Abstract
Legs universels
Disposition « in solidum » au profit des deux légataires universels - Décès d'un légataire avant le testament - Caducité du legs fait au légataire pré-décédé - Universalité des biens légués revenant au légataire survivant
Résumé
Un legs universel fait « in solidum » au profit de deux personnes confère à chacune d'elles l'aptitude à recueillir l'hérédité toute entière, sans qu'il y ait lieu de faire application de l'article 899 du Code civil qui ne concerne que les dispositions testamentaires faites conjointement avec assignation de parts dans un legs particulier ou dans un legs d'une quotité ou d'une espèce de biens.
Motifs
LE TRIBUNAL,
Attendu que C. P. M., veuf de A. C. J., est décédé le 8 juin 1978 à Roquebrune-Cap-Martin, laissant un testament olographe daté du 10 juillet 1962 qui dispose :
« J'institue pour ma légataire générale et universelle mon épouse, Madame A. C. J. demeurant avec moi. En conséquence, je lui lègue, en pleine propriété tous mes biens meubles et immeubles droits mobiliers et immobiliers qui composeront ma succession, au jour de mon décès. Au cas où ma femme susnommée venait à décéder avant moi, je lègue tous mes biens meubles immeubles, droit mobiliers et immobiliers en pleine propriété et par parts égales entre eux à :
1° Monsieur H. E. (...)
2° Monsieur H. F. (...) ».
Attendu toutefois qu'H. E. était antérieurement décédé le 25 juin 1977 ;
Qu'H. F. s'estime, dès lors, l'unique légataire universel de C. M. ;
Qu'à ce titre, il a, le 5 mars 1981, assigné les successibles de C. M. - dont les noms se trouvent rapportés dans un acte de notoriété en date du 21 novembre 1979 dressé par Maître Crovetto, notaire à Monaco et ultérieurement rectifié par acte du même notaire daté des 26 et 27 août 1980 - soit dans la ligne paternelle : J. M., J.-B. M., C. C., P. M., S. M., C. B. et C. B., et, dans la ligne maternelle : R. B. et P. M. ;
Que, par cette assignation, selon les termes qu'elle comporte, il entendait faire juger qu'il y avait lieu à accroissement de sa part dans la succession de C. M. en vertu de l'article 899 du Code civil, compte tenu de la caducité des dispositions testamentaires faites en faveur de H. E. décédé avant le testateur, et ce, par application de l'article 894 dudit Code ;
Attendu qu'ayant seule fait défaut sur cette assignation, P. M. a, en exécution d'un jugement du Tribunal, fondé sur l'article 214 du Code de procédure civile et rendu à la demande de H. F., été, une nouvelle fois, assignée aux fins qui viennent d'être rapportées, ce, par l'exploit susvisé en date du 17 juillet 1981 et pour l'audience du 8 octobre 1981, date à laquelle les autres parties dûment appelées ont à nouveau comparu pour défendre à l'action précédemment introduite ;
Que sur cette réassignation, il s'est cependant avéré que P. M. était décédée ;
Que N. J., nommée, par jugement du Tribunal en date du 1er décembre 1981, administrateur provisoire « ad hoc » de la succession de P. M., à l'effet de représenter cette succession dans la présente instance est, sur ce, intervenue en cette qualité aux débats, déclarant par conclusions en date du 6 mai 1982 se rapporter à justice quant au présent jugement ;
Qu'il s'ensuit que celui-ci est contradictoire tant à l'égard de la succession de P. M. qu'à l'égard des autres parties à l'instance ;
Attendu qu'en cet état de la procédure - et après avoir invoqué l'incompétence du Tribunal en se fondant sur le lieu du décès de C. M., exception qui doit toutefois être rejetée au regard de ce que la succession dont s'agit s'est ouverte à Monaco, lieu non contesté de domicile du défunt - les parties défenderesses, hormis N. J., ont conclu que la prétention de H. F. à la part de son co-légataire E. était inadmissible sur la base des articles 899 et 900 du Code civil monégasque (analogues aux articles 1044 et 1045 du Code civil français) lesquels interdiraient l'accroissement lorsque le legs n'aurait pas été fait conjointement, ce qui serait le cas du testament de C. M. ;
Que pour conforter cette thèse, elles invoquent une jurisprudence française qui serait constante, de laquelle il résulterait que lorsque deux légataires universels ont été institués à raison de moitié chacun, si l'un d'eux décède avant le testateur, il devrait être décidé, en se fondant sur la volonté présumée du testateur, que le legs fait au légataire pré-décédé est devenu caduc, et que la moitié formant l'émolument de ce legs doit être dévolue conformément aux règles applicables aux successions ;
Que tel serait bien le cas en l'espèce, ont affirmé ces mêmes parties, puisque dans le testament dont s'agit les biens du défunt y apparaissent avoir été légués à E. et à F. par parts égales entre eux ;
Qu'elles estiment, en définitive, pour cet ensemble de raisons, que ce dernier légataire doit être débouté de sa demande ;
Sur quoi,
Attendu, selon l'article 860 du Code civil, que le legs universel est la disposition testamentaire par laquelle le testateur donne à une ou plusieurs personnes l'universalité des biens qu'il laissera à son décès ;
Attendu qu'en l'espèce, les dispositions testamentaires ci-dessus rapportées, par la généralité de leurs termes, décrivant de manière identique l'universalité de biens légués à l'épouse du défunt ou, en cas de pré-décès de celle-ci, à E. et F., traduisent sans équivoque la volonté du testateur de faire, en ce même cas, bénéficier des deux derniers légataires d'un legs universel ;
Attendu qu'une telle disposition faite « in solidum » au profit de deux personnes, comme le permet l'article 860 précité, confère à chacune d'elles l'aptitude à recueillir l'hérédité toute entière, nonobstant l'assignation de parts portée dans le testament dont s'agit par une clause accessoire qui n'apparaît pas changer la nature de l'institution opérée, laquelle présente tous les caractères du legs universel tel que l'a défini le législateur ;
Qu'il n'y a pas lieu, dès lors, d'opposer aux conséquences successorales nécessaires qu'implique une telle institution l'article 899 du Code civil qui ne s'applique qu'aux dispositions testamentaires faites conjointement avec assignation de parts dans un legs particulier ou dans un legs d'une quotité ou d'une espèce de biens, dispositions que C. M., toutefois, n'apparaît pas, au regard de ce qui précède, avoir adoptées dans son testament ;
Qu'il suit de là, qu'en l'état de caducité non contestée du legs consenti à H. E., le demandeur se trouve fondé en son action ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Statuant contradictoirement à l'égard de toutes les parties ;
Déclare H. F. légataire universel de la succession de C. M. ;
Composition
MM. J.-Ph. Huertas, prés. ; J. F. Landwerlin, vice-prés. ; V. Garrabos, subst. proc. gén. ; MMe Boisson et Sbarrato, av.
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