Abstract
Contrat de travail
Rupture - Motif inexact - Légèreté blâmable - Abus de licenciement (oui)
Résumé
Un motif de rupture tiré d'une réorganisation d'un service s'avérant inexact, cette rupture intervenue à la seule convenance de l'employeur désireux de mettre un terme à un contrat de travail souscrit inconsidérément révèle une légèreté blâmable, caractérisant l'abus de licenciement à l'égard d'un collaborateur auquel aucun reproche ne peut être fait et qui pouvait normalement compter sur une certaine stabilité de l'emploi.
Motifs
LE TRIBUNAL,
Statuant sur l'appel régulièrement interjeté, suivant l'exploit susvisé, par le sieur P. M. d'un jugement du Tribunal du Travail, en date du 11 juillet 1974, non signifié, lequel sur une demande en paiement de la somme de 150 000 francs à titre de dommages-intérêts formée contre son employeur, la Société Anonyme monégasque « Radio-Monte-Carlo », a déclaré abusive la rupture du contrat de travail qui les liait et lui a alloué la somme de 9 000 francs en réparation du préjudice subi ; statuant également sur l'appel incident de la Société Radio-Monte-Carlo ;
Attendu que M., qui limite son appel au montant des dommages-intérêts fixés par le jugement susvisé et soutient que les premiers juges ont inexactement apprécié l'étendue du préjudice tant moral que matériel qui lui a été occasionné du fait de son licenciement, sollicite à ce titre la somme de 150 000 francs ;
Attendu que la Société Radio-Monte-Carlo conclut, pour sa part, à la réformation du jugement déféré en ce qu'il a estimé pouvoir caractériser l'abus de licenciement par référence à une prétendue légèreté blâmable de l'employeur dans l'embauchage de son préposé alors que son congédiement a été légitimement motivé par le fait qu'elle ne disposait pas de poste à pourvoir au service Presse-Propagande, et a été assorti du règlement des indemnités de licenciement et de préavis ; qu'elle fait valoir, très subsidiairement, que M., qui ne peut prétendre, étant retraité, à une réparation liée aux espérances de stabilité de l'emploi inhérente à une carrière normale, ne rapporte pas la preuve du préjudice allégué et doit être débouté de son appel ;
Attendu que M., retraité de l'Armée dont il a démissionné avec le grade de Commandant, a été engagé, sans détermination de durée, par la Société Radio-Monte-Carlo à compter du 15 mars 1971 en qualité de collaborateur-cadre par lettre du 24 mars 1971 prévoyant une période d'essai de six mois préalable à sa titularisation, la Société se réservant la faculté d'un changement d'affectation en vue d'utiliser ses services au mieux de ses intérêts ; qu'il faisait l'objet de déclarations aux organismes sociaux comme « Adjoint Chef de Section Presse-Propagande », fonctions qu'il n'était, en définitive, jamais appelé à exercer, était nommé en mai 1971 chef de la délégation des services de Radio-Monte-Carlo pour l'Espagne jusqu'à la fin avril 1972, date de la suppression de ce service, et se voyait ensuite confier des attributions mineures sans mesure avec un emploi de cadre ; qu'il était licencié, par lettre du 19 octobre 1973, avec effet au 31 janvier 1974, au motif d'une réorganisation du service Presse-Propagande et percevait à cette occasion, conformément aux dispositions de l'avenant cadre au statut du personnel, une somme de : 21 269,04 francs correspondant à un préavis de trois mois, qu'il était dispensé d'accomplir, à une indemnité de licenciement correspondant également à trois mois de salaire et à une fraction de 13e mois calculée sur le montant de ces indemnités ;
Attendu que la Société Radio-Monte-Carlo fait elle-même valoir, à l'appui de son appel incident que, pas plus au moment de l'embauchage, dans lequel elle voit par ailleurs une mesure de faveur prise par son Directeur Général de l'époque à l'égard de M., que lors du licenciement, il n'existait de poste à pourvoir au service Presse-Propagande, circonstance dont elle aurait légitimement tiré les conséquences en mettant fin aux fonctions de l'appelant ;
Attendu qu'il convient de remarquer, d'une part, qu'elle ne peut valablement faire grief à M. de cette situation dont elle est seule responsable, du fait de l'unité et de l'indivisibilité du pouvoir directorial qu'ont à bon droit retenu les premiers juges et, d'autre part, que les termes de la lettre, prouvant contrat, du 24 mars 1971 ne liaient nullement son engagement à l'occupation d'un poste déterminé, même s'il avait été envisagé alors, de part et d'autre, de l'affecter au service Presse-Propagande, projet auquel il est constant qu'il n'a pas été donné suite par l'employeur ;
Attendu en conséquence que le motif de rupture tiré d'une réorganisation prévue de ce service s'avère inexact et que cette rupture, intervenue à la seule convenance de la Société Radio-Monte-Carlo désireuse de mettre un terme à un contrat de travail souscrit inconsidérément, révèle une blâmable légèreté, caractérisant l'abus de licenciement, à l'égard d'un collaborateur auquel elle n'avait aucun reproche à faire et qui, permanisé après une période d'essai de six mois, pouvait normalement escompter une certaine stabilité d'emploi ;
Attendu sur l'appel principal de M., que celui-ci ne démontre pas s'être trouvé dans l'impossibilité de retrouver une situation et verse seulement aux débats une carte d'inscription à l'Agence locale de Nice de l'Agence nationale pour l'emploi en date du 4 février 1974, pour une période n'excédant pas trois mois, sans établir d'autres causes de préjudice ;
Attendu dans ces conditions qu'il apparaît que les premiers juges ont fait une exacte appréciation des conséquences dommageables de la rupture en fixant à la somme de 9 000 francs le montant des dommages-intérêts qui doivent lui être versés ;
Attendu qu'il suit qu'il y a lieu de confirmer dans toutes ses dispositions le jugement déféré et de condamner, par moitié, les parties, qui succombent respectivement, aux dépens d'appel ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
et ceux non contraires des premiers juges,
Le Tribunal,
Statuant comme juridiction d'appel du Tribunal du Travail, conformément à l'article 63 de la loi n° 446 modifiée du 16 mai 1946,
Déclare recevables en la forme l'appel principal de M. et l'appel incident de la Société Radio-Monte-Carlo,
Au fond, les dit mal fondés et les en déboute,
Confirme en conséquence le jugement du 11 juillet 1974 du Tribunal du Travail ;
Composition
M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Lorenzi et Marquet av. déf.
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