Abstract
Contrat de travail
Repos hebdomadaire - Compensation pécuniaire - Prescription (Non) - Concierge sans remplaçant - Preuve (Oui)
Résumé
La loi n° 822 du 23 juin 1967 sur le repos hebdomadaire prévoit en son article 1er que les salariés doivent bénéficier d'un repos hebdomadaire d'une durée minimale d'une journée complète, donné le dimanche. Lorsque cette journée ne peut être ni prise ni compensée, l'article 6 précise que les heures de travail effectuées le jour du repos hebdomadaire doivent être rémunérées en majorant uniformément de 100 % le salaire afférent à ces heures.
Le salarié (en l'espèce, un concierge qui exerçait ses fonctions sans remplaçant), qui établit qu'il n'a pas bénéficié des jours de repos auxquels il avait droit, peut demander le paiement du complément de salaire prévu à l'article 6 sans que l'employeur, qui ne conteste pas le non paiement de ces sommes, puisse invoquer la prescription, celle-ci reposant sur une présomption de paiement.
Motifs
LE TRIBUNAL,
Attendu que suivant exploit de Me J.-J. Marquet, Huissier, du 8 novembre 1972, l'Administrateur des Domaines de S.A.S. le Prince Souverain de Monaco a relevé appel d'un jugement rendu le 29 juin 1972 par le Tribunal du Travail qui a condamné l'Administration des Domaines à payer au sieur P. P. une somme de 3 200 F au titre de la rémunération des jours de repos hebdomadaires demandée par celui-ci ;
Attendu que cet appel est recevable en la forme ;
Attendu en fait qu'il n'est pas contesté que P. P. a été engagé comme concierge aux H.B.M. de ., propriété des Domaines, le 29 février 1960, ses attributions étant d'assurer le fonctionnement des chaudières de chauffage central, le nettoyage et l'entretien des parties communes de trois immeubles et l'évacuation des poubelles, sans qu'il soit cependant tenu d'assurer un service de loge ; que le 25 juillet 1960, son fils, Y. P. était engagé, dans les mêmes conditions, comme concierge de trois autres immeubles dépendant du même ensemble ; que le 1er janvier 1967, le poste de concierge de P. P. était supprimé et que celui-ci n'avait plus que la charge de remplacer son fils pendant ses congés et jours de repos hebdomadaires, moyennant une rétribution de 100 F par mois ; que le 16 mars 1967, P. P. succédait à son fils, qui avait quitté cet emploi et devenait le concierge unique de l'ensemble des immeubles de l'avenue . ; qu'il assurait ses fonctions jusqu'au 29 octobre 1969, date de sa mise en congé de longue maladie et quittait définitivement son emploi le 1er mars 1970 ;
Attendu que le 6 avril 1971, P. P., soutenant qu'il n'avait pu bénéficier, pour la période du 16 mars 1967 au 29 octobre 1969, des jours de repos hebdomadaires auxquels lui donnait droit la loi n° 822 du 23 juin 1967, soit 147 jours, a saisi le Tribunal du Travail d'une demande de paiement de la somme de 7 150 F, représentant le salaire dû pour ces 147 jours et majoré de 100 % en application des articles 5 et 6 de la loi susvisée ;
Attendu que par jugement du 12 août 1971, le Tribunal du Travail a ordonné d'office une expertise confiée à un sieur Bambusi ; que celui-ci a déposé son rapport le 12 avril 1972 et que par jugement du 29 juin 1972, cette juridiction a condamné l'Administration des Domaines à payer à P. la somme de 3 200 F ;
Attendu que P. est décédé le 29 décembre 1972, postérieurement à l'appel dont le tribunal de céans est saisi ; que par conclusions du 11 janvier 1973, la dame Z. épouse de P., et Y. P., son fils, ont déclaré intervenir à la procédure, es-qualités d'uniques héritiers du de cujus ; que cette intervention n'est pas contestée par l'appelant et qu'il doit en être donné acte aux intervenants ;
Attendu que l'appelant développe tant dans son exploit d'appel que dans ses conclusions postérieures, les moyens suivants à l'encontre de la décision dont appel :
Que P. avait la charge de prouver qu'il avait été dans l'impossibilité de prendre les jours de repos hebdomadaires auxquels il avait droit, mais que le Tribunal du Travail, éludant ce problème de la preuve de ce fait négatif en se livrant, soit à un raisonnement déductif, soit à des raisonnements a contrario, a cru pouvoir déduire cette impossibilité de l'importance des charges et fonctions confiées au concierge ; que ce faisant, il a renversé la charge de la preuve qui ne saurait incomber à l'appelant ;
Que P. ne s'est jamais plaint auprès de l'Administration des Domaines de l'impossibilité de prendre lesdits jours de repos, la seule démarche tentée par lui ayant eu pour objet d'obtenir une augmentation de salaire de 100 F par mois, somme qu'il avait perçue comme remplaçant de son fils, du 1er janvier au 16 mars 1967 et non d'obtenir l'assistance d'un tel remplaçant ; qu'en l'absence de réclamation, il doit être présumé que le repos hebdomadaire a été pris et que l'employeur, qui ne s'est pas opposé à l'exercice de ce droit, s'est acquitté de son obligation, les règles de la prescription devant s'appliquer en l'espèce ;
Que le droit au repos hebdomadaire, incontrôlable pour l'employeur, doit être exercé au fur et à mesure de l'arrivée des périodes où il doit l'être sans que l'employé puisse attendre la fin du contrat de travail pour prétendre à son bénéfice, alors surtout qu'en l'espèce, n'étant astreint à aucun service de loge, P. avait toute possibilité de reporter son travail dans la semaine pour profiter de ce jour de repos ;
Que le jugement dont appel, en chiffrant à 3 200 F la condamnation prononcée contre l'Administrateur des Domaines et en statuant ainsi ex-aequo et bono, manque de base légale puisqu'il entérine une proposition transactionnelle de l'expert B., tendant à allouer à P. une indemnité réduite calculée sur une demande d'augmentation de salaire de 100 F par mois, alors que la demande initiale portait sur le paiement de 147 journées de travail non rémunérées ; que la renonciation par P. au principe même de sa demande démontre que celui-ci prétend obtenir un complément de salaire et revenir sur des conventions librement contractées lors de son embauchage ;
Attendu que les Hoirs P. concluent à la confirmation de la décision entreprise ;
Attendu sur les deuxième et troisième moyens que la loi n° 822 du 23 juin 1967, dont le caractère d'ordre public n'est pas dénié, octroie à tout salarié le bénéfice d'un repos hebdomadaire d'une durée minimale d'une journée complète, qui doit être donné le dimanche et prévoit que, dans le cas où ce repos n'a pu ni être pris ni être compensé, cette journée doit être rémunérée par un salaire majoré de 100 %, que ces dispositions démontrent la volonté du législateur de faire de cette journée de repos un principe intangible ; que dès lors, dès l'instant qu'il est établi que le salarié n'a pu bénéficier des repos hebdomadaires auxquels il avait droit, celui-ci peut en réclamer la compensation pécuniaire, même si cette situation a duré plusieurs années ; que la loi n° 822 susvisée n'impose nullement que les journées de repos soient prises au fur et à mesure de l'arrivée des périodes où celui-ci doit être pris ; qu'il ne saurait davantage être invoqué de prescription, dans une matière où, lorsqu'elle est reconnue par la loi, cette exception repose sur une présomption de paiement ; que l'appelant ne prétend nullement en l'espèce avoir payé à P. les sommes qui auraient pu lui revenir au titre de cette loi n° 822 ;
Attendu, sur le premier moyen, qu'il appartient à P. de prouver qu'il n'a pu bénéficier des journées de repos hebdomadaires pendant la période où il a été seul concierge des immeubles de l'avenue . ; que sur ce point, le Tribunal du Travail a fort opportunément retenu la circonstance que, de 1960 au 31 décembre 1966, date de la suppression du poste de P. P., les fonctions de concierges étaient exercées conjointement par le père et le fils, en sorte que le problème de leur remplacement respectif ne se posait pas ; que, postérieurement au 31 décembre 1966, P. P. a été engagé, à temps partiel, afin d'assurer le service pendant les périodes où son fils était en congé ou prenait ses jours de repos hebdomadaires ; qu'au départ de Y. P., aucune disposition en vue du remplacement du concierge n'a été prise ; que compte tenu de la nature de ses obligations professionnelles consistant en l'entretien et la garde de la totalité des bâtiments H.B.M. de l'avenue ., il doit être admis que le concierge ne pouvait, faute de remplaçant, bénéficier du repos hebdomadaire dans les conditions prévues par la loi ; que la circonstance qu'il n'était pas tenu à un service de loge est sans portée en l'espèce ; que la décision du Tribunal du Travail est donc excellemment motivée sur ce point, sans que la charge de la preuve ait été renversée, ni que la motivation puisse être qualifiée d'inductive ou d'a contrario ;
Attendu, sur le quatrième moyen, qu'en ce qui concerne le chiffre de la condamnation, les premiers juges n'ont pu, sous peine de statuer ultra petita, que retenir la somme demandée par P. ; que celui-ci avait le droit, le principe de sa demande étant acquis, de fixer à son gré les indemnités qu'il réclamait et que le fait qu'il les ait réduites au-dessous du chiffre auquel lui donnait droit la loi n° 822, ne peut être considéré ni comme une renonciation à un principe même de sa demande, ni comme le désir de revenir sur des conventions librement contractées entre les parties ;
Attendu que le jugement d'appel doit être confirmé ; que les dépens suivent la succombance ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal reçoit en la forme l'appel relevé contre le jugement rendu le 29 juin 1972 par le bureau de jugement du Tribunal du Travail ;
Donne acte à dame Z. Veuve P. et à Y. P., seuls héritiers de P. P., de leur intervention dans la présence instance ;
Confirme le jugement sus-visé dont il adopte en tant que de besoin les motifs ; Condamne en conséquence l'Administrateur des Domaines à payer aux Hoirs P. la somme de 3 200 F ;
Rejette comme inopérantes en tous cas mal fondées toutes conclusions, fins et moyens des parties contraires au présent jugement ou simplement plus amples ; les en déboute ;
Composition
M. François, pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Marquet et Marquilly, av. déf.
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