Abstract
Responsabilité de la puissance publique
Accident de la circulation - Chaussée glissante - Caractère accidentel - Faute de l'Administration - Preuve
Résumé
Si l'Administration a obligation d'entretenir la chaussée en bon état alors qu'en l'espèce le mauvais entretien de la chaussée et ses bas-côtés n'est pas prouvé, cette obligation est limitée à la réfection des chaussées mal entretenues, endommagées ou dégradées et ne saurait concerner les cas où cette chaussée a été rendue glissante par un épandage d'huile ou par une chute de terre présentant un caractère accidentel et n'étant pas le fait de l'Administration ; dans ce cas, la responsabilité de cette dernière ne pourrait être recherchée que s'il y avait eu un retard exagéré et donc fautif apporté au nettoyage de la chaussée.
Motifs
Le Tribunal
Attendu que le 29 décembre 1971, la dame G. Veuve S., qui était au service de la Société M. dont l'assureur-loi est la Compagnie La Préservatrice, a été victime d'un accident de la circulation alors qu'elle venait de quitter son travail, ledit accident ayant le caractère d'un accident du travail ; qu'elle circulait sur son vélosolex sous le tunnel de Fontvieille, en direction du port de Monaco, lorsqu'elle a fait une chute sur la chaussée rendue glissante par la pluie et la boue qui s'y trouvait répandue ; qu'à la suite des blessures qu'elle a subies, elle a été reconnue atteinte d'une I.P.P. de 25 % et qu'elle perçoit une rente de 1 776,78 francs par an, sur laquelle elle s'est conciliée suivant ordonnance du 13 janvier 1975 ;
Attendu que par exploit du 25 février 1975 elle a assigné d'une part l'Administrateur des Domaines et d'autre part la Compagnie La Préservatrice aux fins d'entendre déclarer ledit Administrateur responsable de l'accident susvisé, sur le fondement des articles 1229 et suivants du Code Civil, et de voir désigner un expert chargé d'apprécier le préjudice dont elle demeure atteinte ;
Attendu que par exploit du 24 juillet 1975, la Compagnie La Préservatrice a assigné l'Administrateur des Domaines et la dame G. veuve S., aux fins de s'entendre déclarer bien fondée, en application de l'article 13 de la loi 636 du 11 janvier 1958 sur les accidents du travail, à obtenir remboursement dudit Administrateur des Domaines des divers frais qu'elle a exposés à la suite de cet accident du travail et qu'elle chiffre à 48 374,27 francs ;
Attendu que ces deux instances sont connexes et qu'elles doivent être jointes afin qu'il soit statué à leur sujet par un seul et même jugement ;
1° / Sur la demande de la dame
Veuve S. :
Attendu qu'en ce qui concerne les circonstances matérielles dans lesquelles est survenu l'accident, les parties en présence font référence à un rapport établi le 29 décembre 1971 par la Sûreté Publique de Monaco, qui fait état d'une chute accidentelle survenue le même jour à 12 heures 05 et rapporte ainsi les déclarations de la victime, dame G. : « Venant de quitter mon travail et me dirigeant vers mon domicile, je circulais sur mon vélosolex 49 cm3, sous le tunnel de Fontvieille en direction du port de Monaco. Je roulais à une allure très réduite, car la chaussée était très glissante. Pour ne pas gêner les automobiles qui me suivaient, je tenais strictement le côté droit de la route. J'avais parcouru environ 150 mètres lorsque soudain, j'ai perdu le contrôle de mon engin dont les deux roues ont dérapé sur de la boue répandue sur le bas côté. J'ai chuté lourdement... » ; qu'un témoin, le sieur A. R., qui suivait la victime a confirmé que celle-ci roulait sur la droite et, qu'à environ 150 mètres après l'entrée du tunnel, elle avait chuté lourdement, juste devant son véhicule ; que ce rapport précise enfin : « Relativement à ce qui précède, nous avons constaté que l'état du revêtement de la chaussée sous le tunnel de Fontvieille était très glissant en raison de la pluie et qu'une couche de boue s'était formée, notamment sur les bas-côtés, rendant de ce fait la circulation très délicate. En conséquence, Monsieur S., responsable du roulage et de la circulation a été mis au courant de cette situation. En attendant l'intervention de ce service, un agent a été placé à l'entrée du tunnel pour inviter les automobilistes et particulièrement les cyclomotoristes à circuler sous le tunnel avec beaucoup de précaution ».
Attendu que l'Administrateur des Domaines, qui conclut au rejet de cette demande, ayant fait le reproche à dame G. de ne pas avoir précisé, dans son exploit introductif d'instance, le fondement juridique de son action, autrement que par la formule « l'Administration concernée est bien responsable des dommages subis du fait de cet accident dû au mauvais et dangereux état de la chaussée, et ce conformément aux termes des articles 1229 et suivants du Code civil », dame G., dans ses conclusions postérieures du 15 mai 1975, a explicité cette demande en précisant qu'elle avait perdu le contrôle de son engin uniquement parce que ses deux roues ont dérapé en se trouvant subitement dans une nappe de boue absolument imprévisible et alors qu'elle roulait très prudemment dans le tunnel rendu humide par la pluie et que la pluie n'a jamais obligé les conducteurs des deux roues à descendre de leur engin pour parcourir le tunnel à pied ; que les précautions qu'elle avait prises auraient été suffisantes sans cette nappe de boue qui n'aurait pas dû exister si le service concerné avait fait ce qu'il devait et que c'est donc uniquement la faute ou la négligence de l'Administration qui n'a fait le nécessaire qu'après l'accident, qui a été la cause de l'accident et qui doit être déclarée responsable conformément aux articles 1230 et 1231 du Code civil ; que le fait qu'un agent ait été placé à l'entrée du tunnel pour avertir les usagers en attendant l'intervention du service du roulage constitue la preuve qu'il était nécessaire que ce service enlève la boue et qu'entre temps il fallait un agent à l'entrée du tunnel pour prévenir les usagers ; que si cela avait été fait avant, l'accident n'aurait pas eu lieu ;
Attendu qu'en réponse aux conclusions de l'Administration des Domaines qui, le 19 juin 1975 demandait le déboutement de dame G. aux motifs que celle-ci ne rapportait pas la preuve d'une faute, car la nappe de boue, qui ne provenait ni d'une dégradation de la chaussée, laquelle était correctement entretenue, ni des parois du tunnel ou de la route, ou de la rupture d'une canalisation, a été vraisemblablement formée par le déversement accidentel de terre sur la chaussée, a présenté un caractère inopiné et que son existence accidentelle ne pouvait, ipso facto, entraîner la responsabilité de l'Administration, dame, le 22 janvier 1976, qu'elle n'a jamais reproché un manque d'entretien des parois du tunnel ou une dégradation de la chaussée mais estime que l'accident est dû à un mauvais entretien de la chaussée et des bas côtés, quelle que soit l'origine de la terre qui, avec la pluie, a formé la nappe de boue, cause de l'accident, l'Administration ayant toutes les raisons de penser que par grosse pluie, avec les bas côtés en mauvais état et peut-être en raison de transports de terre et déblais qu'elle n'ignorait pas, cette partie de la chaussée pouvait être envahie par la boue, ce à quoi elle aurait dû veiller ; que si l'Administration a, par la suite, fait le nécessaire, c'est-à-dire a placé un agent pour prévenir les usagers en attendant que la boue soit enlevée et la chaussée devenue praticable sans danger, reconnaissant par là que cet entretien et cette surveillance étaient bien dûs, les dispositions ainsi prises l'ont été tardivement ; que sa responsabilité apparaît donc établie et justifie la demande dirigée contre elle ;
Attendu qu'il résulte des conclusions de dame G., qu'il est apparu nécessaire de résumer d'une manière très précise, en raison de l'apparente incertitude de leur fondement juridique, puisqu'après avoir fait référence aux articles 1229 et suivants du Code civil dans l'assignation, elle fait état, dans ses conclusions du 15 mai 1975, à propos de la faute ou de la négligence qu'elle impute à l'Administration, de textes aussi disparates que l'article 1230, relatif à la faute considérée sous l'angle de la négligence ou de l'imprudence, et de l'article 1231 qui est relatif à la présomption de responsabilité fondée sur la garde, que la victime, qui ne mentionne, à aucun moment, dans ses écrits judiciaires, une chose dont l'Administration aurait eu la garde et ne justifie donc pas, sauf sous un aspect purement formel, la référence qu'elle fait à l'article 1231, entend fonder uniquement son action sur la faute qu'elle impute à l'Administration à qui elle reproche, en dernière analyse, d'avoir mal entretenu la chaussée et les bas côtés du tunnel, de ne pas avoir veillé à faire enlever la boue qui ne pouvait manquer de se trouver sous celui-ci compte tenu du mauvais état de ces bas-côtés ou même par suite du fait que la terre transportée par les camions empruntant ce tunnel avait pu se répandre sur la chaussée, et d'avoir mis trop tardivement en place un agent chargé de signaler aux usagers le danger de la circulation ;
Attendu dès lors qu'il appartient à la demanderesse de prouver la faute qu'elle a alléguée à l'encontre de l'Administration ;
Attendu qu'il résulte du rapport de police du 29 mars 1971, ci-dessus relaté et qui constitue le seul document sur lequel le tribunal peut asseoir sa conviction, qu'il n'existait pas une nappe de boue sur la chaussée, ainsi que l'affirme le demanderesse, cette expression étant d'ailleurs reprise par le défendeur, mais que l'état du revêtement de la chaussée était très glissant en raison de la pluie et qu'une couche de boue s'était formée, notamment sur les bas côtés, rendant la circulation très délicate ; que cette circulation n'a cependant pas été interdite et qu'en attendant que les services compétents interviennent pour nettoyer la chaussée, il a suffi qu'un agent avertisse les usagers du danger pour qu'aucun accident n'ait lieu par la suite ;
Attendu que dame G. connaissait le danger présenté par cette situation puisqu'elle a déclaré qu'elle roulait à une allure très réduite car la chaussée était très glissante, précisant en outre qu'elle tenait strictement sa droite pour ne pas gêner les automobilistes qui la suivaient ; qu'elle a parcouru environ 150 mètres sans incident ; qu'ainsi aucun argument ne peut être tiré du retard qu'aurait apporté l'Administration à placer un agent à l'entrée du tunnel puisque ce fonctionnaire qui avait pour mission, non pas d'arrêter la circulation, mais simplement d'avertir les usagers de l'état dangereux de la chaussée n'aurait pu, en ce qui concerne dame G., que lui faire connaître un état de fait dont celle-ci s'est personnellement et immédiatement rendu compte en pénétrant dans le tunnel, puisqu'elle même déclare qu'elle a considérablement réduit son allure compte tenu de l'état d'une chaussée dont le caractère glissant n'a pu la surprendre : que la présence de cet agent avant l'accident ne pouvait avoir aucune influence sur le déroulement de ce dernier et qu'ainsi son absence ne peut donc présenter un caractère fautif ;
Attendu que dame G. n'établit pas à l'encontre de l'Administration la preuve d'une faute de nature à entraîner sa responsabilité ; qu'en effet, si l'Administration a l'obligation d'entretenir la chaussée en bon état, et alors qu'en l'espèce, le mauvais entretien de la chaussée et des bas côtés, allégué par la demanderesse, n'est pas prouvé et ne résulte en tous cas pas du rapport de police, cette obligation est limitée à la réfection des chaussées mal entretenues, endommagées ou dégradées, et présentant notamment des déformations sensibles, des excavations ou des nids de poule, dangereux pour les usagers, et ne saurait concerner les cas où cette chaussée a été rendue glissante par un épandage d'huile ou par une chute de terre ou de déblais, présentant un caractère accidentel et dont il n'est pas prouvé qu'ils soient le fait de l'Administration ou de ses préposés ; qu'en pareil cas, en effet, la responsabilité de cette dernière, à qui il ne peut être imposé de porter instantanément remède à une telle situation, en raison de son caractère normalement imprévisible, ne pourrait être recherchée que s'il y avait eu un retard exagéré, et donc fautif au nettoyage de la chaussée ;
Attendu qu'en l'espèce, dame G. n'établit pas que l'état glissant de la chaussée ait été le fait de l'Administration ni que celle-ci ait apporté un retard fautif à faire cesser ce trouble ; qu'il résulte au contraire des éléments de la cause que la demanderesse doit être considérée comme seule responsable de sa chute dans la mesure où, en présence d'une situation de fait dont elle a eu largement le temps d'apprécier le caractère dangereux, elle a pris le risque de continuer à circuler dans des conditions qui lui faisaient courir des dangers de chute et a délibérément assumé ce risque ; qu'il suit de là que sa demande doit être rejetée ;
2° / Sur la demande de la Compagnie La Préservatrice :
Attendu que cette demande, fondée sur l'article 13 de la loi 669, suppose que la responsabilité de l'accident du travail est imputable à un tiers ; qu'il vient d'être établi qu'aucune responsabilité ne peut être mise à la charge de l'Administration des Domaines ; qu'il suit de là que la demande de la Compagnie la Préservatrice doit être rejetée ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Joint les instances 270/75 et 5/75, déboute dame G. Veuve S. et la Compagnie La Préservatrice de leurs demandes fins et conclusions dirigées contre l'Administration des Domaines ;
Les condamne chacune à la moitié des dépens.
Composition
M. François pr., Mme Margossian subst. gén, MMe Marquilly, Marquet et Sanita av. déf.
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