Abstract
Exceptions et fins de non-recevoir
Prescription - Assurance - Point de départ du délai - Interruption
Résumé
A défaut de texte, une compagnie d'assurance ne peut disposer d'un délai de deux ans pour vérifier les déclarations de son assuré, délai à l'expiration duquel commencerait à courir, faute de réclamation ou de redressement, la prescription de deux ans prévue par la loi. La prescription ne peut courir, pour la prime de régularisation, que du jour où la déclaration correspondant à l'année antérieure en permet le calcul. Le délai de prescription est susceptible d'être interrompu par une lettre recommandée de l'assureur.
Motifs
LE TRIBUNAL,
Attendu que le 27 avril 1945 intervenait entre le sieur O., entrepreneur, et la Compagnie La Concorde une police d'assurance contre les accidents du travail dont l'article 7 concernant des primes prévoyait, à la fin de chaque année d'assurance et dans les 8 jours suivants, l'envoi du relevé des salaires de l'année écoulée pour permettre le calcul de compléments de primes pour la partie de risque couvert excédant la contractation initiale ; qu'un avenant du 1er septembre 1966 prévoyait, à partir du 1er janvier 1967, une prime de base irréductible de 4 000 F à laquelle s'ajouteraient les majorations résultant des relevés de salaires qui devaient normalement, en vertu de cet avenant, être fournis avant le 8 janvier de chaque année, le point de départ se trouvant modifié ;
Attendu que si la prime fixe annuelle a été régulièrement acquittée, O. n'a fait les déclarations de salaires qu'avec des retards et n'a plus réglé les compléments de primes à partir de l'année 1967, déclarée au début de 1968, malgré diverses réclamations et mises en demeure ;
Attendu que suivant exploit du 18 avril 1972, la Concorde a assigné O. en paiement de 73 154,38 F, montant des primes de régularisation pour les années écoulées du 1er janvier 1967 au 1er décembre 1970 (indiqué par suite d'une erreur matérielle, comme 1971) et ce avec intérêts de droit à compter des dates d'exigibilité, outre 5 000 F de dommages-intérêts pour résistance abusive ;
Attendu qu'en ses conclusions du 30 mai, O., sans déclarer avoir payé même en partie les primes réclamées, soutient que, payables d'avance le 27 avril de chaque année, elles sont couvertes par la prescription biennale de l'article 14 du contrat souscrit, lequel fait référence explicite aux articles 25 à 27 de la loi française du 13 juillet 1930 ;
Attendu qu'en ses conclusions du 5 octobre, la Concorde rappelant le processus de détermination de la prime, indique qu'O. n'a jamais adressé ses relevés de salaires annuels avant le 8 janvier, mais seulement le 28 février 1968 pour l'année 1967 et en octobre 1969 pour l'année 1968 ; que cette faute contractuelle étant à l'origine de la situation litigieuse, O. est mal fondé à invoquer la prescription contre la compagnie qu'il avait mise lui-même dans l'impossibilité d'agir tout en suscitant une erreur de classement du dossier au nombre des polices résiliées, en sorte que la réclamation des primes de régularisation n'est intervenue que le 23 septembre 1970, puis le 7 septembre 1971, cette dernière lettre portant sur les 4 années arriérées ; qu'elle soutient encore que le point de départ de la prescription s'emplace au jour où l'action pouvait être exercée en paiement d'une dette certaine et exigible, ce qui ne serait intervenu qu'après le temps nécessaire pour effectuer les vérifications d'exactitude et la sincérité des déclarations, temps qui, selon les textes et la jurisprudence propres à la matière des assurances, serait de deux ans ; que la prescription n'aurait commencé à courir au plus tôt que le 23 septembre 1970 puisque le droit à poursuivre le recouvrement n'était, avant cette date, qu'éventuel et non prescriptible ; que la prime de régularisation de 1967 serait intégralement due et, a fortiori, celles des années postérieures ; qu'en estimant la mauvaise foi d'O. aggravée par son système de défense, elle réclame l'élévation des dommages-intérêts à 15 000 F. ;
Attendu qu'O., concluant à nouveau le 20 décembre 1972, fait observer que, sur la somme réclamée par l'assignation, l'année 1971 a été intégralement réglée et que par ailleurs la Concorde a reconnu le 6 mai 1971 que l'année 1967 était prescrite ; qu'il devrait en être de même pour 1968 dont la prime se trouvait prescrite à la date du 23 septembre 1970, à supposer que la lettre recommandée alléguée par la Concorde ait bien été adressée, lui-même affirmant ne pas l'avoir reçue, réclamation qui selon l'article 27 de la loi de 1930 est considérée comme interrompant la prescription biennale de l'action en paiement de primes ; qu'il conteste devoir aucune somme pour la période antérieure au 14 septembre 1969, prescrite à la même date de 1971 ; qu'il s'oppose à l'allocation de dommages-intérêts à la Compagnie qui est responsable de son retard dans la réclamation des primes ;
Attendu que la Concorde prend acte, le 7 février 1973 de ce qu'O. ne contesterait plus devoir les primes pour les années 1969 et 1970 et demande, de ce fait, que la condamnation pour les deux sommes de 18 670 F 2 centimes et 23 663 F. 49 centimes soit assortie de l'exécution provisoire ; qu'elle dénonce la confusion que tente de créer O. sur la somme réclamée qui engloberait, selon lui, l'année 1971, qui a été réglée séparément sur assignation en paiement ou faillite ; que les 73 154 F. 38 centimes représentent uniquement les primes de régularisation de 1967, 1968, 1969 et 1970 selon les montants figurant sur les quittances et la lettre de mise en demeure ; qu'elle développe à nouveau sa théorie selon laquelle la prescription n'a pu commencer à courir qu'à partir de la date à laquelle le contrôle des déclarations a rendu la dette de prime liquide et exigible ; qu'elle attribue la reconnaissance de la prescription acquise pour 1967, selon lettre du 6 mai 1971, à une erreur de droit commise par un préposé ;
Attendu que la Concorde ne saurait être suivie dans sa théorie selon laquelle elle disposerait d'un délai de deux ans pour vérifier les déclarations et à l'expiration duquel, faute de réclamation ou de redressement, commencerait à courir la prescription biennale de la loi ; qu'il n'existe pas de texte pour justifier de l'existence de ce premier délai et il n'est pas produit de jurisprudence l'admettant ;
Attendu par contre que la prescription ne peut courir, pour la prime de régularisation, que du jour où la déclaration des salaires de l'année antérieure en permet le calcul ; qu'il est indiqué par la Concorde, sans appeler de démenti, que la déclaration de 1967 a été faite le 28 février 1968 et celle de 1968 en octobre 1969, la date du 22 octobre étant même indiquée ; que c'est à partir de ces deux dates que doit être calculé le délai de prescription, susceptible en vertu de l'article 27 de la loi, d'avoir été interrompu par une lettre recommandée de l'assureur ;
Attendu que celle du 23 septembre 1970 ne peut être considérée comme ayant interrompu la prescription des primes de 1967, acquise depuis le 28 février 1970, d'autant moins qu'elle réclamait une somme différente, de 4 030 F., représentant vraisemblablement la prime fixe exigible au 1er janvier 1970 ;
Attendu par contre que la lettre recommandée du 7 septembre 1971 réclamait bien la somme de 73 154 F. 38 centimes représentant les arriérés de primes de régularisation des quatre années 1967 à 1970 inclus ; qu'elle est intervenue antérieurement au 22 octobre 1971, date avant laquelle ne pouvait être prescrite l'action en paiement de la prime de 1968, sur la déclaration du 22 octobre 1969 que l'assignation en paiement étant elle-même intervenue moins de deux ans après doit être accueillie, la jurisprudence considérant que l'interruption de prescription, faute d'effet interversif, fait courir une nouvelle prescription de deux ans (Cass. Civ. 17 février 1948) ; qu'il va de soi que les deux années de primes plus récentes ne sont elles-mêmes pas prescrites ce qu'O. admet assez explicitement en ses dernières conclusions, sans qu'il ait pour autant acquitté leur montant ; que tant pour ce motif qu'en raison de l'urgence, il y a lieu de faire droit, pour la condamnation au paiement de ces deux dernières années de primes, à la demande d'exécution provisoire présentée par la Concorde ;
Attendu par contre que la difficulté survenue est en partie imputable à la négligence de la Compagnie dans le recouvrement de ses primes, qui sont quérables, et même à une erreur de classement du dossier, objectivement reconnue ; que la condamnation, assortie des intérêts de droit à compter de la mise en demeure ne saurait entraîner en outre des dommages-intérêts, même si le moyen de défense d'O. apparaît pour le moins inélégant ;
Attendu que le défendeur qui succombe sur l'essentiel du litige doit supporter les dépens ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Accueille la Compagnie La Concorde en son action ; l'y déclare fondée à l'exception de sa demande de paiement de la prime de régularisation de l'année 1967 qui se trouve atteinte de prescription par l'effet de l'article 14 de la police faisant référence aux articles 25 à 27 de la loi française du 13 juillet 1930 ; Rejette l'exception de prescription soulevée par O. pour les primes ultérieures ;
Condamne celui-ci à payer à la Compagnie La Concorde, pour les primes de régularisation des années 1968, 1969 et 1970, la somme de 59 212 F. 37 centimes avec intérêts de droit à compter du 7 septembre 1971 ;
Ordonne l'exécution provisoire de la présente condamnation à concurrence de 42 333 F. 51 centimes nonobstant appel et sans caution ;
Rejette la demande de dommages-intérêts complémentaires, ainsi que toutes autres demandes, fins et conclusions ou moyens supplémentaires des parties ;
Composition
MM. de Monseignat pr., François prem. subst. gén., MMe Marquet et Marquilly av. déf.
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