Abstract
Vente
Vente d'un immeuble - Droit de préemption - Notification non effectuée - Renonciation du bénéficiaire du droit - Preuve non rapportée - Nullité (oui)
Résumé
Lorsqu'il est constant que la vente d'un immeuble n'a pas été précédée de la notification au bénéficiaire d'un droit de préemption, impérativement prévue par la loi et que la preuve n'est pas rapportée que le bénéficiaire ait expressément et irrévocablement renoncé à exercer son droit de préemption, la nullité de l'acte de vente doit être prononcée.
Motifs
Le Tribunal
Attendu que, par l'exploit susvisé, la dame R. R., épouse B., locataire d'un appartement sis ., a assigné la dame P. S., Veuve T., M. M. Veuve S. et le sieur M. T., ainsi que les époux S., respectivement vendeurs et acheteurs dudit appartement suivant acte reçu par Maître Rey Notaire à Monaco, en date du 3 mai 1974, transcrit le 2 août 1974, pour s'entendre annuler cette cession, condamner la dame T. à lui payer la somme de 20 000 francs à titre de dommages-intérêts, et donner acte de ce qu'elle entend exercer son droit de préemption, et en conséquence se rendre acquéreur de l'appartement susvisé au prix de 40 000 francs stipulé à l'achat ;
Attendu qu'elle fonde son action sur l'inobservation par ses bailleurs des dispositions de l'article 40 de l'Ordonnance-Loi du 17 septembre 1959 qui impose au propriétaire de faire connaître au bénéficiaire du droit de préemption, par lettre recommandée adressée 10 jours au moins avant la date de la cession projetée, le prix et les conditions demandées ainsi que les modalités envisagées de la vente, mention de cet avis devant être obligatoirement portée sur l'acte de vente ;
* Que, soutenant que sa lettre du 26 avril 1974, annexée à l'acte du 3 mai 1974 n'exprimait nullement un refus catégorique et qu'elle se trouvait, en raison de son état de santé dont elle justifie par la production de documents médicaux, dans l'impossibilité de prendre aussi hâtivement une décision impérativement sollicitée le même jour par téléphone, elle formule, par conclusions en réplique, toutes réserves à l'égard de l'acte notarié rectificatif du 26 novembre 1974 rétablissant le prix de vente à la somme de 80 000 francs tout en déclarant accepter d'exercer son droit de préemption à ce prix ;
Attendu que les défendeurs s'opposent à la demande en faisant valoir, d'une part, que la lettre du 26 avril 1974 de la dame B. démontre qu'elle était parfaitement informée du projet de vente et de ses conditions, que c'est en pleine connaissance de cause qu'elle y a manifesté son refus d'acquérir l'appartement dont elle est locataire au prix de 80 000 francs et qu'il a été ainsi satisfait aux prescriptions légales destinées à garantir l'exercice de son droit de préemption et, d'autre part, que l'acte notarié du 26 novembre 1974 ayant rectifié l'erreur purement matérielle contenue dans l'acte de vente du 3 mai précédent en ce qui concerne le montant du prix s'élevant bien à 80 000 francs, la demanderesse n'est fondée à aucun titre à poursuivre l'annulation de la vente et doit être déboutée de ses demandes ;
Attendu qu'il est constant que dans le cas présent la vente du 3 mai 1974 n'a pas été précédée par la notification impérativement prescrite par l'article 40 de l'Ordonnance-Loi n° 669 ;
Attendu qu'en admettant qu'il puisse être suppléé au formalisme imposé par ce texte, en établissant que le bénéficiaire du droit de préemption a renoncé à exercer ce droit, cette justification ne saurait résulter que d'un refus exprimé de façon définitive, non équivoque et sans réserves ;
Attendu que les défendeurs ne rapportent pas en l'espèce la preuve d'un refus de se porter acquéreur présentant ces caractères ;
Attendu en effet que si, par lettre du 26 avril 1974, adressée à l'un d'eux le sieur T., la demanderesse indiquait : « suite à notre convocation téléphonique de ce jour concernant le prix de vente de l'appartement que j'occupe depuis de nombreuses années, nos moyens ne nous permettent pas de l'acquérir au prix de 80 000 francs » ... elle sollicitait dans le même temps « les explications les plus complètes possibles » après avoir précisé « aussitôt de retour de la maison de repos nous verrons ensemble, afin de solutionner ce problème » ... et fait état de son accord de principe pour procéder à un échange ;
Attendu que non seulement les termes de cette missive ne démontrent pas une renonciation expresse et irrévocable de la demanderesse à user de son droit de préemption mais qu'il n'est même pas permis d'en déduire qu'elle avait été informée, dans le délai légal, des conditions prévues, autre que le prix, et des modalités projetées de la vente ;
Attendu qu'il suit que cette vente est intervenue irrégulièrement et en fraude de ses droits et qu'il convient, de ce seul chef, de prononcer la nullité de l'acte notarié du 3 mai 1974, tel que rectifié par l'acte du 26 novembre suivant, constatant la cession, en déclarant la dame B. acquéreur de l'appartement aux prix et conditions énoncés dans l'acte, conformément à l'alinéa 6 de l'article 40 précité, à charge par elle de réaliser et de faire constater cette vente par acte authentique dans un délai d'un mois ;
Attendu que la demanderesse, qui ne justifie pas d'un préjudice personnellement imputable à la dame T., doit être déboutée de sa demande de dommages-intérêts dirigée contre cette dernière ; que toute partie qui succombe doit être condamnée aux dépens ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Prononce la nullité de l'acte de vente du 3 mai 1974, tel que rectifié par l'acte notarié subséquent du 26 novembre 1974 ;
Déclare la dame B. acquéreur de l'appartement dont la cession avait été consentie audit acte, et ce au prix de 80 000 francs et aux autres conditions y énoncées, à charge par elle de réaliser et de faire constater cette vente par acte authentique dans le mois de la signification du présent jugement ;
La déboute de sa demande de dommages-intérêts ;
Composition
M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe J.-E. Lorenzi, Boéri av. déf., Patrice Lorenzi et Sbarrato av.
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