Abstract
Divorce
Conditions de fond - Etrangers - Loi monégasque - Application (oui)
Résumé
Lorsque des étrangers qui donnent toutes les marques objectives d'une parfaite intégration dans la communauté monégasque saisissent la juridiction monégasque d'une action en divorce, cette juridiction est fondée à appliquer sa propre loi nationale dans la mesure où il n'y a pas fraude à la loi.
Motifs
Le Tribunal
Attendu que par jugement du 13 mars 1976, le Tribunal a sursis à statuer sur l'instance en divorce opposant la dame B., demanderesse principale, et le sieur B., demandeur reconventionnel, et a ordonné la production de la loi italienne, loi nationale des parties ;
Attendu que l'affaire revient devant le Tribunal afin qu'il soit statué au fond ; que chacun des époux fonde son action sur le comportement injurieux de son conjoint et, alors que la règle de conflit traditionnellement en vigueur en matière de divorce d'étrangers devant les juridictions monégasques rend applicable la loi nationale des époux, en l'espèce la loi italienne, demande qu'il soit fait application de la loi monégasque et se fonde, pour justifier sa prétention, sur une jurisprudence française, notamment illustrée par l'arrêt B. rendu le 12 mai 1954 par la première chambre civile de la Cour de Cassation et qui, bien que violemment contesté par la doctrine, conserve toute sa valeur au plan jurisprudentiel ;
Attendu qu'il doit être relevé que les règles monégasques de conflits de lois, en tant du moins qu'elles prescrivent l'application d'une loi étrangère, n'ont pas un caractère d'ordre public, en ce sens qu'il appartient aux parties d'en réclamer l'application, ce qui n'est pas le cas de l'espèce ; qu'en conséquence, le Tribunal n'a pas à suppléer d'office un tel moyen et à appliquer la loi étrangère ; qu'il peut, alors, faire appel à la loi monégasque qui a vocation générale à régir tous les rapports de droit privé ;
Attendu que le choix de la loi nationale comme critère de la règle du conflit de lois, quant aux conditions de fond du divorce d'étrangers, a été justifié, à l'époque où il est intervenu :
* au plan des principes : par le fait que la nationalité est l'un des attributs essentiels de la personne humaine, et qu'il est apparu qu'en faisant référence, en la matière, à la loi nationale d'époux demandeurs en divorce, le juge étranger assurait dans les meilleures conditions la protection de leur personne et de leurs intérêts extra-patrimoniaux,
* et au plan du fait, par le fait :
* d'une part que les déplacements hors de leur propre territoire ayant un caractère peu fréquent, ce type de contentieux présentait pour l'Etat accueillant des étrangers, un caractère relativement marginal, en sorte que cet Etat pouvait accepter de ne pas appliquer sa propre législation à des procès de cette nature, solution qui présentait l'avantage supplémentaire d'éviter les difficultés qu'auraient pu connaître ces époux à l'occasion de l'exequatur sur leur territoire national d'une décision étrangère rendue sur le fondement d'une législation opposée à la leur (cas du divorce prohibé en Italie, par exemple), étant observé qu'il pouvait être présumé que ces époux s'étaient adressés au juge étranger afin de frauder leur propre loi,
* et d'autre part, qu'en cas d'installation définitive sur ce territoire étranger, passé le délai nécessaire à prouver l'intégration de l'intéressé dans ce pays, le problème se trouvait la plupart du temps supprimé par le jeu de la naturalisation ;
Attendu cependant qu'à l'époque actuelle, l'évolution constatée dans les mœurs qui fait que les étrangers ont une tendance plus marquée non seulement à se déplacer mais à s'installer dans des pays voisins, certaines nations européennes s'étant entendues pour donner toutes facilités en la matière, a eu pour résultat que les problèmes posés, notamment en cas de divorce, par ces étrangers, dont le lien de nationalité avec leur pays d'origine s'était souvent assez largement distendu, sont devenus de plus en plus fréquents, en sorte que le pays qui a accueilli ces étrangers est fondé à donner à ces problèmes une solution qui prenne en considération, non plus la nationalité, notion personnelle qui constitue, à ce titre, un critère insuffisant parce que présentant un caractère artificiel, mais un critère matériel, celui de la présence permanente et, dans bien des cas, définitive de ces étrangers sur son sol, circonstance qui résout en pratique la question de l'exequatur évoquée ci-dessus ; qu'en effet l'ordre public du pays d'accueil ne peut admettre que ces derniers continuent à être soumis, et alors qu'ils ne le souhaitent pas eux-mêmes, aux lois d'une nation avec qui ils n'ont plus que des relations incertaines et, au prétexte par exemple que ces lois prohibent le divorce, soient amenés ou contraints à vivre d'une manière illégitime, au plan familial, avec toutes les conséquences que cela comporte, notamment en matière de filiation pour des enfants dont tout laisse croire qu'ils vivront sur son sol ;
Attendu qu'il doit en être ainsi à Monaco, pour des étrangers qui donnent toutes les marques objectives d'une parfaite intégration dans la communauté monégasque, parce que, par exemple, ils y sont nés, ou y sont installés depuis de très longues années, ou s'y sont mariés en soumettant leurs conventions matrimoniales à la loi monégasque, ou y ont installé leur domicile familial d'une manière durable et dont rien ne laisse supposer qu'ils aient l'intention de quitter le pays qui les a ainsi accueillis ; qu'en pareil cas, lorsque ces étrangers, saisissent la juridiction monégasque d'une action en divorce, cette juridiction, dont il doit être rappelé que la compétence ratione loci ne peut être retenue que si le domicile conjugal des époux est installé à Monaco, est fondée à appliquer sa propre loi nationale, dans la mesure toutefois où il n'y a pas fraude à la loi, fraude qu'elle aurait à relever d'office, notamment dans le cas d'étrangers habitant temporairement dans la Principauté, dans l'unique dessin de transgresser leur loi nationale et d'obtenir le divorce dans des conditions de fond que cette dernière prohibe, une telle fraude ne pouvant toutefois juridiquement se présumer ;
Attendu que tel est bien le cas de l'espèce pour les époux B.-B. qui remplissent la plupart des conditions ci-dessus visées, devant être en outre relevé que la loi italienne est devenue plus libérale en la matière ;
Attendu en conséquence que la demande des époux B.-B. doit être examinée quant aux conditions de fond, en application de la loi monégasque (Ordonnance Souveraine du 3 juillet 1907) ;
Attendu que dame B. et son époux justifient leur demande en l'état de la correspondance que chacun d'eux produit et qui provient de son conjoint, correspondance qui démontre, compte tenu des termes injurieux qui sont utilisés, la réalité des griefs respectivement invoqués et qui, étant de nature à rendre intolérable le lien conjugal, justifient le prononce du divorce à leurs torts réciproques ;
Attendu que les dépens doivent être partagés par moitié, en l'état de la succombance respective de chacune des parties ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Statuant en application de l'Ordonnance Souveraine du 3 juillet 1907 prononce le divorce entre les époux B.-B. aux torts respectifs de chacun des deux époux, avec toutes conséquences de droit ;
Composition
M. François pr., Mme Margossian subst. gén., MMe Jean Charles Marquet av. déf. et Michel Marquet av.
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