Abstract
Procédure pénale – Compétence territoriale – Diffamation publique - Diffusion d'articles par internet – Rattachement possible au territoire de la Principauté de Monaco (non) – Incompétence du tribunal correctionnel de Monaco (oui)
Résumé
Le réseau internet et les écrits qui y sont publiés constituent un moyen de communication audiovisuelle. S'il a été jugé que des faits de diffamation publique étaient réputés avoir été commis en tout lieu où les propos incriminés ont été reçus, lorsque lesdits propos ont été diffusés via le réseau internet, il convient cependant d'apporter de strictes conditions à cette compétence qui ne saurait être universelle. En effet, bien qu'accessibles depuis le territoire de la Principauté de Monaco, encore faut-il que les écrits litigieux soient notamment destinés à la population monégasque. En l'espèce, même si la parution des articles sur le réseau internet les rendait accessibles au public monégasque, ils n'étaient aucunement rédigés et diffusés à son attention et pour son information de sorte qu'en l'absence de tout autre critère de rattachement à la Principauté de Monaco, comme la nationalité monégasque d'une partie au procès pénal ainsi que le prévoit dans certains cas le Code de procédure pénale, le Tribunal correctionnel doit se déclarer incompétent.
TRIBUNAL CORRECTIONNEL
2023/000734
JUGEMENT DU 10 OCTOBRE 2023
En la cause du nommé :
* k. A., né le jma à RICHMOND (Grande-Bretagne), de nationalité britannique, domicilié x1 - 98000 MONACO (Principauté de Monaco), PARTIE CIVILE POURSUIVANTE, présent, assisté de Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat défenseur près la Cour d'appel de Monaco, chez lequel il a élu domicile, plaidant par Maître Donald MANASSE, avocat au Barreau de Nice et de Maître Christian CHARRIERE-BOURNAZEL, avocat au Barreau de Paris ;
CONTRE :
* • t. D., journaliste, domicilié en cette qualité x2 Royaume-Uni, de nationalité britannique,
* • p. E., Publisher (éditeur ou Directeur de la publication du journal G.), domicilié en cette qualité x2 Royaume-Uni,
* • la Société G., société enregistrée auprès du Répertoire des entreprises du Royaume-Uni sous le numéro xxx, prise en la personne de son représentant légal en exercice dont le siège est sis x2 Royaume-Uni,
NON COMPARANTS ;
Poursuivis pour :
DIFFAMATION PUBLIQUE ;
En présence du MINISTÈRE PUBLIC ;
Visa
LE TRIBUNAL, jugeant correctionnellement, après débats à l'audience de ce jour ;
Vu la citation délivrée directement à la requête de k. A., partie civile poursuivante, suivant exploit, enregistré, de Maître Claire NOTARI, Huissier, en date du 28 juillet 2023 ;
Vu la procédure enregistrée au Parquet général sous le numéro 2023/000734 ;
Ouï Maître Xavier-Alexandre BOYER, avocat défenseur pour k. A., partie civile poursuivante, en ses demandes et déclarations ;
Ouï le Ministère public qui s'en rapporte ;
Motifs
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Par acte d'huissier en date du 28 juillet 2023, k. A. a cité à comparaître directement t. D., p.E. et la Société G. aux fins de :
DIRE Monsieur t. D., journaliste, Monsieur p.E., directeur du site G. et la société G., prise en la personne de son représentant légal convaincus de s'être rendus coupables à Monaco et depuis temps non prescrit du délit de diffamation publique envers un particulier au sens des articles 21 et 24 de la loi du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression à raison des passages de l'article paru en Mai 2023sur le site G. et ci-dessous reproduits sous les paragraphes 1 à 8 :
1. Le titre de l'article :
« k. F. est toujours en vie et tente de réécrire l'histoire depuis son repaire à Monte Carlo
Le plus grand « malfaiteur » du sport »
2. « k. F. est pratiquement un homme oublié. L'ancien bonimenteur notoire est banni dans un somptueux penthouse de x. S'il revient en x, il a de grandes chances d'être arrêté par des agents de l'administration fiscale et douanière de C. (C.) pour de petites questions de taxes impayées datant de l'époque où il était responsable du « H. et plus tard du I.»
3. « k. F. était tout aussi mauvais que les Américains, voire pire. Il a escroqué le propriétaire du H., J. et a acheté H. pour seulement £ 1 (S1.60) en 1982, en faisant toutes sortes de promesses qu'il n'avait pas l'intention de tenir. »
4. « F. dit avoir fait sa première fortune dans le béton prêt à l'emploi. À l'époque, il était nécessaire de faire tuer ses concurrents dans le secteur du béton et de les enterrer littéralement dans le produit pour pouvoir avancer. Il est presque certain que F. s'est débarrassé de ses rivaux dans le passé et une fois il a refusé de répondre à une question directe d'un journaliste à ce sujet. »
5. « D'après tous les témoignages, il a été impliqué dans une fraude foncière dans K. »
6. « F. a « racheté » H. à x en 1982, alors que le club était en déveine et se trouvait en deuxième division du L.anglais. Le club vivait au jour le jour et son seul atout était un terrain de premier ordre au centre de x. F. ne s'intéressait pas vraiment au L.et considérait H. comme une opération immobilière, il l'a dépouillée de toutes ses liquidités, qu'il a versé directement sur ses propres comptes offshores à x. »
7. « ... m.Ma trouvé la mort dans un mystérieux, mais très commode (pour F.), accident d'hélicoptère... La raison du crash qui a tué M. n'a jamais été expliquée. Son hélicoptère a seulement piqué du nez et s'est écrasé en prenant feu... « l'accident qui a couté la vie à M. et à trois de ses amis, ainsi qu'au pilote n'a pas de raison valable et la cause n'a jamais été établie. Après l'accident F. a fait circuler des rumeurs selon lesquelles M. et ses amis avaient beaucoup bu et que leurs frasques avaient distrait le pilote dans l'espace restreint de l'hélicoptère ... »
8. « Des rumeurs beaucoup plus fortes ont circulé selon lesquelles F. avait engagé des saboteurs pour « arranger » l'hélicoptère pendant le match, alors qu'il était laisse sans surveillance dans un champ voisin. Mais aucune preuve de sabotage n'a pu être trouvée. »
En répression,
Leur FAIRE application de la loi pénale.
RECEVOIR Monsieur k. F. en sa constitution de partie civile.
L'y DIRE bien fondé et FAIRE droit.
CONDAMNER solidairement Messiers t. D. et p.E. ainsi que la société G. à lui payer la somme de 1 € symbolique au titre du préjudice moral.
CONDAMNER solidairement Messiers t. D. et p.E. ainsi que la société G. au titre des frais de justice à la somme de 200.000 euros en ce non compris les frais de constat et de procédure ;
CONDAMNER solidairement Messiers t. D. et p.E. ainsi que la société G. à supporter les frais de la publication du jugement à intervenir dans 10 journaux de son choix dans la limite de 20.000 euros par insertion, lesquels devront être payés dès signification du jugement sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, à charge pour M. F. de justifier de l'emploi des fonds aux fins des dites publications ;
CONDAMNER solidairement Messiers t. D. et p.E. ainsi que la société G. aux entiers dépens distraits au profit de Maître Xavier-Alexandre BOYER, Avocat-Défenseur, sous sa due affirmation.
* Sur les faits
Le 28 juillet 2023, k. A. faisait citer directement par devant le Tribunal correctionnel de Monaco t. D., p.E. et la Société G. pour s'être rendus coupables du délit de diffamation publique pour avoir, à Monaco, en mai 2023, par écrits diffusés sur le site internet de ladite société porté des allégations ou imputations, de faits portant atteinte à son honneur ou à sa considération.
k. A. sollicitait donc de l'accueillir en sa constitution de partie civile, réclamait la condamnation de t. D., p.E. et la Société G. à lui verser les sommes de 1 euro symbolique au titre du préjudice moral, de 200.00 euros au trie des frais de justice ainsi que la condamnation des prévenus à supporter les frais de la publication du jugement à intervenir dans 10 journaux de son choix dans la limite de 20.00 euros par insertion, lesquels devraient être payés dès signification du jugement sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard.
À l'audience qui s'est tenue le 10 octobre 2023, k. A. maintenait par l'intermédiaire de ses conseils ses prétentions apparaissant dans la citation directe.
t. D., p.E. et la Société G. n'ont pas comparu à l'audience mais il est toutefois bien établi qu'ils ont eu connaissance de la citation, ainsi il sera statuer contradictoirement en application de l'article 378 alinéa 1 du Code de procédure pénale.
SUR CE,
La loi n° 1.299 du 15 juillet 2005 sur la liberté d'expression publique définit la diffamation dans son article 21 alinéa 1 comme étant toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la réputation de la personne.
L'article 22 de cette même loi réprime la diffamation commise par voie de la presse ou par l'un des moyens énoncés à l'article 15.
Il est établi que le réseau internet et les écrits qui y sont publiés constituent un moyen de communication audiovisuelle au sens de l'article 15 de la loi susvisée.
En revanche, s'il a été jugé que des faits de diffamation publique étaient réputés avoir été commis en tout lieu où les propos incriminés ont été reçus, lorsque lesdits propos ont été diffusés via le réseau internet, il convient cependant d'apporter de strictes conditions à cette compétence qui ne saurait être universelle.
En effet, bien qu'accessibles depuis le territoire de la Principauté de Monaco, encore faut-il que les écrits litigieux soient notamment destinés à la population monégasque.
Or, force est de constater en l'espèce que les articles contestés sont en langue anglaise, mettent en cause k. A. qui est certes résident monégasque mais de nationalité britannique et sont relatifs à des personnes physiques ou encore des entités comme des clubs de L.et enfin des « affaires » ou procédures qui paraissent toutes liées à la x.
Ainsi, même si la parution de ces articles sur le réseau internet les rendait accessibles du public monégasque, ils n'étaient aucunement rédigés et diffusés à son attention et pour son information de sorte qu'en l'absence de tout autre critère de rattachement à la Principauté de Monaco, comme la nationalité monégasque d'une partie au procès pénal ainsi que le prévoit dans certains cas le Code de procédure pénale, le Tribunal correctionnel doit se déclarer incompétent.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL, statuant contradictoirement, conformément aux dispositions de l'article 378 alinéa 1 du Code de procédure pénale,
Se déclare incompétent ;
Condamne k. A. aux frais ;
Composition
Ainsi jugé et prononcé en audience publique du Tribunal de Première Instance, au Palais de Justice, à Monaco, le dix octobre deux mille vingt-trois, par Monsieur Jérôme FOUGERAS LAVERGNOLLE, Vice-Président, Monsieur Florestan BELLINZONA, Vice-Président, Monsieur Thierry DESCHANELS, Juge, en présence de Madame Valérie SAGNÉ, Premier substitut du Procureur Général, assistés de Madame Laurie PANTANELLA, Greffier.
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