Abstract
Domaine de l'Etat
Bail consenti sur un terrain domanial en vue de l'édification d'une construction - Caractère non commercial du bail en raison de sa nature et des dispositions contractuelles excluant l'application de la loi n° 490 - Acte administratif particulier - Incompétence de la commission arbitrale des loyers instituée par la loi n° 490.
Résumé
Par acte du 23 juin 1950, enregistré le 25 juillet 1950 et transcrit, Monsieur l'Administrateur des Domaines, autorisé du Ministre d'État et du Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie Nationale, qui contresignaient l'acte, agissant en exécution d'une décision souveraine du 9 juin 1950 approuvant une délibération du Conseil de Gouvernement, donnait à bail aux sieurs R. S. et A. P., agissant pour le compte des sociétés Sicom et Sonoudex, un terrain de 327 mètres carrés sis à Fontvieille pour une période de 18 années à compter du 1er juin 1950, moyennant certaines conditions :
1. interdiction de céder le droit au bail ou de sous-louer sans consentement express et écrit, sauf cession de l'un des colocataires à l'autre ;
2. faculté pour les Domaines, à la fin du bail, de conserver les constructions édifiées sur la parcelle d'après une estimation faite d'accord ou à dire d'expert ;
3. résiliation de plein droit et sans formalité du bail avant son expiration si le Domaine devait, pour des raisons d'utilité publique, reprendre la disposition de la parcelle ;
4. prise en charge par les preneurs des contributions, frais, taxes et charges de police ;
5. obligation pour eux d'assurer les constructions une fois achevées.
Il était stipulé en outre que le loyer, fixé à 100 000 anciens francs par an serait révisible par période triennale, soit à l'amiable, soit par voie d'expertise.
Advenant la fin de la période locative, au 31 mai 1968, le Domaine n'exerça pas la faculté de reprendre les constructions, conformément à la condition deuxième et se déclara prêt à renouveler le bail pour une période de 3, 6, 9 ans à compter du 1er juin 1968 aux mêmes charges et conditions, sous réserve de l'élévation du loyer.
L'accord des parties n'ayant pu se réaliser sur le montant de celui-ci, M. L'Administrateur des Domaines a suivant exploit du 26 septembre 1969, assigné les sociétés Sicom et Sonoudex pour, acte lui étant donné de son accord sur le renouvellement du bail, voir désigner un expert pour rechercher tous éléments d'appréciation nécessaires à la fixation de la valeur locative équitable du terrain loué, compte tenu des circonstances spécifiques de la cause.
Les sociétés locataires ont soulevé une exception d'incompétence du tribunal, soutenant que la commission arbitrale instituée par la loi n° 490 sur les baux commerciaux pouvait seule être valablement saisie d'une instance en fixation d'un loyer commercial.
L'examen de cette exception commande au préalable de savoir si l'acte du 23 juin 1950 constitue ou non un bail commercial.
À l'évidence il apparaît qu'en contractant, les parties ont entendu exclure et ont accepté d'exclure de l'application de la loi sur la propriété commerciale une convention ne portant pas sur un local ou un établissement, destiné à l'industrie ou au commerce, mais sur un terrain appelé à être construit, l'édification d'un immeuble ne constituant pas à priori une opération commerciale.
En dehors même de la forme particulière adoptée par le bailleur es qualités, qui révèle, de façon assez exceptionnelle, les autorisations administratives en vertu desquelles il agit, il faut retenir que plusieurs dispositions sont inconciliables avec la loi sur la propriété commerciale ; il en est ainsi :
- de la condition première interdisant la cession ou la sous-location, à l'exception de celle d'une des co-bénéficiaires, qui s'est réalisée en l'espèce,
- de la condition troisième permettant la résiliation de plein droit et sans formalité du bail pendant la période locative pour une raison d'utilité publique, mesure singulièrement plus rigoureuse que celle que prévoit l'article 34 et incompatible avec la notion de propriété commerciale,
- de la modalité particulière de révision du loyer par période triennale, à l'amiable ou par voie d'expertise, alors que la loi n° 490 prévoit un droit annuel à une telle révision en la subordonnant à une variation des conditions économiques ou particulières (art. 81).
La volonté formelle des parties d'exclure leur convention de l'application de la loi n° 490, résulte encore des modifications apportées au projet initial, tant par la suppression d'un alinéa faisant référence à cette loi pour la détermination des conditions de location, que par celle d'une disposition qui prévoyait, en cas de reprise en cours de bail, le paiement préalable à toute évacuation d'une indemnité assimilable à une indemnité d'éviction.
Il s'en suit en conséquence que tant la nature particulière du bien loué que la volonté commune et clairement exprimée des parties ont fait échapper à l'application de la loi n° 490 un acte administratif particulier qui avait du bail plutôt l'appellation que les caractéristiques et excluait celles qui eussent fait de lui un bail commercial.
Les sociétés Sicom et Sonoudex ne sauraient donc être accueillies en leur exception d'incompétence, le Tribunal ayant été valablement saisi selon la clause contractuelle et en vertu de sa compétence générale définie par l'article 21 du Code de procédure civile.
Il y donc lieu, joignant l'incident au fond, de procéder à la désignation d'un expert.
Motifs
Le Tribunal,
Attendu que par acte du 23 juin 1950, enregistré le 25 juillet 1950 et transcrit, Monsieur l'Administrateur des Domaines, autorisé du Ministre d'État et du Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l'Économie Nationale qui contresignaient l'acte, agissant en exécution d'une Décision Souveraine du 9 juin 1950 approuvant une délibération du Conseil de Gouvernement, donnait à bail aux sieurs R. S. et A. P., agissant pour le compte des sociétés Sicom et Sonoudex, un terrain de 327 mètres carrés sis à Fontvieille pour une période de dix-huit années à compter du 1er juin 1950, moyennant certaines conditions :
1°) interdiction de céder le droit au bail ou de sous-louer sans consentement express et écrit, sauf cession de l'un des colocataires à l'autre ;
2°) faculté pour les Domaines, à la fin du bail, de conserver les constructions édifiées sur la parcelle d'après une estimation faite d'accord ou à dire d'expert ;
3°) résiliation de plein droit et sans formalité du bail avant son expiration si le Domaine devait, pour des raisons d'utilité publique, reprendre la disposition de la parcelle ;
4°) prise en charge par les preneurs des contributions, frais, taxes et charges de police,
5°) obligation pour eux d'assurer les constructions une fois achevées ;
Qu'il était stipulé en outre que le loyer, fixé à cent mille anciens francs par an serait révisible par période triennale soit à l'amiable soit par voie d'expertise ;
Attendu qu'advenant la fin de la période locative, au 31 mai 1968, le Domaine n'exerça pas la faculté de reprendre les constructions, conformément à la condition deuxième et se déclara prêt à renouveler le bail pour une période de trois, six, neuf ans à compter du 1er juin 1968 aux mêmes charges et conditions, sous réserve de l'élévation du loyer ; que l'accord des parties n'ayant pu se réaliser sur le montant de celui-ci, Monsieur l'Administrateur des Domaines a, suivant exploit du 26 septembre 1969, assigné les sociétés Sicom et Sonoudex pour, acte lui étant donné de son accord sur le renouvellement du bail, voir désigner un expert pour rechercher tous éléments d'appréciation nécessaires à la fixation de la valeur locative équitable du terrain loué, compte tenu des circonstances spécifiques de la cause ;
Attendu que les sociétés locataires ont soulevé une exception d'incompétence du Tribunal, soutenant que la commission arbitrale instituée par la loi n° 490 pouvait seule être valablement saisie d'une instance en fixation d'un loyer commercial ;
Qu'en leurs premières conclusions, du 20 novembre 1969, elles fondaient leur exception sur une référence expresse aux dépositions de la loi n° 490 pour les conditions de location à défaut d'accord amiable, qui figurerait dans le bail ; que sur la preuve administrée de façon formelle que cette clause, qui avait figuré dans un projet non signé, avait été supprimée et remplacée dans le bail définitif, signé et enregistré, elles soutiennent encore, le 2 mars 1970, que les articles 6 et 21 du Code de procédure civile invoqués par le Domaine ne sont pas applicables à la cause, du fait que la loi n° 490 attribue à la commission arbitrale une compétence absolue pour tous les litiges concernant les baux de locaux commerciaux ou industriels, même appartenant à l'État, sous la seule réserve, figurant à l'article 34, qui celui-ci refuse de renouveler un bail pour un motif d'intérêt public, ce qui n'est pas le cas de l'espèce ;
Attendu qu'après avoir, en ses premières conclusions du 14 janvier 1970 démenti l'existence dans le bail d'une référence à la loi n° 490 et tiré argument de l'exclusion même de cette disposition, le Domaine soutient le caractère d'acte administratif du bail résultant de sa forme et de son objet, mais aussi de dispositions spéciales incompatibles avec la loi n° 490 ; qu'il estime le 12 mars 1970 que l'argument tiré de l'article 34 de la loi n° 490 résoud la question par la question, alors qu'il s'agit de savoir si cette loi est applicable au cas de l'espèce et même si elle interdit au représentant de l'État de conclure des baux administratifs prévoyant la révision du prix par expertise ; qu'en rappelant la plénitude de juridiction, même administrative, reconnue au tribunal par l'article 21 du Code de procédure civile, il demande au Tribunal, joignant l'incident au fond, de se déclarer compétent, de dire que le bail litigieux est un acte administratif susceptible de contenir une clause adoptant un mode déterminé de fixation de loyer et statuant comme juridiction administrative, de désigner à cette fin un expert ;
Attendu qu'il est bien exact qu'il n'existe pas dans la loi n° 490 de disposition excluant de son application les locations commerciales consenties par l'État, autrement que dans l'hypothèse prévue par l'article 34, d'un refus de renouvellement correspondant à un intérêt public ; que Sicom et Sonoudex en déduisent qu'un litige portant uniquement sur la fixation du loyer doit être nécessairement soumis aux règles de cette loi ;
Mais attendu que ce raisonnement suppose résolu le problème, soumis au Tribunal, de savoir si l'acte du 23 juin 1950 constitue ou non un bail commercial ; que pour invoquer en faveur du cas de l'espèce l'article 34, il faudrait d'abord admettre qu'un terrain constitue un « établissement » interprétation extensive peu conciliable avec l'application d'une loi d'exception, fut-elle d'ordre public ;
Attendu surtout qu'il apparaît à l'évidence qu'en contractant, les parties ont entendu exclure et ont accepté d'exclure de l'application de la loi sur la propriété commerciale une convention ne portant pas sur un local ou établissement, destiné à l'industrie ou au commerce, mais sur un terrain appelé à être construit, l'édification d'un immeuble ne constituant pas à priori une opération commerciale ;
Attendu qu'en dehors même de la forme particulière adoptée par la bailleur ès qualités, qui révèle, de façon assez exceptionnelle, les autorisations administratives en vertu desquelles il agit, il faut retenir que plusieurs dispositions sont inconciliables avec la loi sur la propriété commerciale ; qu'il en est ainsi :
* de la condition première interdisant la cession ou la sous-location, à l'exception de celle d'un des co-bénéficiaires, qui s'est réalisée en l'espèce ;
* de la condition 3° permettant la résiliation de plein droit et sans formalité du bail pendant la période locative pour une raison d'utilité publique, mesure singulièrement plus rigoureuse sur celle que prévoit l'article 34 et incompatible avec la notion de propriété commerciale ;
* de la modalité particulière de révision du loyer par période triennale, à l'amiable ou par voie d'expertise, alors que la loi n° 490 prévoit un droit annuel à une telle révision en la subordonnant à une variation des conditions économiques ou particulières (art. 21) ;
Attendu que la volonté formelle des parties d'exclure leur convention de l'application de la loi n° 490 résulte encore des modifications apportées au projet initial, tant par la suppression d'un alinéa faisant référence à cette loi pour la détermination des conditions de location, que par celle d'une disposition qui prévoyait, en cas de reprise en cours de bail, le paiement préalable à toute évacuation d'une indemnité assimilable à une indemnité d'éviction ;
Qu'il apparaît en conséquence que tant la nature particulière du bien loué que la volonté commune et clairement exprimée des parties ont fait échapper à l'application de la loi n° 490 un acte administratif particulier qui avait du bail plutôt l'appellation que les caractéristiques et excluait celles qui eussent fait de lui un bail commercial ; que les sociétés Sicom et Sonoudex ne sauraient donc être accueillies en leur exception d'incompétence, le Tribunal ayant été valablement saisi selon la clause contractuelle et en vertu de sa compétence générale définie par l'article 21 du Code de procédure civile ; qu'il y a donc lieu, joignant l'incident au fond, de procéder à la désignation d'un expert et de condamner les sociétés Sicom et Sonoudex aux dépens de l'incident ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS :
* Accueille en la forme Monsieur l'Administrateur des Domaines en son action, et joignant au fond l'incident d'exécution d'incompétence soulevé par les sociétés Sicom et Sonoudex, déclare celles-ci infondées, l'acte administratif du 23 juin 1950 portant location d'un terrain n'ayant pas constitué un bail commercial soumis aux procédures instituées par la loi n° 490 ; les déboute de leur exception et retenant sa compétence comme juridiction administrative, désigne en qualité d'expert Monsieur Jean Porta, lequel serment préalablement prêté, sauf dispense régulière des parties, devant le Président mandaté aux fins de le recevoir, aura pour mission de rechercher et fournir tous éléments d'appréciation nécessaires à la fixation de la valeur locative équitable du terrain loué, compte tenu de toutes les circonstances spécifiques de la cause ;
* Dit que l'expert conciliera les parties si faire se peut, sinon déposera rapport de ses opérations dans les deux mois de sa prestation de serment ou de sa saisine, pour être statué comme il appartiendra.
Composition
MM. de Monseignat prés.; François subst. proc. gén. ; MesMarquet, Clerissi av. déf.
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