Abstract
Baux commerciaux
Bail valablement dénoncé - Maintien dans les lieux en vertu de la loi - Propriétaire - Obligations - Manquement - Sanction
Résumé
Lorsqu'un bail commercial a été dénoncé par un congé reconnu valable, si le bénéficiaire de ce bail est en droit de se maintenir dans les lieux en vertu des dispositions légales, le propriétaire doit lui permettre de disposer de locaux en bon état d'entretien, notamment en ce qui concerne le clos. Si le clos et le couvert ne sont pas assurés, il convient de faire droit à la demande d'exécution des travaux nécessaires et d'allouer à l'occupant des dommages et intérêts en raison du caractère abusif présenté par le comportement du propriétaire.
Motifs
Le Tribunal
Attendu que par l'exploit susvisé dame M. épouse M. a assigné la Société Cancal aux fins de s'entendre condamner à exécuter les travaux décrits par le sieur Rubaudo, désigné en référé comme expert le 12 juillet 1974, dans un rapport déposé le 15 janvier 1975, dont elle demande l'homologation, lesdits travaux consistant en la réfection complète de la toiture de l'immeuble appartenant à la Société Cancal, dans lequel elle exploite un fonds de commerce d'hôtel dénommé « L. R. C. », et dont l'état de vétusté lui interdit de bénéficier du clos et du couvert auquel elle est en droit de prétendre ; que dame M. demande également paiement des sommes de 15 000 francs montant de son préjudice commercial, et 1 060 francs, coût de remise en état du mobilier endommagé par les infiltrations d'eau, ces deux sommes résultant du rapport d'expertise Rubaudo ; qu'elle sollicite enfin l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
Attendu que, se fondant sur une décision du 16 janvier 1969, ayant acquis l'autorité irrévocable de la chose jugée de la Commission arbitrale des loyers commerciaux qui a validé le congé donné à dame M., le 25 juin 1965, sur le fondement de l'article 16 de la loi n° 490 du 24 novembre 1948 (reprise des locaux aux fins de reconstruction), « en tant que cet acte faisait échec à la demande de renouvellement ou tout au moins, à celle en paiement de l'indemnité d'éviction prévue par l'article 9 formée par lesdits époux », la Société Cancal estime que le bail dont bénéficiait dame M. n'a pas été renouvelé à son échéance du 31 décembre 1965 en sorte que, les parties n'étant plus liées par un bail, la demanderesse occupe les lieux sans droit ni titre, qu'elle ne peut asseoir le fondement juridique de sa demande sur aucune obligation ni conventionnelle ni légale et qu'elle doit être déboutée des fins de son assignation ; qu'elle précise, en outre, que l'immeuble, qui est compris dans un projet de remaniement du quartier où il est situé, doit être nécessairement démoli ;
Attendu que dame M. soutient que, même en admettant qu'elle ne soit plus titulaire d'un bail commercial, il doit être considéré qu'elle est demeurée dans les lieux alors que la Société Cancal, non seulement, s'est abstenue de poursuivre son expulsion qu'elle aurait pu obtenir en consignant le montant de l'indemnité prévue par l'article 16 de la loi 490, mais encore, a régulièrement perçu, jusqu'au 31 mars 1974, le loyer qu'elle lui a versé, bien qu'il fût qualifié d'indemnité d'occupation dans les quittances qu'elle recevait ; que dame M. entend, d'autre part, se prévaloir des dispositions de l'article 5 de la loi 969 du 21 mars 1975 qui a modifié les conditions de reprise fondées sur l'article 16, ledit article 5 rendant applicables les nouvelles dispositions aux locataires demeurant encore dans les lieux lors de la promulgation de la loi ; qu'enfin, elle indique que l'immeuble a été exclu de l'opération de promotion dans laquelle il devait figurer en sorte que sa démolition n'est plus envisagée à l'heure actuelle ; qu'elle s'estime dès lors fondée à ajouter, à son exploit introductif d'instance, une demande de dommages-intérêts de 1 000 francs pour sanctionner la mauvaise volonté de la Société Cancal ;
Attendu qu'en l'état du jugement de la commission arbitrale du 16 janvier 1969, dame M. ne bénéficie plus de la qualité juridique de locataire, le bail l'unissant à la Société Cancal ayant été dénoncé par un congé reconnu valable, ce qui lui interdit d'ailleurs de se prévaloir des dispositions de l'article 5 de la loi 969 du 21 mars 1975 qui ne vise que les locataires ;
Attendu cependant que si elle n'a pas de titre locatif, dame M. est en droit de se maintenir dans les lieux, en l'état des règles posées par l'article 16, tel que rédigé dans la loi 490 du 24 novembre 1948 qui continue à régir les relations juridiques entre les parties, lesquelles ont toutes deux des droits acquis à faire valoir, compte tenu de ce que la loi 969 est intervenue postérieurement à la date à laquelle le jugement susvisé a acquis l'autorité irrévocable de la chose jugée ;
Attendu en effet que l'article 16, qui posait des principes assez sensiblement différents de ceux retenus dans la nouvelle rédaction de la loi 969, subordonnait le droit de reprise sans paiement de l'indemnité d'éviction prévue à l'article 9, à trois conditions : la première, de pure procédure, sans intérêt au débat actuel, la seconde relative au paiement au locataire, préalablement à son départ, d'une somme représentant deux années de loyers et la troisième aux termes de laquelle le propriétaire devait commencer les travaux dans les six mois du départ du dernier locataire évincé, c'est-à-dire, dans l'espèce actuelle, au départ de dame M., unique occupante ; qu'ainsi la Société Cancal est tenue de laisser dame M. dans les lieux, sous réserve du délai de six mois, tant qu'elle ne sera pas en état de commencer les travaux, étant observé que cette société ne conteste pas qu'il n'est pas question, pour le moment, en ce qui la concerne d'effectuer lesdits travaux ; qu'en conséquence, dame M. est en droit de demeurer dans les lieux, jusqu'à cette date ;
Attendu que c'est en vertu de la protection légale que lui confère l'article 16 dans son ancienne rédaction, que dame M. est en droit de continuer à occuper l'immeuble dans lequel elle exerce son activité commerciale et de continuer à exercer ladite activité, dans des conditions identiques à celles antérieures au congé ; qu'en particulier, son propriétaire doit lui permettre de disposer de locaux en bon état d'entretien, notamment en ce qui concerne le clos, sans pouvoir prétendre être désormais dispensé d'assurer ces derniers, hypothèse dans laquelle il parviendrait, par une véritable voie de fait, à contraindre sa locataire à abandonner son activité sans que lui-même n'ait ni à respecter les conditions de l'article 16, ni à payer d'indemnité d'éviction ;
Attendu qu'il suit de là que le moyen de défense de la Société Cancal doit être rejeté ;
Attendu qu'il n'est pas contesté par cette société que le clos et le couvert ne sont pas assurés ; qu'il y a donc lieu de faire droit à la demande d'exécution des travaux tels que décrits par l'expert Rubaudo, étant constaté que ce rapport ne fait l'objet d'aucune contestation ni critique de la part de la défenderesse qui a fondé l'intégralité de sa défense sur le seul moyen rejeté ci-dessus ; qu'il y a lieu également de faire droit aux différentes demandes de paiement de sommes ainsi qu'à celle de dommages-intérêts présentée par dame M., le comportement de la Société Cancal présentant un caractère abusif, préjudiciable à cette commerçante ; que le tribunal dispose d'éléments suffisants d'appréciation pour fixer à 1 000 francs le préjudice ainsi occasionné ; qu'il y a lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement, l'urgence tenant à la nécessité de faire assurer le clos et le couvert d'un immeuble dans lequel s'exerce une activité commerciale continue ;
Que les dépens suivent la succombance ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Condamne la Société Cancal à entreprendre dans le mois du prononcé du présent jugement, à ses frais avancés, les travaux de remise en état de l'immeuble, Hôtel R. C., tels qu'ils sont décrits dans le rapport Rubaudo du 27 décembre 1974, la Société Cancal ayant à choisir entre la réfection de la couverture en zinc ou en calendrite aluminée ; et ce, à peine d'une astreinte non comminatoire de 500 francs par jour de retard, pendant un délai de six mois, passé lequel il sera à nouveau fait droit ;
Dit que les travaux auront lieu sous la surveillance de l'expert Rubaudo, qui pourra, en cas d'empêchement, être remplacé par Ordonnance rendue sur requête ;
Condamne la Société Cancal à payer à la dame M. les sommes de quinze mille francs (15 000) en réparation du préjudice commercial, mille soixante francs (1 060) représentant le coût de la remise en état du mobilier et mille francs (1 000) à titre de dommages-intérêts, avec intérêts de droit du jour du prononcé du présent jugement ;
Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution ;
Composition
M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Clérissi, Marquilly, av. déf. et Bagnoli (du barreau de Nice) av.
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