Abstract
Banques
Compte dépôt - Droits et obligation du banquier - Ordre de virement - Virement effectué par chèque bancaire et non par chèque postal - Responsabilité contractuelle (non) - 2° Compte livret : Virement au profit d'un tiers - Impossibilité - 3° Chèque postal : Chèque envoyé directement par le tireur au centre de chèques - Absence de lien de droit entre le tireur et le bénéficiaire
Résumé
En contrepartie du droit de disposer des fonds déposés pour son activité propre, le banquier a la charge d'assurer au déposant un service de caisse et notamment de payer tous ordres de dispositions donnés par lui par chèques, virements ou de toute autre façon en sa faveur ou en faveur de tiers et également de recevoir pour les joindre au dépôt toutes sommes qu'il aura à encaisser pour le déposant. L'obligation du banquier saisi d'un ordre de virement consiste à effectuer avec le maximum de diligence ce virement et uniquement en cela. En utilisant de préférence au virement postal, assez peu usité par les banques, le chèque bancaire, en indiquant au bénéficiaire le motif du règlement et en faisant parvenir au tireur un bordereau rendant compte de façon détaillée de l'exécution des instructions reçues, le banquier n'a commis aucune faute contractuelle. Il ignorait qu'en réalité le virement devait constituer un moyen de pression exercé sur le bénéficiaire et, quand bien même l'aurait-il su, il lui aurait été interdit de considérer le chèque autrement que comme un ordre de paiement pur et simple (Convention de Genève du 19 mars 1931).
Les seules opérations possibles sur des comptes livrets sont des retraits au profit du titulaire des versements, à l'exclusion des virements au bénéfice de tiers.
Un chèque postal envoyé directement par le tireur au Centre de chèques postaux n'établit aucun lien de droit direct entre le tireur et le bénéficiaire, lequel en ignore souvent l'existence (3).
Motifs
LE TRIBUNAL,
Attendu que par exploit de Maître Marquet, Huissier, en date du 30 mars 1972, la dame G. M. épouse N.-S., assistée en tant que de besoin de son mari, assigne la Banca Commerciale Italiana dont la nature juridique n'est pas indiquée, en paiement :
* de la somme de 4 666 F. représentant l'intérêt au taux de 8 % de 70 000 francs immobilisés durant dix mois,
* de la somme de 5 000 F. à titre de dommages intérêts ;
Attendu qu'elle expose :
* qu'elle est titulaire d'un compte à la Banca Commerciale Italiana, qui sera ultérieurement désignée sous le sigle B.C.I., agence de Monte-Carlo,
* que le 17 juin 1970 elle adresse une lettre au directeur de cette banque le priant de « virer à Mademoiselle R. J., ., compte chèques postaux Paris 19.393.53, la somme de 70 000 F » et d'indiquer sur la correspondance le remboursement de la somme versée par Mademoiselle R. sur acquisition de deux pièces de la villa E., appartenant à Madame N.-S., « en lui précisant » Veuillez m'adresser une photocopie du virement, recto et verso, par retour de courrier et si vous pouvez m'adresser le virement dûment rempli et signé, j'en contrôlerai la bonne exécution et l'expédierai sous enveloppe aux comptes chèques postaux de Marseille « ;
* que la précision de ces instructions établit l'importance pour la requérante des modalités d'expédition des fonds ;
* qu'en effet, ayant vendu une portion d'immeuble à demoiselle R., elle se trouve en face d'une co-contractante qui refuse de passer l'acte de vente définitif et de dresser le cahier des charges au motif qu'elle entend résilier la vente et qui refuse, d'autre part, de fixer une date pour cette résiliation ;
* que la restitution des fonds a pour but d'obliger demoiselle R. à prendre position ;
* qu'au lieu de se conformer à ces instructions, la B.C.I. adresse à demoiselle R. un chèque de 70 000 F, que celle-ci conserve jusqu'au 30 mars 1971, sans l'encaisser mais sans le restituer ;
* que ses fonds sont immobilisés en pure perte pendant dix mois sans que pour autant soit réglée la question avec demoiselle R. ;
* qu'il y a lieu de l'indemniser de la perte de l'intérêt de cet argent au taux de 8 % durant cette période, soit 4 666 F. ;
* qu'en outre le refus de la banque d'exécuter des conventions, (sic) claires et précises a entraîné le maintien d'une situation à laquelle ces instructions avaient pour but de remédier, lui causant un préjudice qu'elle chiffre à 5 000 F. ;
Attendu que la B.C.I. fait valoir que c'est en réalité un préjudice indivisible de 9 666 F. auquel il est prétendu par la requérante en réparation d'une faute contractuelle de la concluante ;
* qu'elle estime n'avoir commis aucune faute ;
* qu'en envisageant, par pure hypothèse, cette faute comme établie, il ne résulte aucune relation de cause à effet certaine, directe et exclusive - dont la demanderesse a la charge de la preuve - entre la faute et le préjudice allégué ;
* que le jour même de la réception les instructions écrites de dame N.-S. soit le 19 juin 1970, afin de gagner du temps dans l'exécution de l'ordre de transfert, elle adresse à demoiselle R. par lettre recommandée à l'adresse indiquée, un chèque n° 0.331.120 de 70 000 F. en précisant » Pour compte de Monsieur et Madame N.-S. L. : règlement de la somme versée par Mademoiselle J. R. sur acquisition de deux pièces à la villa E. appartenant à Madame N.-S. « ;
* Que le même jour, elle adresse à la dame N.-S. l'habituel bordereau d'exécution d'ordre en visant les instructions du 17 juin 1970 de sa cliente, le montant et le numéro du chèque, la banque sur laquelle il est tiré et bien entendu la destinataire ;
* Que le 28 juin suivant, la dame N.-S., se trouvant à la villa E., lui écrit en ces termes » Mademoiselle J. R. m'a averti qu'elle renvoyait le chèque de 70 000 F. que vous deviez lui faire parvenir. Je vous serais obligé de me prévenir au plus tôt de ce retour et d'en porter le montant au crédit de mon livret de dépôt. Avec mes remerciements... «
* Que le 6 août 1970, la Banque concluante écrit à demoiselle R. pour lui signaler que le chèque de 70 000 F. à elle adressé le 19 juin n'a pas encore été présenté à l'encaissement et pour l'inviter soit à procéder à son recouvrement, soit à le retourner pour annulation, soit à informer la banque de ce qu'il s'est égaré afin qu'il y soit fait opposition ;
* qu'en réponse à une lettre du 19 août 1970 faisant état du montant des intérêts débiteurs du compte de dame N.-S., cette dernière écrivait le 27 août » nous sommes surpris de la teneur de votre lettre du 19 août, le chèque de 70 000 F. adressé à Mademoiselle R. n'ayant pas encore été encaissé début août. Nous verrons cela à notre retour, n'ayant pas nos comptes ici en Bretagne « ;
* Que le 19 septembre 1970 dame N.-S. lui écrit, toujours de Fouesnant ; » j'apprends indirectement que Mademoiselle R. n'a toujours pas encaissé le chèque que vous avez envoyé par erreur en juin dernier d'une valeur de 70 000 F. « ;
* Qu'effectivement c'est seulement le 30 mars 1971 que demoiselle R. retourne à la banque le chèque de 70 000 F. sans l'avoir endossé avec ce commentaire » c'est à la demande toute récente de Madame N.-S. au sujet de ce chèque que je viens vous importuner avec toutes ces histoires « et en expliquant son refus d'encaisser le chèque par son total désaccord avec dame N.-S. sur les motifs, la cause et l'objet de l'envoi des 70 000 F. ;
* Que le 1er avril 1971 la banque concluante crédite dame N.-S. de la somme de 70 000 F. en lui adressant copie de la lettre de reçu de la destinataire des fonds ;
* qu'aucun des éléments de la thèse de la demanderesse ne peut être retenu ni en fait, ni en droit ;
* que la lettre d'instruction du 17 juin 1970, en absence de tout commentaire sur la finalité de l'opération juridique pour le moins complexe et obscure qu'elle entreprenait signifiait pour le banquier que l'expéditeur des fonds entendait essentiellement porter à la connaissance de leur destinataire la cause de leur envoi ;
* que cet objectif a été atteint ; qu'en effet le chèque est un instrument de paiement ; que ce paiement a été effectué dès réception des instructions ; que le jour même dame N.-S. en a été informée ; qu'elle n'a fait aucun grief à la concluante d'avoir préféré un chèque au virement postal (cf sa lettre du 28 juin 1970) ;
* que, dès avant ce moment, dame N.-S. aurait pu contraindre demoiselle R. à passer l'acte authentique de vente ou faire constater son refus d'encaisser le chèque ;
* que ce n'est pas en offrant unilatéralement la restitution du prix, que ce soit par chèque ou par virement postal, qu'elle pouvait y parvenir ;
* que l'emploi de chèque n'a pas constitué une faute contractuelle dans l'exécution des obligations du banquier à l'égard d'une cliente titulaire d'un compte dans son établissement ;
* qu'il y a, en outre, absence de relation de cause à effet certaine, directe et exclusive entre la faute prétendue et le préjudice allégué ;
* qu'en effet dame N.-S. ayant eu connaissance immédiate du refus de demoiselle R. d'encaisser le chèque, ne la contraint pas pour autant dans les formes de droit à passer l'acte de vente définitif ; que c'est la banque concluante qui, de sa propre initiative, presse demoiselle R. soit d'encaisser le chèque, soit de le restituer, soit d'en déclarer la perte éventuelle ; que demoiselle R., estimant sans doute qu'elle n'a pas à s'incliner devant le fait accompli ne répond pas à cette lettre ; que l'avis envoyé par le centre de chèques postaux à demoiselle R. n'aurait pas davantage entraîné ipso facto et unilatéralement la résiliation de la convention synallagmatique parfaite intervenue entre elle et dame N.-S. ;
* qu'il n'est donc pas sérieux de soutenir que c'est la forme de l'envoi de 70 000 F. par un chèque qui empêche cette résiliation unilatérale de se produire ou d'avoir retardé la passation de l'acte authentique de vente, dame N.-S. étant d'ailleurs peu explicite quant à l'objectif qu'elle s'était réellement fixé ;
* qu'on ne sait pas ce qu'il serait advenu de ses conceptions en la matière si le compte courant postal de demoiselle R. ayant été crédité de la somme de 70 000 F., dame N.-S. et elle avaient poursuivi un contentieux judiciaire ;
* qu'il en résulte non seulement une totale incertitude sur la qualification même du préjudice et à plus forte raison sur son existence mais encore l'absence de relation de cause à effet entre une faute et un préjudice ;
* que la demanderesse ne saurait, en conséquence, être accueillie dans ses prétentions ;
Attendu que la B.C.I., estimant que la dame N.-S. a engagé contre elle une procédure malicieuse et téméraire, demande reconventionnellement que dame N.-S. soit condamnée à lui payer la somme de 2 000 F. à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que par conclusions du 4 juin 1972 dame N.-S. soutient :
* que l'emploi du virement postal répond pour elle à une exigence précise, à savoir être fixée rapidement sur le sort des fonds transmis et donc sur les intentions de leur destinataire ;
* que la Banca Commerciale Italiana n'ignore pas qu'un virement postal non accepté est immédiatement et obligatoirement reversé au compte payeur alors qu'un chèque bancaire peut être conservé sans être encaissé ;
* qu'en remettant ce chèque à demoiselle R. au lieu d'effectuer le virement demandé la B.C.I. fait courir à sa cliente le risque de voir des fonds importants immobilisés pendant un temps plus ou moins long, ce qui s'est effectivement produit ;
* que la faute de la banque est donc la cause immédiate et directe du préjudice subi par elle du fait de l'immobilisation durant dix mois de la somme de 70 000 F. ;
* qu'elle est donc fondée à lui demander la somme de 9 666 F. en réparation du préjudice subi ;
Attendu que la B.C.I. par conclusions du 16 novembre 1972 réplique :
* qu'aucune faute contractuelle dans ses relations avec le titulaire d'un compte dépôt ne peut être retenue contre elle ;
* qu'une banque ayant ouvert un tel compte à un client n'est chargée ni des opérations postales de ce dernier, ni du contentieux que celui-ci entendrait rattacher à ces opérations ;
* très subsidiairement qu'il ne résulte pas des faits connus la preuve d'une relation de cause à effet certaine, directe et exclusive entre l'exécution par la banque des instructions données et le préjudice allégué qui aurait consisté dans l'échec d'une tentative de résolution d'une vente parfaite intervenue alors surtout que dame N.-S. n'a pris aucune disposition pour récupérer le chèque dès qu'elle a su que la destinataire refusait de l'encaisser ;
* que dame N.-S. doit être déboutée des fins de sa demande ;
Sur ce,
Attendu qu'il convient de faire pour mémoire, aucun moyen n'ayant été soulevé à ce sujet, deux observations préliminaires ;
Attendu tout d'abord, que la requérante aurait dû soit préciser que l'agence de Monte-Carlo de la B.C.I. dispose de sa propre personnalité morale, soit, dans le cas contraire, indiquer la nature juridique de la Banque et le lieu de son siège social ;
Attendu d'autre part, que si certaines pièces produites, notamment la lettre du 17 juin 1970, font mention des époux N.-S., l'assignation par contre est faite au nom de » dame N.-S. ", assistée en tant que de besoin de son mari tandis que dans le texte de l'exploit et dans les conclusions ultérieures il n'est plus question que de la seule dame N.-S. ;
Sur la demande principale
Attendu qu'il est constant que les opérations litigieuses se sont déroulées à partir d'un compte dépôt ouvert par la requérante à l'agence de Monte-Carlo de la B.C.I. ;
Attendu qu'en contrepartie du droit de disposer des fonds déposés pour son activité propre, le banquier à la charge d'assurer au déposant un service de caisse et notamment de payer tous ordres de disposition donnés par lui par chèques, virements ou de toute autre façon en sa faveur ou en faveur de tiers et également de recevoir pour les joindre au dépôt toutes sommes qu'il aura à encaisser pour le déposant ;
Attendu que c'est dans le cadre de ces opérations que la B.C.I. est amenée à exécuter un virement de la somme de 70 000 F. au profit de demoiselle R. ensuite d'instructions données par la requérante par lettre du 17 juin 1970 postée à Fouesnant (Finistère) dont les termes sont rapportés ci-dessus ;
Attendu que l'obligation du banquier consiste à effectuer avec le maximum de diligences ce virement ; qu'elle consiste uniquement en cela ;
Attendu que c'est ainsi que, le 19 juin 1970, utilisant de préférence au virement postal, assez peu usité par les banques, le chèque bancaire, la B.C.I. adresse sous pli recommandé un chèque de 70 000 F. à demoiselle R. en indiquant à celle-ci le motif de ce règlement et, par courrier du même jour, fait parvenir aux époux N.-S. un bordereau rendant compte de façon détaillée de l'exécution des instructions du 17 juin ;
Attendu que la B.C.I. ignore à ce moment qu'en réalité - et ceci est largement développé dans les écrits de la requérante - le virement de cette somme est un moyen de pression exercé sur demoiselle R. à la suite d'une transaction juridique intervenue entre elle et la requérante, transaction totalement étrangère aux débats ;
Attendu que quand bien même l'aurait-elle su, qu'il lui aurait été interdit de considérer le chèque autrement que comme un ordre de paiement pur et simple ;
Attendu en effet que la loi uniforme (convention de Genève du 19 mars 1931) considère comme nul tout chèque qui serait soumis à une condition résolutoire ou suspensive et qui ne serait donc pas un ordre de paiement pur et simple ;
Attendu qu'aucune faute contractuelle ne peut être retenue contre la B.C.I. ;
Attendu qu'il ne saurait davantage être fait grief à cette dernière, ainsi que cela a été soutenu oralement, d'avoir effectué un virement à partir du compte dépôt de la requérante et non pas à partir de son compte livret ;
Attendu que dame N.-S. ne saurait ignorer que les seules opérations possibles sur de tels comptes sont des retraits au profit du titulaire des versements, à l'exclusion des virements au bénéfice de tiers ;
Attendu que pour faire reste du droit aux parties et sans que ceci ait désormais une incidence sur la solution du litige il convient d'éliminer leurs moyens quant au préjudice allégué et à ses relations de causalité ;
Attendu que dame N.-S. après avoir chiffré sa demande à 4 666 F. outre 5 000 F. à titre de dommages-intérêts, la fixe dans le dernier état de ses conclusions à 9 666 F. ;
Attendu qu'elle ne produit aucune précision ni justification sur la consistance et le montant du dommage allégué ;
Attendu qu'il ressort de ses correspondances (cf lettres du 28 juin, 27 août et 19 septembre 1970) qu'elle n'élève aucune protestation auprès de sa banque alors qu'elle est informée des modalités de virement et également du fait que demoiselle R. refuse d'encaisser le chèque ;
Attendu qu'il lui est pourtant loisible d'engager contre cette dernière telle action que de droit pour l'obliger à restituer le chèque si demoiselle R. persiste à ne pas l'encaisser ; qu'il est probable, quoique ceci soit étranger aux débats, que les tractations se poursuivent alors entre elles puisqu'elles résident au même lieu ;
Attendu que le pouvoir d'intimidation que dame N.-S. attribue au virement postal témoignage d'une méconnaissance de la législation régissant la matière ;
Attendu que le chèque postal est devenu actuellement bien proche du chèque bancaire ;
Attendu toutefois qu'un chèque postal envoyé directement par le tireur au centre de chèques postaux n'établit aucun lien de droit direct entre le tireur et le bénéficiaire, lequel en ignore souvent l'existence (cf. réponse ministérielle J.O. débats parlementaires A.N. 27 avril 1950) ;
Attendu que les allégations de la requérante sont donc pure supposition de sa part ;
Attendu en conséquence que dame N.-S. doit être déboutée des fins de sa demande ;
Sur la demande reconventionnelle
Attendu que l'action engagée contre la B.C.I. a entraîné pour cette dernière un préjudice essentiellement d'ordre moral qui sera suffisamment réparé par la condamnation de la requérante aux entiers dépens ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Rejetant tous moyens contraires plus amples des parties comme mal fondés ;
Déboute dame G. M. épouse N.-S. des fins de sa demande ;
Composition
M. de Monseignat pr., Mme Margassian subst. gén., MMe Marquilly et Marquet av. déf.
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