Abstract
Vente d'immeuble
Droit de préemption du locataire en cas de cession d'un immeuble à titre onéreux - Art. 40 de l'Ordonnance-Loi n° 669 du 17 septembre 1959 - Admission subordonnée à une location portant sur l'ensemble des biens cédés
Résumé
Le droit de préemption institué par l'article 40 de l'Ordonnance-Loi né 669 du 17 septembre 1959 au profit du locataire ne porte que sur le local occupé par celui-ci ; il ne peut être invoqué en cas de vente globale par le propriétaire de l'immeuble où est situé ce local.
Motifs
Le Tribunal,
1° Attendu que suivant exploit du 19 mars 1980, signifié à la requête de « Y. A. ou Y. A. et A. B. ou A. B. » , ces demandeurs qui exposent qu'ils ont été les premiers à répondre par l'affirmative à la notification qui leur a été faite séparément, le 18 février 1980, par les consorts K. et W., propriétaires de deux immeubles situés ., dans lesquels les demandeurs sont locataires, d'un projet d'acte de vente de ces biens au profit de la S.C.I. ., pour un prix global de 12 300 000 francs, notification intervenue dans le cadre des dispositions de l'article 40 de l'Ordonnance-Loi n° 669 du 17 septembre 1959, ont assigné les vendeurs en présence de Maître Jean-Charles Rey, notaire aux fins :
* de s'entendre donner acte de ce que chacun d'eux a exercé le droit de préemption qui leur est reconnu par la loi,
* de s'entendre condamner P. K. tant en son nom personnel qu'en qualité de mandataire des vendeurs à procéder à la vente des deux immeubles au profit des demandeurs ;
* de dire qu'en cas de refus de ces derniers de procéder à cette vente, le jugement à intervenir vaudra titre de propriété pour A. et B. dès consignation du prix de 12 300 000 francs ;
Attendu que les défendeurs ont, le 9 octobre 1980, conclu à la jonction de cette instance avec celle qu'ils ont introduites le 9 avril 1980, dont il sera fait mention ci-dessous ;
Que la S.C.I. ., a déclaré intervenir à l'instance par conclusions du 8 avril 1981 ;
Attendu que par conclusions du 2 avril 1981, les consorts K. et W. ont soulevé l'irrecevabilité de l'action intentée par A. et B., motif prix de ce que leur exploit d'assignation n'est pas conforme aux prescriptions de l'article 136 du Code de procédure civile ; qu'ils estiment, en outre, qu'il n'y a pas accord entre l'acheteur et le vendeur ainsi que le requiert l'article 1426 du Code civil pour que le jugement à intervenir puisse tenir lieu d'acte de vente et soulignent que les notifications visées par l'assignation mentionnaient expressément que la signification était faite aux locataires pour déférer aux dispositions de l'article 40 de l'Ordonnance-Loi n° 669 mais qu'elle ne valait pas offre de vente ;
2° Attendu que suivant exploit du 9 avril 1980, P. K. et les consorts W.-H.-L. (ci-après W.) ont assigné Y. A., A. B., J.-Y. L., E. G. et la S.C.I. ., aux fins de s'entendre déclarer nulles les significations portant exercice du droit de préemption émanant des quatre locataires assignés et dire que ces défendeurs sont sans droit à se prévaloir de l'article 40 de l'Ordonnance-Loi 669 qui ne vise que le cas de l'immeuble occupé par un seul locataire et non celui où la pluralité de ces locataires les met en concurrence pour l'exercice d'un droit de préemption, puisque ce droit a pour objet de protéger le locataire ou l'occupant en place en lui permettant d'accéder à la propriété des locaux où il demeure, et non à celle de l'immeuble tout entier sur lequel ce locataire ne dispose d'aucun droit locatif ; que les demandeurs sollicitent l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
Que par conclusions du 24 avril 1980 sont intervenus à cette instance les dames C. K., épouse S.-S., A. K. épouse T., D. K. épouse T. et les sieurs H. K. et R. K. ;
Que, Y. A. et A. B. ont conclu le 8 mai 1980 en s'opposant à la jonction des instances des 19 mars et 9 avril 1980 et en invoquant :
* la nullité de l'assignation du 9 avril 1980 qui n'a été diligentée en ce qui concerne la famille K. que par le seul P. K. ;
* l'irrecevabilité de l'action pour défaut d'intérêt à agir des demandeurs qui se trouvent remplis de leurs droits dès lors que les conditions précisées à la promesse de vente ont été acceptées par les bénéficiaires du droit de préemption, ce défaut d'intérêt conduisant les demandeurs à agir, contrairement à la loi, au bénéfice de la S.C.I. . ;
* le bénéfice des dispositions de l'article 40 de l'Ordonnance-Loi 669 ;
Attendu que E. G. a conclu le 9 octobre 1980 en soulevant la nullité de l'assignation du 9 avril 1980 en ce qu'elle n'est pas intervenue à la requête de tous les indivisaires figurant à la promesse de vente ;
Qu'il demande à titre subsidiaire, après qu'ait été constatée la régularité de l'exercice de son droit de préemption, à être habilité à se substituer à la S.C.I. . dans les conditions d'acquisitions prévues dans la promesse de vente, sous réserve de certaines de ces conditions qui apparaissent étrangères à la vente proprement dite ;
Que J.-Y. L. a conclu le 8 janvier 1981 demandant que soit constatée la régularité de l'exercice de son droit de préemption ;
3° Attendu que suivant exploit du 29 janvier 1981, J.-Y. L. a assigné les consorts K. et W., au contradictoire de Y. A., A. B., E. G. et de la S.C.I. ., aux fins, après jonction de cette instance avec celle qui a été diligentée le 9 avril 1980 à la requête des consorts K. et W., de s'entendre les défendeurs dire que lui-même et les locataires qui ont régulièrement exercé leur droit de préemption dans le délai légal prévu par l'article 40 de l'Ordonnance-Loi 669 ont acquis les villas C. et N. par indivis, et allouer le bénéfice de ses conclusions déposées le 8 janvier 1981 dans l'instance du 9 avril 1980 ;
Que les consorts K. et W. ont conclu le 2 avril 1981 au rejet de ces demandes en rappelant leurs moyens de défenses développés dans leurs conclusions du 9 octobre 1980 ;
Que A. et B. ont conclu le 25 juin 1981 en reprenant les moyens qu'ils ont développés dans le cours de l'instance du 9 avril 1980 mais en s'opposant à la demande de L., en ce qui concerne sa prétention à être déclaré acquéreur par indivis des immeubles à vendre ; qu'ils déclarent toutefois ne pas s'opposer à la jonction des instances des 9 avril 1980 et 29 janvier 1981 ;
Que E. G. maintient sa prétention tendant à se voir accorder le bénéfice exclusif du droit de préemption et déclare s'en rapporter à justice sur la demande de L. pour le cas où le Tribunal, faute de pouvoir choisir entre les différents préempteurs, déciderait de faire bénéficier collectivement ces derniers des dispositions de l'article 40 ;
Que la S.C.I. . conteste l'applicabilité de cet article au cas d'espèce, s'agissant d'une promesse de vente portant sur un ensemble d'immeubles et s'en remet à l'appréciation du Tribunal en ce qui concerne le mérite de la demande de L. ;
Sur ce,
Sur la jonction :
Attendu que les trois instances ci-dessus rappelées présentent un caractère de connexité certain et qu'il y a lieu en conséquence dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice d'ordonner leur jonction afin qu'il soit statuer par un seul et même jugement ;
Sur le moyen qualifié de nullité de l'assignation du 9 avril 1980 invoqué par Y. A., A. B. et E. G. :
Attendu que les consorts K. sont intervenus à l'instance introduite par P. K. suivant conclusions du 24 avril 1980 en sorte que l'ensemble des copropriétaires des villas C. et N. se trouvent à la procédure et que le moyen doit être rejeté ;
Sur les moyens d'irrecevabilité des demandes des consorts K. et W. invoqués par Y. A. et A. B. :
Attendu que les consorts K. et W., demandeurs à l'instance du 9 avril 1980, qui contestent l'applicabilité d'un texte de loi ont un intérêt personnel à agir et que ce faisant, ils plaident pour leur propre cause et non pour le compte de la S.C.I. . laquelle a été assignée en qualité de défenderesse ;
Attendu que ces moyens doivent être rejetés ;
Sur le moyen qualifié d'irrecevabilité de l'assignation du 19 mars 1980, soulevé par les consorts K. et W. :
Attendu que ce moyen ne saurait être admis alors que les consorts K. et W. ont antérieurement conclu au fond sur cette instance dont ils ont sollicité la jonction avec celle qu'ils ont engagé le 9 avril 1980, jonction qui a été ordonnée par le Tribunal ;
Sur la présence dans l'instance du 19 mars 1980, de Maître Jean-Charles Rey :
Attendu que Maître Rey à rencontre de qui aucune demande n'a été formulée, doit être mis hors de cause, sans dépens ;
Au fond :
Attendu que faisant suite à une promesse unilatérale de vente portant sur deux immeubles dénommés Villa N. et Villa C., et consentie par les consorts K. et W. au profit de la S.C.I. . qui a levé l'option dont elle était bénéficiaire, un projet d'acte de vente a été établi entre les mêmes parties et notifié par acte d'huissier à l'ensemble des locataires des deux immeubles ; que cette notification qui vise l'article 40 de l'Ordonnance-Loi 669 concernant le droit de préemption du locataire, était assortie d'une protestation sur l'inapplicabilité de cet article à la vente projetée ;
Qu'à la suite de ces notifications, quatre locataires, les sieurs A., B., L. et G. ont chacun répondu dans le délai visé à l'article 40 qu'ils entendaient exercer le droit de préemption et donc acquérir les deux immeubles aux conditions prévues au projet de vente, G. émettant des réserves sur certaines des obligations contenues dans le projet de vente ;
Qu'il ressort du dossier des hoirs K. et W. que quatre autres locataires, les époux M., les époux G., A. B. et J. T. ont exercé un droit de préemption limité à l'appartement que chacun d'eux occupe et enfin dix locataires n'ont pas répondu à cette notification ;
Attendu que l'Ordonnance-Loi 669 dont l'application est demandée dans la présente instance par A., B., L. et G. est un texte d'exception qui, à ce titre, doit être interprété strictement ;
Attendu que cette Ordonnance-Loi a réglé la situation des locataires entrant dans l'une des catégories qu'elle vise, en assurant leur protection dans un certain nombre de cas et plus particulièrement, au regard du problème soumis au Tribunal dans deux hypothèses :
1° L'article 40 envisage la protection du locataire dont l'appartement est vendu par le propriétaire d'une manière isolée, le terme d'immeuble employé par cette disposition visant un bâtiment loué à un seul locataire ainsi que le démontre l'emploi du singulier dont il est fait usage dans cet article à propos du terme « le locataire » ; que dans cette situation spécifique, la loi reconnaît au locataire un droit personnel qui l'autorise à se substituer à l'acquéreur et qui ne peut porter préjudice au propriétaire puisque le prix qu'il a fixé pour cette vente lui sera payé par le locataire ;
2° Les articles 34 et suivants assurent la protection de l'ensemble des locataires occupant un immeuble que le propriétaire démolit pour reconstruire sous la forme d'un relogement soit à titre définitif, dans des locaux appartenant au propriétaire, soit à titre provisoire, ces locataires bénéficiant dans ce cas d'un droit de priorité leur permettant d'occuper un appartement dans l'immeuble construit ;
Attendu qu'au regard du cas actuellement soumis au Tribunal et qui est celui de la vente globale par le propriétaire de deux immeubles occupés par plusieurs locataires, cas non envisagé par le législateur de l'Ordonnance-Loi 669, il ne peut qu'être fait application des principes généraux du droit de propriété en vertu desquels un locataire ne bénéficie d'aucun droit, ni qualité juridique l'autorisant à se substituer à l'acquéreur, puisque les dispositions de l'article 40 de l'Ordonnance-Loi 669 ne confère de droit au locataire qu'en cas de vente limitée à l'appartement qu'il occupe et alors surtout qu'en l'espèce, ce droit de préemption porterait notamment sur un immeuble dans lequel n'est pas situé l'appartement occupé ;
Qu'il s'en suit que la procédure de signification faite sous réserve et les notifications en réponse des sieurs A., B., L. et G. sont dépourvues de toute portée juridique et sont sans effet à l'égard du projet d'acte de vente dont il a été fait mention ci-dessus ;
Attendu qu'il y a lieu de débouter A., B., L. et G. de leurs demandes ;
Attendu qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du présent jugement, l'urgence n'étant pas suffisamment caractérisée en l'espèce ;
Attendu que les dépens suivent la succombance ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal,
Statuant contradictoirement ;
Joint les instances n° 389/80 (assignation du 19 mars 1980), n° 377/80 (assignation du 9 avril 1980) et n° 272/81 (assignation du 29 janvier 1981) ;
Rejette les moyens de nullité et d'irrecevabilité invoqués par Y. A., A. B. et E. G. à l'encontre de l'assignation du 9 avril 1980 ;
Rejette les moyens d'irrecevabilité invoqués par les consorts K. et W. à l'encontre de l'assignation du 19 mars 1980 ;
Met Maître Jean-Charles Rey, notaire, hors de cause, sans dépens ;
Dit et juge que l'article 40 de l'Ordonnance-Loi n° 669 du 17 septembre 1959 est inapplicable à l'espèce ;
Déclare en conséquence de nul effet les notifications et significations faites par :
Y. A., les 20 et 29 février 1980, suivant exploits de Maître Boisson-Boissière, huissier,
A. B., le 20 février 1980, suivant exploit de Maître Boisson-Boissière, huissier,
J.-Y. L., le 26 février 1980 suivant lettre recommandée avec accusé de réception,
E. G., le 27 février 1980 suivant lettre recommandée avec accusé de réception ;
Déboute en conséquence ces parties de leurs demandes, fins et conclusions ;
Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement ;
Composition
MM. J.-Ph. Huertas, prés. ; J.F. Landwerlin, vice-prés. ; V. Garrabos, subst. proc. gén. ; Mes Lorenzi, Clerissi, Boeri et Sanita, av. déf. ; Boisson, av.
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