Abstract
Preuve
Demandeur - Charge de la preuve
Résumé
En matière de preuve, la charge de celle-ci pèse sur le demandeur qui ne peut, en particulier, prétendre déduire du comportement, a posteriori, de la personne qui pilotait un navire victime d'un naufrage, apparemment peu explicable, la preuve que ce naufrage a été volontaire.
Il appartenait à ce demandeur d'articuler, à l'appui d'une demande d'enquête, les faits précis établissant les conditions dans lesquelles ce pilote avait causé le naufrage. Toute autre demande d'enquête manquait nécessairement de pertinence.
Motifs
LE TRIBUNAL,
Attendu que suivant l'exploit susvisé, le demandeur a assigné la compagnie d'assurances La Concorde aux fins d'obtenir paiement de la somme de 12 464,60 F, outre celle de 5 000 F à titre de dommages-intérêts, cette dernière demande étant portée à 10 000 F par conclusions du 2 novembre 1973,
Attendu que G. M. expose qu'il était propriétaire d'un yacht, dénommé « Le S. P. », qui était assuré à la compagnie défenderesse suivant police n° 349.407 et que ce bâtiment a fait naufrage aux abords de Monaco, le 10 novembre 1968 ; que le sieur G., expert de cette compagnie d'assurances, a procédé à l'examen de ce navire, préalablement ramené au port de Monaco, le 4 décembre 1968, évaluant le coût de la remise en état et donnant à diverses entreprises l'ordre d'effectuer les travaux qu'il préconisait, le paiement de ces travaux devant intervenir dès réception des factures ; que cependant par lettre du 14 mars 1969, La Concorde refusait de prendre en charge la réparation du dommage en se fondant sur l'article 7, paragraphe A, du contrat qui excluait la garantie en cas de sinistre dû au défaut d'entretien ; que les parties convenaient de recourir à un arbitrage mais que l'expert M. désigné par la compagnie et l'expert D. désigné par G.-M., ne pouvaient se mettre d'accord sur l'indemnité à allouer en l'espèce ; que dès lors G.-M. s'estime fondé à s'adresser à justice pour obtenir paiement des sommes suivantes :
* Facture B. B. . . . . 6 077,28 F
* Acompte versé à l'Entreprise P. . . 500,00 F
* Facture P. - B. . . . . . 4 600,00 F
* Facture C. et B. . . . . . . 1 287,32 F
soit au total . . . . . . . . . . 12 464,60 F
qu'en outre la résistance abusive de La Concorde lui a causé un préjudice qu'il chiffre, en dernière analyse, à la somme de 10 000 F ; qu'il conclut ainsi à la condamnation de la défenderesse au paiement de la somme de 22 464,60 F ;
Attendu que la Compagnie La Concorde conclut au déboutement de G.-M. en se fondant sur trois moyens :
* le premier, implicitement fondé sur la clause 13-f, du contrat, qui exclut de la garantie les sinistres commis intentionnellement par l'assuré ;
* le second, fondé sur la clause 7, a, du contrat qui exclut les pertes et avaries provenant du défaut d'entretien,
* le troisième, fondé sur le fait que la facture B., d'un montant de 6 077,28 F, ne saurait être payée car elle a déjà fait l'objet de la facture de l'entreprise P. ;
Qu'elle conclut reconventionnellement à la condamnation de G.-M. au paiement d'une somme de 3 000 F à titre de dommages-intérêts, sollicitant subsidiairement une expertise aux fins de contrôler les dires de S. ;
Sur le premier moyen
Attendu que La Concorde tire argument des conditions dans lesquelles s'est produit le naufrage du « S. P. », et notamment du comportement, au cours de ce naufrage et postérieurement à celui-ci, du sieur S. qui était seul à bord de ce navire, pour en déduire que les contradictions et invraisemblances constatées l'autorisent à rechercher ailleurs les causes du sinistre dont s'agit ; qu'elle précise d'ailleurs qu'elle a déposé plainte devant le Juge d'instruction de Monaco et que, bien qu'une ordonnance de non lieu ait été rendue, ce magistrat a, dans sa motivation, reconnu comme fondées les réticences qu'elle avait manifestées au sujet de ce sinistre et que si le Juge d'instruction n'a pas trouvé d'éléments suffisants pour justifier une poursuite pénale, le Tribunal pourra y trouver la justification du bien fondé de la résistance de la Compagnie à la demande présentée par G. M., au besoin en recourant à une expertise aux fins de contrôler les déclarations de S. ;
Attendu qu'il apparaît que bien que La Concorde n'explicite pas clairement le fondement juridique de ce premier moyen, celui-ci doit être recherché dans l'article 13-f, du contrat qui exclut de la garantie les sinistres commis intentionnellement par l'assuré et toute personne à qui celui-ci aurait confié le bateau assuré ou le contrôle de la navigation ainsi que ceux commis à leur instigation ;
Attendu que La Concorde est demanderesse à la preuve quant à l'application de cette disposition du contrat d'assurances ; que pour aussi étonnant qu'apparaisse le comportement de S., dès que celui-ci a constaté l'existence d'une voie d'eau et également à partir du moment où il a quitté le navire en perdition, il ne peut pour autant en être déduit que le sinistre ait eu une cause non accidentelle, alors surtout que les divers experts consultés à titre officieux ont tous attribué l'origine de la voie d'eau au desserrage du chapeau du presse-étoupe d'étambot de l'arbre porte-hélice, desserrage consécutif au dessoudage ou au dessertissage de l'un des goujons sur lesquels vient s'enfiler ce chapeau et qui est maintenu au serrage convenable par deux écrous (écrou et contre-écrou) ; qu'en particulier, le sieur G., expert de la compagnie La Concorde, dans son rapport du 26 décembre 1968, n'envisage que l'hypothèse d'une rupture ou d'un descellage accidentel et ne fait à aucun moment mention d'une origine non accidentelle de la voie d'eau, cause du sinistre ;
Attendu d'autre part que la demande d'enquête de La Concorde ne saurait être accueillie ; qu'en effet le contrôle du comportement de S., pendant et après le naufrage, n'est pas susceptible d'établir que le sinistre a eu une cause non accidentelle ; que la demande d'enquête n'est donc pas pertinente ;
Qu'ainsi ce premier moyen doit être rejeté ;
Sur le deuxième moyen
Attendu que La Concorde indique qu'il ressort des témoignages que le « S. P. » était sans nul doute atteint par un défaut d'entretien certain et qu'en conséquence, la garantie résultant du contrat d'assurance ne pouvait s'appliquer car l'article 7-a, de la police exclut parmi les risques, les pertes et avaries provenant de défaut d'entretien des biens assurés ; qu'elle apparaît se fonder, pour justifier ce moyen, sur le rapport G. susvisé du 26 décembre 1968 qui estime que le desserrage du chapeau du presse-étoupe constitue bien un défaut d'entretien, car le presse-étoupe et le tube d'étambot sont des parties essentiellement vulnérables d'un bateau et des soins tout particuliers doivent être apportés à leur entretien, une telle avarie, rupture ou descellement d'un goujon de presse-étoupe étant due à un manque d'entretien ;
Attendu cependant que le raisonnement du sieur G. ne saurait être suivi dans la mesure où, par une véritable pétition de principe, il conclut que si la rupture ou le descellement d'un goujon de presse-étoupe s'est produit, c'est parce qu'il y a eu manque d'entretien et que cette pièce exigeant un entretien très soigné, si une telle rupture intervient c'est que cet entretien n'a pas été fait ;
Attendu qu'en l'espèce, ce n'est pas par la voie du raisonnement qu'aurait dû procéder l'expert, mais par celle des constatations techniques et que c'est à partir seulement de telles constatations, portant notamment sur l'état des diverses pièces en question et de leur degré d'usure, qu'il aurait pu conclure sur l'existence d'un défaut d'entretien ;
Attendu d'autre part, qu'il résulte des pièces communiquées et en particulier du rapport D. du 29 avril 1970, qu'au mois de mars 1969 le « S. P. » a subi aux Ateliers Jef marine de Golfe Juan une série de réparations comprenant notamment la dépose de l'hélice sortie du tube d'étambot, ce qui a entraîné la remise en état obligatoire du presse-étoupe, justifiée par des factures et qu'une attestation de la maison Jef marine indique que le bateau était en parfait état de marche à sa sortie des ateliers ;
Attendu qu'en l'état de ces éléments d'appréciation, il apparaît que La Concorde, demanderesse à la preuve sur ce point, n'établit pas que la voie d'eau, origine du naufrage du « S. P. », soit due à un défaut d'entretien ; qu'il suit de là que le moyen fondé sur la clause 7,-a, du contrat, doit être rejeté ;
Sur le troisième moyen
Attendu que La Concorde conteste la facture B., de 6 077 F, qui, selon ses dires, fait double emploi avec celle établie par l'entreprise P., pour un montant de 5 288,80 F, les travaux de remise en état du moteur ayant été facturés deux fois ; qu'elle répond à l'argument de G. M., selon qui P. n'aurait pas effectué la réparation à la suite d'un désaccord intervenu entre eux, bien qu'il ait perçu un acompte de 500 F, que P. a affirmé au contraire à un représentant de La Concorde, qu'il avait bien réparé le navire et qu'il l'avait essayé en marche, prenant place à son bord ;
Attendu qu'il résulte du rapport établi le 28 décembre 1968, par G., expert de La Concorde, que les frais de remise en état du navire doivent être évalués à :
* Remise en état de la coque :
Établissements P. et B. . . 4 600 F
* Moteur et électricité (P.) . . . . .5 822,80 F
* Travaux sous-marins C. et B. . 1 120 F
que les réparations relatives au moteur et à l'électricité ont été effectuées non par P. mais par B., et se sont élevées à un montant sensiblement équivalent à ceux retenus par l'expert, soit 6 077 F au lieu de 5 822,80 F ; qu'elles ont donné lieu à une facture régulièrement établie et acquittée, en date du 8 mars 1969 ; que, d'autre part, l'affirmation de La Concorde selon laquelle P. aurait déclaré avoir lui-même effectué les travaux décrits dans un devis daté du 5 décembre 1968 n'est pas établie ni confortée par aucune pièce du dossier ; qu'il apparaît donc que la contestation élevée sur ce point par La Concorde doit être rejetée ;
Attendu en conséquence que les sommes réclamées au titre de la remise en état, soit 12 464,60 F doivent être admises dans leur principe y compris l'acompte de 500 F remis à P. et dont le versement n'est pas contesté ; que cependant, il doit être tenu compte de la plus-value résultant pour le « S. P. » de travaux effectués sur un navire âgé ; qu'une diminution de 20 % apparaît devoir être appliquée sur cette somme, qui est ainsi réduite à 9 972 F ; qu'en ce qui concerne la demande reconventionnelle de dommages-intérêts présentée par G. M., il doit être constaté que la résistance de la Compagnie La Concorde a présenté un caractère abusif et justifie l'allocation de dommages-intérêts ; que le Tribunal a des éléments suffisants d'appréciation pour fixer à 1 000 F ; que les dépens suivent la succombance ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Condamne la compagnie d'assurances La Concorde à payer au sieur G. M., la somme de 10 972 F,
Composition
M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Clérissi, Lorenzi av. déf., Randon (du barreau de Nice) av.
Note
Sur appel, ce jugement a été confirmé, en son principe, par arrêt de la Cour d'appel en date du 11 mars 1975.
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