au regard de sa participation volontaire à la dissimulation de ces montants par la facturation des commissions réalisées par des membres de la famille de j. A et leur versement et contredites par sa renonciation à près de la moitié de ses commissions au profit de j. A pour manifestement s'assurer les affaires du Family office de g. C, puisqu'il ne réalisait aucune autre prestation que celle de ses contrats, pouvant donc réduire du même montant les commissions et pour les mêmes raisons.
Enfin, les instructions que g. C a affirmé lui avoir données de limiter autant que possible les frais d'agence - que ce dernier devait soit payer en qualité d'acheteur soit supporter sur le prix de vente en qualité de vendeur - afférents aux opérations immobilières qu'il avait acceptées de mener étaient précises et la conservation à titre personnel d'une partie de ces montants a été faite à l'insu de son employeur ou des mandants, j. A n'ayant jamais dit quoique ce soit à ces derniers et les ayant dissimulés par des fausses facturations et circuits financiers opaques.
j. A sera donc déclaré coupable de ces faits.
L'importance des montants détournés et la gravité des faits reprochés justifient que j. A soit condamné en répression à la peine de un an d'emprisonnement avec sursis et placement sous le régime de la liberté d'épreuve pendant 3 ans avec l'obligation particulière de réparer les dommages causés par les infractions.
Sur l'action civile,
g. C est la victime des falsifications de chèques, de l'abus de confiance du matériel et de la connexion informatique et du détournement de la somme de 40.000 euros dans la vente des actions de la société AZZURO Inc lui appartenant. Il est donc recevable en sa constitution de partie civile. Au regard du préjudice limité consécutivement aux deux premières infractions il sera indemnisé par la condamnation de j. A à lui payer la somme de 43.000 euros à titre de dommages et intérêts.
La société TIANA Ltd est également victime de l'abus de confiance du montant de 200.000 euros lié à la cession de la totalité des actions de la société Amandine Inc dont elle était propriétaire. Elle est donc recevable en sa constitution de partie civile et j. A sera condamné à lui payer la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts.
La S.C.I. BELLEVUE est victime de l'abus de confiance du montant de 50.0000 euros lié à l'achat par elle de l'appartement de Saint-Tropez. Elle est donc recevable en sa constitution de partie civile et j. A sera condamné à lui payer la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Enfin la société MASIS LIMITED est victime de l'abus de confiance du montant de 49.318,66 euros lié à la vente par elle d'un local aux Villas del Sole. Elle est donc recevable en sa constitution de partie civile et j. A sera condamné à lui payer la somme de 49.000 euros, somme demandée, à titre de dommages et intérêts.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement,
Sur l'action publique,
Rejette l'exception de nullité soulevée.
Déclare j. A coupable des délits qui lui sont reprochés.
En répression, faisant application des articles visés dans la prévention, ainsi que des articles 396 et suivants du Code pénal,
Le condamne à la peine de UN AN D'EMPRISONNEMENT AVEC SURSIS et PLACEMENT SOUS LE RÉGIME DE LA LIBERTE D'ÉPREUVE PENDANT TROIS ANS avec l'obligation particulière de réparer les dommages causés par les infractions.
L'avertissement prescrit par l'article 404 du Code pénal n'ayant pu être adressé au condamné, absent lors du prononcé de la décision.
Sur l'action civile,
Reçoit g. C, la société des droits des Iles Bermudes TIANA Ltd, la Société Civile Immobilière de droit français S. C. I. BELLEVUE et la société MASIS LIMITED en leur constitution de partie civile.
Condamne j. A à payer à :
- g. C la somme de 43.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- la société des droits des Iles Bermudes TIANA Ltd la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- la Société Civile Immobilière de droit français S. C. I. BELLEVUE la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts,
- la société MASIS LIMITED la somme de 49.000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le condamne, en outre, aux frais.
Composition
Ainsi jugé après débats du huit avril deux mille quatorze en audience publique tenue devant le Tribunal correctionnel composé par Monsieur Cyril BOUSSERON, Premier Juge, Madame Emmanuelle CASINI-BACHELET, Juge, Monsieur Morgan RAYMOND, Juge, le Ministère Public dûment représenté, et prononcé à l'audience publique du vingt-neuf avril deux mille quatorze, par Monsieur Cyril BOUSSERON, en présence de Monsieur Michaël BONNET, Premier Substitut du Procureur Général, assistés de Madame Florence TAILLEPIED, Greffier stagiaire.
Note
Le jugement a été confirmé en toutes ses dispositions civiles et pénales après renonciation par le prévenu à son exception de nullité de l'information et à son moyen de prescription, par arrêt de la Cour d'appel du 24 novembre 2014. La Cour a notamment considéré, comme le Tribunal correctionnel que le fait que le prévenu ait pu agir pour les falsifications de chèques sur instructions tacites de son employeur était sans portée sur l'infraction puisqu'il était le seul l'auteur matériel des falsifications réalisées en toute connaissance de cause, que l'utilisation par le salarié de moyens techniques à des fins totalement étrangères à son activité professionnelle était constitutif d'abus de confiance et repris l'analyse des premiers juges sur les commissions.
Jurisprudence constante sur le report du point de départ de la prescription en matière d'abus de confiance. Par exemple Cour de révision 28 février 2011 M. / Ministère Public en présence des époux M-G.
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