Abstract
Responsabilité administrative : Etablissement public
Loi n° 983 du 26 mai 1976 - Décès d'un malade consécutif à un incendie - Faute de service - Droit à réparation des ayants-droit
Résumé
Constitue une faute de service de nature à engager sa responsabilité, le fait pour un Centre Hospitalier, de n'avoir pas tenu compte du danger spécifique présenté par l'ensemble des circonstances ayant précédé le décès d'un malade des suites de ses brûlures, lequel, en dépit de son état physique fortement déficient dont la gravité ne pouvait qu'être appelée à s'accroître nécessairement, a été à même de fumer de manière habituelle, en demeurant matériellement en possession d'un briquet et de cigarettes, ce, sans surveillance particulière, bien que des gestes physiques élémentaires de ses mains lui étaient difficiles, voire même impossibles, qu'il subissait des pertes d'équilibre fréquentes, constatées la veille de son décès, et que ses vêtements pouvaient être inflammables ainsi que cela a été le cas lorsqu'il a pris feu, et alors qu'une meilleure organisation des moyens suffisants mis à sa disposition pour l'élaboration et la mise en œuvre des mesures générales de sécurité devant être prises dans l'établissement aurait permis d'éviter l'incendie.
Motifs
LE TRIBUNAL,
Attendu que, par l'exploit susvisé, J. D. qui avait, le 2 août 1965 épousé J.-P. B., dont elle a eu deux enfants (E., né le 13 mai 1966, et J., né le 19 août 1973), mais dont elle a divorcé le 12 février 1976, a fait assigner en responsabilité le Centre Hospitalier Princesse Grace à la suite du décès accidentel de son ancien mari, avec lequel elle avait repris la vie commune pour le soigner d'une grave maladie - qui est survenu dans cet établissement le 29 octobre 1981 ;
Attendu qu'elle demande que le Centre Hospitalier Princesse Grace soit déclaré civilement responsable des conséquences des fautes commises par ses préposés, qui auraient causé le décès dont s'agit, et, de ce fait, condamné à lui verser 15 000 francs en réparation de son préjudice moral ; qu'elle lui réclame par ailleurs les sommes de 83 000 et 230 000 francs respectivement destinées à ses enfants mineurs E. et J., qu'elle représente, pour réparer les dommages qu'ils auraient éprouvé par suite du décès de leur père, tant moral que matériel en raison en particulier de la perte des subsides auxquels ils auraient pu prétendre de la part de ce dernier, s'il était demeuré en vie, et qui auraient été fixés, antérieurement à son décès, à la somme mensuelle de 500 francs pour chacun ;
Attendu qu'en défense le Centre Hospitalier Princesse Grace conclut au débouté de la demanderesse des fins de son assignation et fait valoir à cet effet, en contestant que sa responsabilité puisse être recherchée du fait de ses préposés, qu'un doute subsisterait quant aux circonstances du décès de J.-P. B. et qu'aucune faute de surveillance reliée de manière certaine audit décès ne pourrait être imputée à son personnel ;
Qu'en outre, à titre superfétatoire, il relève que la demanderesse n'aurait pas subi de préjudice présentement réparable, en raison de son divorce antérieur et, par ailleurs, que la maladie de J.-P. B. aurait nécessairement limité le montant des pensions alimentaires virtuelles, présentement réclamées, que celui-ci aurait pu verser à ses enfants, du fait de la faible et courte capacité de travail qui serait résultée pour lui de ladite maladie dont l'évolution aurait été rapide et irréversible dans le sens de l'aggravation ;
Sur quoi,
Quant à la responsabilité :
Attendu, qu'il est constant au vu des procès-verbaux d'un dossier d'enquête régulièrement versé aux débats, auquel les parties ont convenu de se référer à titre d'élément de preuve, que dans le courant du mois de février 1980 J.-P. B. a subi à Montpellier l'ablation d'une tumeur de son cerveau ; qu'étant depuis lors frappé d'une paralysie partielle qui l'empêchait de se déplacer et de parler ou voir sans difficulté, il a été hospitalisé successivement à Nice durant le mois de juin 1980 et au Centre Hospitalier Princesse Grace le mois suivant ; qu'il a passé le mois d'août en compagnie de son ancienne épouse, J. D., et au domicile de celle-ci, puis les 15 premiers jours de septembre au Centre Hélio Marin de Vallauris d'où il a été transporté, dans un état comateux, d'abord à l'Hôpital de Cannes et, de nouveau, au Centre Hospitalier Princesse Grace où son coma a cessé, qu'il n'a, depuis, quitté ce dernier établissement que durant la journée du 20 octobre 1980 qu'il a passée jusqu'à 18 heures avec son ancienne femme ; qu'à cette date celle-ci l'a trouvé diminué, selon ses propres termes, constatant qu'il avait peine à demeurer assis et qu'il tombait souvent en avant ;
Que le lendemain 29 octobre vers 14 heures 40, il est décédé au service des urgences du Centre Hospitalier Princesse Grace, où il venait d'être transporté atteint de brûlures, après qu'un incendie eut pris naissance entre 13 heures 10 et 13 heures 25 sur sa personne et dans le lit qu'il occupait à la chambre n° 508 dudit établissement, dans laquelle il se trouvait alors seul ;
Qu'étant dans ce lit vêtu d'un « tee-shirt » en acrylique, il avait vers 13 heures 05 commencé à fumer une cigarette qu'il avait demandé à une élève infirmière de lui allumer en raison des difficultés physiques qu'il éprouvait alors pour accomplir ce geste ;
Que celle-ci, nommée M. S., accompagnée de G. T., aide soignant, s'étant en effet rendue vers 13 heures dans la chambre de B., a avancé à proximité du lit de celui-ci une table blanche sur laquelle elle a posé un paquet de cigarettes appartenant à ce malade qui avait reçu l'autorisation de fumer, ainsi qu'un couvercle de boite, servant de cendrier, et contenant plusieurs mégots ;
Qu'avant de quitter la chambre vers 13 heures 05, comme B. ne parvenait pas à prendre une cigarette dans le paquet elle l'a aidé en en prélevant une et en l'allumant au moyen d'un briquet se trouvant dans le tiroir d'un meuble jouxtant le lit ;
Que vers 13 heures 10, T. V., aide-soignante au Centre Hospitalier Princesse Grace, en pénétrant dans la chambre de B. a constaté pour sa part que ce malade se tenait, assis sur son lit, une cigarette entre ses doigts et qu'il fumait ; que moins d'un quart d'heure après, le feu se déclarait dans la chambre de B. ; que parvenue sur ce, la première dans ladite chambre, qui était alors envahie par une épaisse fumée, T. V. a vu B. qui agitait ses bras en flammes, et a demandé de l'aide et des extincteurs ;
Qu'au même moment, G. T., ayant à son tour pénétré dans la chambre de B. a vu que celui-ci brûlait en sa partie droite surtout au niveau de l'aisselle, en dépit de ce qu'il était recouvert d'une poussière blanche provenant des extincteurs ayant alors été utilisés ; que transporté d'abord dans une salle de bains voisine de sa chambre où il a été aspergé d'eau, B. a été immédiatement conduit au service des urgences ; qu'il y est alors décédé des suites de ses brûlures localisées principalement sur la partie droite de son visage et sur le côté droit de son thorax la zone située entre ses épaules et son coude droit ayant été entièrement calcinée et laissant apparaître, en de nombreux endroits, des surfaces de chair jaunie ;
Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces circonstances qu'en dépit de son état physique fortement déficient, dont la gravité ne pouvait qu'être appelée à s'accroître incessamment, B. qui se trouvait hébergé depuis plusieurs semaines par le Centre Hospitalier Princesse Grace, lequel outre qu'il le soumettait à des actes médicaux, lui prodiguait des soins par l'intermédiaire d'un personnel abondant, a été à même de fumer de manière habituelle, en demeurant matériellement en possession d'un briquet et de cigarettes, ce, sans surveillance particulière alors que des gestes physiques élémentaires de ses mains lui étaient difficiles, voire même impossibles, qu'il subissait des pertes de l'équilibre fréquentes, constatées la veille de son décès par son épouse, et que ses vêtements pouvaient être inflammables ainsi que cela a été le cas lorsqu'il a pris feu ;
Attendu que l'incendie dont il a dès lors été victime révèle, par les conditions dans lesquelles il a pris naissance, ci-dessus relatées, que le Centre Hospitalier Princesse Grace n'a pas prévenu un tel sinistre faute d'avoir tenu compte du danger spécifique présenté par la conjonction des divers faits objectifs de péril qui viennent d'être relevés mais qu'une meilleure organisation des moyens suffisants mis à sa disposition pour l'élaboration et la mise en œuvre des mesures générales de sécurité devant être prises dans l'établissement aurait permis d'éviter ;
Attendu que ce faisant le Centre Hospitalier Princesse Grace a commis une faute de service ayant été à l'origine du décès de B., indépendamment de celles ayant pu être par ailleurs le fait de ses agents et dont l'examen ne s'impose nullement puisque leur caractère personnel au sens de la loi n° 983 du 26 mai 1976 n'a pas été opposé au Centre Hospitalier Princesse Grace, seul attrait aux débats, et que, dès lors, en tant que ces fautes relèveraient implicitement mais nécessairement de l'accomplissement du service public elles seraient de même nature que celle qui est ici imputée audit établissement en sorte que le Tribunal ne pourrait, à les supposer caractérisées, que les examiner de manière surabondante ;
Et attendu qu'une telle faute de service est de nature à engager la responsabilité du Centre Hospitalier Princesse Grace constituée Établissement public par la loi n° 127 du 15 juin 1930 ; qu'il y a lieu par suite de déclarer ledit établissement tenu d'en réparer les conséquences qui en sont résultées pour J. D. et ses enfants, à raison du décès de B. ;
Quant à la réparation :
Attendu que ces derniers sont fondés à réclamer du fait de la perte des secours pécuniaires que leur père vivant aurait pu leur procurer une indemnité que le Tribunal estime devoir fixer pour chacun à la somme de 12 000 francs sur la base des éléments d'appréciation suffisants dont il dispose à cet égard, et en particulier de ce que B. était ainsi qu'il est constant, atteint d'une grave maladie ;
Attendu par ailleurs que le préjudice moral que ces mêmes enfants invoquent et que n'a pu manquer de leur occasionner le décès de leur père, auquel ils se trouvaient unis par des relations régulières en dépit de son divorce, peut être évalué à la somme de 20 000 francs pour chacun compte tenu de la perte d'affection éprouvée ;
Attendu enfin qu'en raison des sentiments particuliers qu'elle avait conservés envers son ancien mari, s'étant traduits notamment par les soins qu'elle lui a apportés en dernier lieu avec une attention matérielle et morale suivie, J. D. apparaît recevable et fondée à solliciter comme elle le fait une réparation de la douleur affective qu'elle a ressentie de manière certaine du fait de la disparition de B. ;
Que le Tribunal, sur la base notamment de la communauté de vie ayant durablement uni J. D. à son ancien mari, estime devoir chiffrer le montant du dommage ainsi éprouvé à la somme de 10 000 francs ;
Et attendu que le Centre Hospitalier Princesse Grace qui succombe doit supporter les dépens ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
LE TRIBUNAL,
Statuant contradictoirement ;
Déclare le Centre Hospitalier Princesse Grace responsable du décès de J.-P. B. ;
Le condamne à payer à J. D. la somme de 10 000 francs pour elle-même et celle de 32 000 francs pour chacun de ses deux enfants E. et J., soit au total pour elle-même et pour ceux-ci, la somme de soixante-quatorze mille francs (74 000 francs) montant des causes sus énoncées ;
Composition
MM. J.F. Londwerlin, vice-prés. ; V. Garrabos, subst. proc. gén. ; MMe Marquilly et Marquet, av. déf. ; Sbarrato, av.
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