Abstract
Procédure civile
Instance - Affaire en état - Partie - Décès postérieurs - Interruption (non)
Aliments
Enfants adultérin - Engagement - Volonté non équivoque - Validité
Résumé
Tant que dure l'instruction d'une procédure, le décès de l'une des parties n'interrompt l'instance qu'à partir de la notification de ce décès à la partie adverse mais lorsque l'instruction est terminée et que l'affaire est en état, c'est-à-dire selon l'article 391 du Code de Procédure Civile, lorsque les plaidoiries sont terminées, le décès d'une partie ne peut différer les conclusions du ministère public ni le jugement.
L'engagement pris par le père d'un enfant adultérin de subvenir aux besoins de ce dernier n'est pas contraire à l'interdiction de reconnaître un tel enfant car il ne constitue pas une reconnaissance véritable. Un tel engagement est valable lorsqu'il résulte d'une manifestation non équivoque de volonté.
Motifs
LE TRIBUNAL,
Attendu que par l'exploit susvisé la demanderesse a fait assigner le sieur C. aux fins d'obtenir paiement à son profit, mais en qualité d'administratrice de sa fille mineure F., d'une pension alimentaire de 1 000 F par mois, à titre de part contributive aux frais d'entretien et d'éducation de cette enfant, la décision à intervenir devant être assortie de l'exécution provisoire ;
Attendu que la demoiselle G. expose que le 2 septembre 1960, elle a donné naissance à Nice à une fille prénommée F., qu'elle a reconnue le 26 septembre 1960 ; que cette enfant a pour père adultérin C. qui n'avait pas la possibilité juridique de la reconnaître mais qui est tenu, aux termes d'une doctrine et d'une jurisprudence constantes de lui fournir des aliments, à condition que la paternité ne soit pas contestée et que le père ait pris un engagement non équivoque d'assurer l'entretien de son enfant ; qu'elle détermine à partir de la nombreuse correspondance qu'elle fournit la réalité de cette paternité et le caractère formel de l'engagement de C. de subvenir aux besoins de sa fille ; qu'elle s'estime donc fondée à obtenir les fins de son exploit introductif d'instance, repris dans ses conclusions postérieures ;
Attendu que C., dans ses conclusions des 12 avril et 13 décembre 1973, soutient que cette demande est irrecevable et qu'en tous cas demoiselle G. doit être déboutée, la correspondance produite n'établissant aucune obligation naturelle à sa charge ;
Attendu que C. est décédé le 20 février 1974, mais que ce décès n'était pas connu lorsque l'affaire a été plaidée et mise en état le lendemain 21 février ; que le 25 février, l'avocat-défenseur de C. a notifié ce décès à l'avocat-défenseur de la demanderesse, concluant que l'action était éteinte et que l'instance était interrompue ; que demoiselle G. estime, au contraire, qu'il n'y a pas lieu de déclarer l'instance interrompue se fondant au plan du droit sur les articles 389 et 391 du Code de procédure civile et, au plan du fait, sur une citation de Mallarmé ;
Sur l'interruption de l'instance
Attendu qu'il résulte de la combinaison des articles 389 et 391 susvisés, que tant que dure l'instruction d'une procédure, instruction caractérisée essentiellement par les communications de pièces, l'échange des conclusions, et les plaidoiries, le décès de l'une des parties n'interrompt l'instance qu'à partir de la notification de ce décès à la partie adverse, mais que lorsque l'instruction est terminée et que l'affaire est en état, c'est-à-dire et selon la définition même donnée par l'article 391, lorsque les plaidoiries sont terminées, le décès d'une partie ne peut différer ni les conclusions du ministère public, ni le jugement ;
Attendu qu'en l'espèce, pendant l'instruction de l'affaire, c'est-à-dire jusqu'au 21 février, l'instance n'a pas été interrompue, le décès de C. n'ayant pas été notifié à demoiselle G. et qu'à partir du moment où l'affaire a été en état, c'est-à-dire à l'issue des plaidoiries, le décès de C. ne pouvait plus différer le jugement et cela quelle que soit la date où ce décès s'est produit ; qu'il suit de là que l'instance n'a pas été interrompue et qu'il appartient au Tribunal de statuer sur la présente demande, qui a été valablement instruite et sera valablement jugée au contradictoire de C. ;
Sur la demande de demoiselle G.
Attendu que l'auteur d'un enfant né hors mariage, que cet enfant soit naturel, adultérin ou incestueux, a le devoir moral de subvenir aux besoins de celui-ci ; que ce devoir, qui présente le caractère d'une obligation naturelle, peut être transformé en obligation civile, susceptible d'être validée par le Tribunal, à condition que la preuve de l'engagement du père novant cette obligation naturelle en obligation civile, résulte d'une manifestation de volonté non équivoque, celle-ci ne pouvant être présumée ni découler du seul aveu de la paternité adultérine ;
Attendu que l'engagement de subvenir aux besoins d'un enfant adultérin n'est pas contraire à l'interdiction posée, en principe, par l'article 227 du Code civil de reconnaître un tel enfant ; qu'en effet il ne constitue pas une reconnaissance véritable et le jugement qui le constate et ordonne son exécution n'a pas pour objet d'affirmer cette filiation ; que si celle-ci demeure sous entendue comme cause de l'engagement, elle ne constitue pas une cause illicite ou immorale, car le Code civil n'interdit pas au père adultérin de servir des aliments à son enfant, mais, au contraire, l'y oblige, en vertu de l'article 644, dans les cas où la filiation adultérine peut être légalement établie ;
Attendu qu'en l'espèce, la correspondance établie démontre que C. s'est toujours considéré comme le père de F. G., utilisant fréquemment le terme « Papa » quand, dans les lettres adressées à la demanderesse, il faisait mention de cette enfant ; que d'ailleurs dans une lettre dont la date a pu être établie au 26 novembre 1959, il a manifesté, en termes non équivoques, son intention bien arrêtée de procréer ; qu'effectivement, F. G. est née le 2 septembre 1960, dans un temps qui permet de conclure que C. avait conduit son projet à bonne fin ; que dans cette lettre, C. promettait qu'il serait « tout pour lui » (l'enfant à naître) et pour la mère, « le reste de nos jours » ;
Attendu d'autre part que dans une lettre du 5 juin 1966, C. s'adressant à la demanderesse, écrivait : « Tu dois être certaine que je ferai tout pour F., j'espère que Dieu me donnera assez de vie pour tout réaliser... » ; que cette promesse constitue un engagement non équivoque de la part de C. de subvenir aux besoins de sa fille et a transformé en obligation civile, l'obligation naturelle qui pesait sur lui, en sa qualité de père de F. G. ; qu'il suit de là que la demande de demoiselle M. G. doit être déclarée recevable en son principe ;
Attendu qu'en ce qui concerne le quantum de cette pension, qui doit être fixé en fonction des besoins de l'enfant et des ressources du père, le Tribunal ne dispose pas d'éléments suffisants d'appréciation pour déterminer si le chiffre de 1 000 F par mois, sollicité par la demanderesse, doit être accueilli ; qu'il y a lieu d'ordonner une expertise sur ce point, d'office les dépens devant être mis à la charge de C. qui succombe ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Déclare la demoiselle M. G., agissant en qualité d'administratrice légale de sa fille F., fondée en sa demande de pension alimentaire dirigée contre C., à l'égard de qui la procédure a été valablement poursuivie ;
Avant de statuer, au fond, sur cette pension alimentaire, désigne en qualité d'expert...
Composition
M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Clérissi. Lorenzi av. déf., Nicolai (du barreau de Nice) av.
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