Abstract
Testament
Testament olographe - Forme - Texte comportant des dispositions manuscrites et dactylographiées - Validité.
Résumé
L'exigence d'une rédaction entièrement manuscrite du testament olographe tend essentiellement à assurer la spontanéité et la sincérité des dispositions testamentaires, en excluant toute intervention de tiers et par suite toute possibilité de fraude ; un testament comportant des dispositions écrites, parties à la main, parties dactylographiées est valable dès lors qu'il n'est nullement contesté que le défunt en est bien l'auteur exclusif.
Motifs
Le Tribunal,
Attendu que le trois février mil neuf cent soixante et onze décédait à l'hôpital de Monaco, le sieur R. L. D., de nationalité française, de son vivant juge au tribunal de première instance de cette ville, laissant comme seuls héritiers son frère M.-A. D., et ses deux sœurs, dame Madeleine M. D. Veuve R., et dame M.-M. D. épouse L. ;
Attendu qu'à l'occasion d'une levée de scellés avec inventaire effectuée le vingt-huit septembre mil neuf cent soixante et onze au domicile du défunt en présence des dames M. Du., S. G. et D. Veuve R., le notaire instrumentaire découvrait une enveloppe à entête du Tribunal de première instance de Monaco comportant au recto le nom manuscrit de « R. L. D. » et, au-dessous, la mention manuscrite « à ouvrir en cas de décès et à envoyer à Maître Guillon, dix-neuf, boulevard Joffre - 49 - Angers (Maine et Loire) » ; que cette enveloppe, qui paraissait contenir des dispositions testamentaires, était présentée au Président du Tribunal qui procédait à son ouverture et en extrayait un document également à en-tête du Tribunal de Première Instance de Monaco, comportant des dispositions écrites, partie à la main, partie à la machine, par lesquelles R. L. D., instituait sa filleule M. G. épouse Du., sa légataire universelle ; qu'il était alors procédé à la publication de ces ultima verba et à leur dépôt en l'étude de Maître J.C. Rey, notaire à Monaco ;
Attendu qu'ayant appris la découverte des documents précités, les hoirs D., unis d'intérêt, ont assigné, suivant exploit du vingt-six octobre mil neuf cent soixante et onze, la dame M. G. épouse du sieur Du., et ce dernier pour les dues assistance et autorisation maritales, pour entendre dire et juger que le document daté du dix-sept octobre mil neuf cent soixante-huit dans lequel leur frère prédécédé paraît avoir institué la dame Du. sa légataire universelle ne peut être considéré comme un testament valable, permettant à celle-ci d'obtenir son envoi en possession des biens du de cujus ;
Qu'à l'appui de leur demande, les consorts D. invoquent, d'une part, les dispositions de l'article huit cent trente-six du Code Civil Monégasque correspondant à celles de l'article neuf cent soixante-dix du Code Civil français relatives à la forme du testament olographe et prescrivant que celui-ci doit être écrit en entier, daté et signé de la main du testateur, d'autre part des principes jurisprudentiels dégagés en la matière, en vertu desquels, sont nulles les dispositions testamentaires dactylographiées ;
Attendu que concluant le douze janvier mil neuf cent soixante-douze, la dame M. G. épouse D. dûment assistée, soutient que le législateur français de mil huit cent quatre n'a pu proscrire pour la rédaction du testament olographe l'écriture à la machine puisqu'à cette époque il ne connaissait ni ne soupçonnait l'existence d'un tel procédé scripturaire, dont l'usage est actuellement généralisé pour la rédaction des actes officiels ; que si une certaine jurisprudence a cru devoir annuler des testaments dactylographiés, la cause d'une telle rigueur doit être recherchée dans la volonté de prévenir toute possibilité de fraude et procède essentiellement de la crainte que ce ne soit pas la main du testateur lui-même qu'ait actionné la machine à écrire et frappé les caractères correspondant à sa volonté, en sorte qu'il appartient au juge du fond d'apprécier, dans chaque espèce, si le testament qui lui est soumis constitue ou non l'œuvre du testateur et l'expression de sa volonté ;
Qu'elle fait valoir que le document litigieux comporte une première partie manuscrite, suivie d'un texte dactylographié se raccordant de façon très précise, sans aucun blanc ni intervalle à d'autres caractères manuscrits avec lesquels ils font corps et forment un tout rédigé d'un seul tenant excluant toute possibilité d'intervention d'un tiers actionnant la machine à écrire ; que la partie dactylographiée, dans un souci évident du testateur de rendre claires et intelligibles des dispositions qu'une rédaction manuscrite eut rendu quasi illisible en raison de son écriture difficile à déchiffrer, concerne la désignation des bénéficiaires et l'étendue de leurs legs, indications corroborées par des éléments extrinsèques tels que de nombreuses correspondances attestant la volonté du défunt de déshériter ses frère et sœurs auxquels il se heurtait pour le règlement de la succession de leurs auteurs, génératrice entre eux d'un procès en cours, et de léguer sa fortune à sa filleule et à la sœur de celle-ci ; qu'au demeurant et à défaut de tout autre testament, ces lettres missives dont ni l'écriture, ni la date, ni la signature ne sauraient être déniées constitueraient à elles seules un testament valable au sens de la jurisprudence ;
Qu'elle demande, en conséquence, au Tribunal de débouter les consorts D. des fins de leur assignation, de dire et juger que le testament rédigé le dix-sept octobre mil neuf cent soixante-huit par R. L. D. est valable et l'a bien instituée légataire universelle des biens de ce dernier, d'ordonner partant son envoi en possession de ces biens, subsidiairement de dire que les lettres missives adressées par le défunt constituent à elles seules un testament parfaitement valable ;
Attendu qu'en des conclusions en réponse du deux mars mil neuf cent soixante-douze, les consorts D. insistent sur le refus par la jurisprudence de valider tout testament dactylographié même lorsque le testateur a ajouté une mention manuscrite datée et signée de lui attestant que la partie dactylographiée répond à sa volonté ;
Qu'ils font valoir que le défunt, docteur en droit, ancien avocat et magistrat de carrière ne pouvait ignorer le caractère d'ordre public des dispositions de l'article 836 du Code civil et que le document par lui rédigé dans les conditions rappelées ne peut, en raison de son vice de forme, donner lieu à une quelconque interprétation même au moyen d'éléments extrinsèques insusceptibles de conférer audit document un caractère olographe au sens de la loi ; que les correspondances produites et notamment la lettre du trente mars mil neuf cent soixante-six ne comportent qu'une intention de legs manifestée bien antérieurement à la rédaction du document litigieux et ne peuvent être, en toute hypothèse, considérées comme des dispositions testamentaires valables au sens de la jurisprudence ;
Qu'elles réitèrent en conséquence leur demande telle que formulée dans leur exploit d'assignation ;
Qu'enfin dans une note après plaidoirie du deux juin mil neuf cent soixante-douze, ils estiment que leur frère a rédigé le document dont s'agit volontairement en la forme critiquée soit pour donner le change sur ses véritables intentions et échapper ainsi aux pressions et aux réclamations constantes de la dame G. en faveur de sa fille, soit pour servir provisoirement dans l'attente d'une détermination définitive de ses dernières volontés au moyen d'un acte régulièrement rédigé ;
Attendu que si l'article 836 du Code civil monégasque, littéralement identique à l'article 970 du Code civil français dispose effectivement que le testament olographe ne sera point valable s'il n'est écrit en entier, daté et signé de la main du testateur, il n'est pas sans intérêt de relever, d'une part, que dans son souci d'imposer un formalisme très strict en matière testamentaire et de donner dans ce domaine plus que dans tout autre, toute sa force à la maxime « forma dat esse rei », le législateur n'a pas été jusqu'à déterminer le procédé scripturaire dont le testateur doit user, d'autre part que l'écriture se définit d'après Larousse comme « l'art de fixer la pensée au moyen de signes qui la rendent intelligible à l'œil » et, d'après Littré et Robert comme « la représentation de la parole et de la pensée par des signes » ; que malgré ce, et pour justifier son refus de reconnaître le caractère olographe à des ultima verba rédigés à la machine à écrire, c'est-à-dire au moyen de la dactylographie qui d'après Larousse et Robert n'est autre que l'art d'écrire mécaniquement en frappant avec les doigts sur les touches d'une machine, la Cour de cassation s'est fondée, dans une espèce, sur le fait que la condition d'écriture de la main du testateur est exigée par le Code civil pour prévenir des falsifications possibles et pour écarter toute incertitude sur le point de savoir si le texte testamentaire constitue bien l'expression fidèle des volontés du testateur, un texte dactylographié, obtenu par des moyens mécaniques, présentant un caractère trop impersonnel pour faire la preuve que ledit testateur en a été lui-même l'auteur, et, seule l'écriture manuscrite, si difficilement imitable constituant, au sens de l'arrêt confirmé par la Cour suprême, l'extériorisation la plus expresse de la personnalité ;
Or, attendu qu'un examen de la doctrine et de la jurisprudence permet de relever une interprétation fort libérale des dispositions du Code civil relatives à l'écriture du testament olographe puisque aussi bien le testament d'un aveugle en caractères Braille, c'est-à-dire au moyen d'un procédé scripturaire en points saillants serait valable d'après Aubry et Rau (Dt civ.T.x p. 601), de même qu'un testament sténographié ou en écriture chiffrée d'après Planiol et Ripert (Dt Civ. T.V. p. 672) ce qui tend à démontrer que les formes d'écriture et les caractères employés importent peu, ainsi que l'a d'ailleurs rappelé récemment la Cour de cassation dans un arrêt du vingt-deux novembre mil neuf cent soixante-six (J.C.P. 66 IV) relatif à un testament écrit en lettres d'imprimerie et, aux termes duquel, « c'est à bon droit que les juges d'appel énoncent, le type d'écriture utilisé n'important pas, qu'il suffit pour être valable, que le testament olographe ait été écrit en entier, daté et signé de la main du testateur » ;
Attendu que dans les cas envisagés ci-dessus par la doctrine et la jurisprudence, il apparaît évident que même si elle exclut l'intermédiaire d'un moyen mécanique actionné manuellement par le testateur, l'écriture ne peut marquer le testament de l'empreinte personnelle de son auteur, dès lors qu'aussi bien les caractères Braille et les signes sténographiques conventionnels que les caractères d'imprimerie ne procèdent pas d'un graphisme original et inimitable et doivent être considérés comme revêtant un caractère aussi anonyme que l'écriture dactylographiée, laquelle, en l'état des nouvelles techniques expertales, se prête actuellement au contrôle de l'expert aussi bien que les moyens traditionnels d'écriture aux fins d'identification de son auteur ;
Qu'au demeurant, il doit être retenu que l'écriture ne s'analyse pas uniquement en une opération matérielle et manuelle directe ou indirecte mais encore et surtout en une opération intellectuelle dans la mesure où seule l'intelligence de ce qu'il fait manuellement en traçant par un moyen quelconque des signes sur du papier permet au testateur de s'assurer si ce qu'il écrit correspond bien à sa volonté libérale ;
Qu'il est essentiel de relever, en l'espèce, que les demandeurs n'entendent nullement contester que R. L. D. est bien l'auteur exclusif du document querellé non plus qu'en procédant à sa rédaction partielle au moyen d'une machine à écrire, il a eu conscience de la valeur phonétique et par là même du sens des mots par lui dactylographiés ;
Attendu qu'il ne doit pas être perdu de vue que par l'exigence d'une rédaction entièrement manuscrite, le législateur a entendu essentiellement assurer la spontanéité et la sincérité des dispositions testamentaires, en excluant toute intervention d'un tiers et par suite toute possibilité de fraude ; que le texte de l'article 836 du Code civil monégasque reproduit celui de l'article 970 du Code civil français demeuré ne varietur depuis mil huit cent quatre, date de la codification de l'article 26 de la Grande Ordonnance Royale sur les testaments du mois d'août mil sept cent trente-cinq, reprenant l'article 289 de la Coutume de Paris de mil cinq cent dix réformée en mil cinq cent quatre vingt, qui subordonnait la validité du testament olographe à son entière rédaction et à sa signature de la main du testateur « sans la moindre addition d'une main étrangère » (Coll. de décisions nouvelles et les notions relatives à la jurisprudence actuelle par Denisard, Procureur au Châtelet - Paris 1757. TII, p. 257) ;
Qu'il suit que ce qui a toujours importé depuis l'ancien droit, ce n'est pas le moyen scripturaire ou le caractère des signes graphiques utilisés pour la rédaction du testament mais le fait que celui-ci ait été l'œuvre matérielle et intellectuelle exclusive du testateur, l'obligation pour ce dernier d'écrire de sa propre main l'intégralité de ses ultima verba à des époques où l'écriture purement manuscrite ne comportait aucun succédané mécanique n'étant point requise « adsolemnitatem » mais « ad probationem » ;
Attendu que l'attribution de la paternité exclusive du testament litigieux à R.-L. D. n'étant pas déniée par les demandeurs, il y a lieu de relever que ce document contenu dans une enveloppe comportant les mentions imprimées et manuscrites déjà rappelées, s'introduit par une clause révocatoire manuscrite suivie sans le moindre intervalle de dispositions dactylographiées relatives à la désignation des légataires et à l'étendue des libéralités, se raccordant sans davantage d'intervalle ni de blanc à de nouvelles mentions manuscrites relatives à la lecture et à l'approbation des dispositions précédentes et comportant en outre, avec le nom, la qualité et la capacité de disposer du testateur, le lieu et la date de l'instrumentum, ainsi que la signature de son auteur ;
Qu'en l'état des éléments de la cause, le recours à la machine à écrire, pour rédiger les dispositions relatives à l'institution d'héritier, s'explique par le souci du testateur à rendre parfaitement intelligible ses dernières volontés dès lors qu'il se savait affligé d'une écriture quasi illisible à propos de laquelle il écrivait, dans une lettre du dix-neuf janvier mil neuf cent soixante-huit adressée à la mère de la défenderesse et versée aux débats : « Je suis navré d'écrire si mal.... heureusement tu es la personne au monde qui a le plus l'habitude de déchiffrer mes hiéroglyphes... ! » ;
Attendu que ces dispositions testamentaires se présentent donc sous la forme d'un texte rédigé « uno contextu » bien que pour partie de la plume du testateur et pour partie par ce dernier au moyen d'une machine à écrire actionnée de sa main, dont les pièces produites aux débats établissent qu'il en usait pour rédiger sa correspondance privée, et qu'elles doivent être en conséquence considérées comme ayant été faites en conformité du principe fondamental édicté par l'ancien droit français et dont le texte consulaire de mil huit cent quatre, tel que reproduit par le Code civil monégasque dans l'article 836, constitue la fidèle émanation, puisqu'il n'est pas contesté que le document dont s'agit a été confectionné, daté et signé par le seul testateur « sans la moindre addition d'une main étrangère » ;
Attendu dans ces conditions que la jurisprudence invoquée par les demandeurs et qui s'analyse en deux décisions d'espèce n'apparaît nullement topique in concreto ; qu'en effet, dans la première espèce soumise à la Cour de cassation le dix-huit mai mil neuf cent trente-six, l'arrêt de la Cour d'appel attaqué avait infirmé un jugement du Tribunal de Marseille qui, en l'état de l'incertitude alléguée par les héritiers ab intestat quant à la rédaction personnelle d'un testament formé de plusieurs feuillets dactylographiés, avait souverainement estimé que la preuve d'une telle rédaction résultait suffisamment d'une mention manuscrite du testateur sur le dernier feuillet dactylographié attestant qu'il était bien l'auteur, au moyen d'une machine à écrire, dudit testament ; que, dans la deuxième espèce soumise à la Cour suprême le premier mars mil neuf cent soixante et un sur pourvoi formé à l'encontre d'un arrêt de la Cour d'appel de Dakar du vingt-sept mars mil neuf cent cinquante-sept, il lui était demandé d'admettre la certitude de l'identité du dactylographe au moyen de mentions manuscrites et de signatures sur l'enveloppe contenant un testament entièrement dactylographié suivi d'une signature manuscrite, en sorte que la solution du litige était liée à une question de preuve qui ne se pose pas dans le cas de la présente instance ;
Attendu au demeurant que si la Cour de cassation s'est référée, dans chacune des espèces précitées aux dispositions littérales de l'article 970 du Code civil français (836 du Code civil monégasque) pour souligner le principe de l'assujettissement du testament olographe à des formes déterminées, prescrites « ad validitatem », elle n'en a pas moins adopté dans un arrêt récent (Civ. deux février mil neuf cent soixante et onze), une conception volontariste dudit testament en faisant prévaloir, en matière de lacération de ce genre d'ultima verba, la volonté du de cujus sur le formalisme prévu en semblable matière ;
Attendu que la volonté de R.-L. D. de disposer en faveur de la défenderesse, manifestée d'une manière conforme à l'esprit de l'article 836 du Code civil et dans des conditions d'authenticité non contestées, ne peut être mise en doute en l'état des correspondances versées aux débats faisant état de l'intention bien arrêtée de leur auteur de laisser sa fortune à M. G. épouse Du. ; que prétendre le contraire et notamment que le juriste qu'était R.-L. D. a volontairement intercalé dans le texte manuscrit de son testament un passage dactylographié pour en assurer la nullité, reviendrait à prêter au défunt l'intention de faire en sorte que sa succession soit dévolue à ses frère et sœurs à l'égard de qui il est établi, par des documents régulièrement produits, qu'il n'était nullement animé de sentiments généreux ;
Attendu dans ces conditions qu'il y a lieu de débouter les consorts D. des fins de leur assignation, de déclarer valable le testament rédigé le dix-sept octobre mil neuf cent soixante-huit par R.-L. D. instituant la dame G. épouse Du. légataire universelle de ses biens, et d'autoriser celle-ci à requérir, en vertu de l'article 864 du Code civil, l'envoi en possession ;
Attendu que les dépens suivent la succombance ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Rejetant comme inopérantes ou mal fondées toutes demandes, fins et conclusions contraires ou plus amples des parties ;
Accueille, en la forme, les consorts D., unis d'intérêts en leur demande ;
Les y déclarant mal fondés, les en déboute ;
Dit et juge que le testament rédigé le dix-sept octobre mil neuf cent soixante-huit par R.-L. D. est valable et a bien institué la dame M. G. épouse Du., légataire universelle des biens du de cujus ;
Composition
MM. de Monseignat, prés. ; Rossi, vice-prés., François, prem. subst. proc. gén. ; MMe Boéri, Boisson, av. déf. Loison (du barreau de Nantes), av.
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