Abstract
Saisie-arrêt
Saisie-arrêt formée en Principauté - Déclaration affirmative - Compétence des tribunaux monégasques pour connaître de l'instance au fond et en validité (article 3 - 9° du Code de procédure civile)
Résumé
Il résulte de la combinaison des articles 3 et 491 du Code de procédure civile, que le Tribunal civil de Monaco a compétence pour statuer sur les demandes en validité de saisie-arrêts formées dans la Principauté, ainsi que sur l'assignation au tiers en déclaration affirmative, sans qu'il y ait lieu d'opérer une distinction entre la mesure conservatoire et l'action au fond.
Motifs
LE TRIBUNAL,
Attendu que les faits de la cause, la procédure et les moyens des parties, peuvent être ainsi rapportés :
I. - Par acte sous seings privés daté du 26 octobre 1981 et dénommé « Contrat préliminaire à la vente en l'état futur d'achèvement » la S.C.I. Cap Martin Kairo s'est proposé de vendre à T. M. des locaux dépendant d'un immeuble à construire sis à Roquebrune-Cap-Martin (Alpes-Maritimes) pour le prix, T.V.A. incluse, de 1 860 000 francs et a fait bénéficier le futur acquéreur de la réservation des parties d'immeuble concernées en contrepartie de laquelle T. M. a versé à la S.C.I., à titre de dépôt de garantie, une somme de 93 000 francs déposée dans un compte spécialement ouvert à la Banque de Paris et des Pays-Bas ;
Bien que le contrat ait prévu que « la signature de l'acte de vente interviendra à partir du 1er janvier 1982 et au plus tard le 31 mars 1982 en l'étude du notaire de la S.C.I. » l'acte authentique n'a pas été passé dans le délai ;
Estimant que l'obligation impartie à la S.C.I. n'avait pas été respectée, T. M. a notifié par acte extra judiciaire en date du 6 mai 1982 à la S.C.I. Cap Martin Kairo qu'elle considérait comme nul et non avenu le contrat de réservation et a fait sommation à cette société d'avoir à lui restituer le montant du dépôt de garantie, par elle évalué à 100 000 francs (93 000 + 7 000) ; cette sommation est restée sans effet, comme celle d'ailleurs signifiée à la Banque de Paris et des Pays-Bas le 14 mai suivant ;
T. M. a alors été autorisée sur sa requête par le Président du Tribunal de première instance à faire procéder à une saisie-arrêt sur le compte spécial « dépôt de garantie » ouvert à la B.P.P.B. à concurrence de la somme de 100 000 francs, selon ordonnance du 27 mai 1982 ; elle a ensuite, par un même exploit de saisie-arrêt et assignation en date du 4 juin 1982, fait assigner la banque et la S.C.I. pour, quant à la banque faire la déclaration affirmative prévue par la loi, et quant à la S.C.I. Cap Martin Kairo voir déclarer régulière la saisie-arrêt pratiquée et obtenir condamnation de cette société à lui payer le montant des causes de la saisie jusqu'à concurrence de sa créance en principal, intérêts et frais ;
II. - La Banque de Paris et des Pays-Bas, tout en admettant que jusqu'à la signature de l'acte de vente, le dépôt de garantie dont elle est séquestre demeure la propriété du réservataire, prétend n'être pas tenue de faire sa déclaration en soutenant avoir la seule qualité de tiers et non de tiers-saisi ; elle estime toutefois dans le dispositif de ses écritures, qui seul est de nature à lier le Tribunal qu' « en l'état, la somme de 100 000 francs dont elle est séquestre peut être frappée par la saisie-arrêt » ;
La S.C.I. pour sa part soutient que si le Tribunal de Monaco est compétent pour connaître de la validité de la saisie eu égard au domicile du tiers saisi, cette juridiction est incompétente pour connaître de l'action en paiement aux motifs qu'elle a son domicile en France où, en outre, il a été fait élection de domicile dans le contrat liant les parties ; elle conclut en conséquence pour ce qui concerne l'action au fond, à la compétence du Tribunal de Grande Instance de Marseille ;
Subsidiairement, la S.C.I. relève que l'obligation de signer l'acte de vente incombait aux deux parties et qu'en tout état de cause il appartenait à la demanderesse de la mettre en demeure de satisfaire à cette obligation ; elle prétend que T. M. a rompu unilatéralement la convention et s'estime fondée à demander, conformément aux clauses et conditions de l'acte, sa condamnation à lui payer la somme déposée ;
En réponse la demanderesse conclut au rejet de l'exception d'incompétence et maintient ses demandes initiales en y ajoutant une demande de dommages-intérêts évalués à 15 000 francs en raison du préjudice subi par elle du fait de la rétention abusive des sommes déposées outre les intérêts au taux légal calculés sur la somme de 100 000 francs à compter du 6 mai 1982 ;
Sur quoi,
III. - Attendu, sur la compétence qu'aux termes de l'article 3 du Code de procédure civile, les Tribunaux de la Principauté connaissent, quel que soit le domicile du défendeur, des demandes en validité de saisie-arrêts formées dans la Principauté ;
Que par ailleurs, l'article 491 du même Code prescrit de former la saisie-arrêt par un seul exploit, contenant en particulier assignation pour le même jour au tiers en déclaration de ce qu'il doit ou détient et au débiteur en validité de la saisie ;
Attendu que la combinaison de ces textes doit conduire à retenir la compétence du Tribunal de céans sans qu'il y ait lieu d'opérer une distinction - que la loi méconnaît au demeurant - entre la mesure conservatoire, qui pourrait seule être appréciée par les Tribunaux monégasques, et l'action au fond, laquelle ressortirait à la compétence de juridictions étrangères, l'assignation unique, imposée par l'article 491 susvisé, appelant au contraire une décision émanant d'une seule et même juridiction ; que par ailleurs l'élection de domicile prévue au contrat ne saurait aucunement être assimilée à une clause d'attribution de compétence ;
Qu'il suit de là que l'exception d'incompétence doit être rejetée ;
IV. - Attendu, au fond, qu'il est constant que les parties ont entendu faire régir la convention qui les lie par la loi française dès lors que le contrat fait expressément référence aux dispositions de la loi n° 67-3 du 3 janvier 1967 et aux textes d'application de cette loi dans lesquels il s'inscrit ;
Attendu que l'article 34 du décret n° 67-1166 du 22 décembre 1967 portant application de la loi française n° 67-3 susvisée met à la charge du réservant, la S.C.I. Cap Martin Kairo l'obligation de notifier au réservataire, T. M., le projet d'acte de vente un mois au moins avant la date de la signature de cet acte, dont il doit être rappelé qu'elle devait conventionnellement intervenir au plus tard le 31 mars 1982 ; qu'il s'évince des éléments du dossier, ce que la S.C.I. ne conteste pas, que cette obligation au demeurant reprise dans le contrat au § IV, n'a pas été exécutée par elle en sorte que le contrat de vente n'a pu être conclu, du fait du vendeur, dans le délai prévu ;
Qu'il importe peu à cet égard que ce dernier n'ait pas été mis en demeure d'avoir à notifier le projet d'acte en précisant la date de sa signature dès lors qu'un terme, fixé impérativement au 31 mars 1982, a été conventionnellement convenu ;
Attendu en conséquence que par application de l'article 35 du décret susvisé le dépôt de garantie doit être restitué sans retenue ni pénalité au réservataire ;
Qu'en ce qui concerne le montant du dépôt, il convient d'observer que la S.C.I. ne conteste pas sérieusement, en dépit des énonciations du contrat, avoir reçu deux chèques pour une somme totale de 100 000 francs que la Banque de Paris et des Pays-Bas admet par ailleurs détenir comme séquestre ; qu'il y a lieu dès lors de condamner la S.C.I. à la restitution de ce montant de 100 000 francs et de la débouter de sa demande reconventionnelle formulée à titre subsidiaire ;
V. - Attendu, sur les dommages-intérêts, que si la demanderesse se trouvait fondée à demander la restitution comme elle l'a fait par exploit d'huissier en date du 6 mai 1982, le remboursement pouvait intervenir, aux termes de l'article 35 précité, dans un délai maximum de 3 mois ; qu'au regard de ces éléments d'appréciation, le Tribunal estime devoir allouer en contrepartie du préjudice né de la rétention de la somme litigieuse, la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts que la S.C.I. du Cap Martin Kairo doit, en conséquence être condamnée à payer à la demanderesse ; qu'il n'y a cependant pas lieu de la condamner au paiement des intérêts au taux légal, l'allocation de dommages-intérêts ayant pour effet de réparer ce chef de préjudice ;
VI. - Attendu, quant à la saisie-arrêt, que la procédure suivie apparaît satisfaire aux prescriptions légales applicables ; qu'elle doit, à ce titre, être déclarée régulière pour le montant de 100 000 francs détenu pour le compte de la demanderesse par la Banque, la circonstance suivant laquelle cette somme serait demeurée la propriété de T. M. étant sans effet dans la présente instance dès lors que la saisie a précisément pour objet d'emporter attribution à son profit de la somme saisie-arrêtée ;
VII. - Attendu que les dépens suivent la succombance ;
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
Le Tribunal,
Statuant contradictoirement ;
Rejetant l'exception d'incompétence soulevée ;
Se déclare compétent pour connaître du présent litige ;
Au fond,
Condamne la S.C.I. dénommée Cap Martin Kairo à verser à T. M. la somme de 100 000 francs, montant des causes sus énoncées, et celle de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts ;
Déclare régulière et valide comme telle la saisie-arrêt pratiquée selon exploit de Maître Escaut-Marquet, huissier, en date du 4 juin 1982 pour le montant précité de 100 000 francs ;
Dit que la Banque de Paris et des Pays-Bas se libérera valablement par le versement qu'elle opérera entre les mains de T. M. de la somme de 100 000 francs déposée dans le compte spécial ouvert dans ses livres au nom de la S.C.I. Cap Martin Kairo sous la rubrique « Madame M. » ;
Déboute la S.C.I. Cap Martin Kairo de sa demande reconventionnelle formulée à titre subsidiaire ;
Composition
MM. J.-Ph. Huertas, prés. ; J.F. Landwerlin, vice prés. ; V. Garrabos, subst. proc. gén. ; MMe Sanita et Marquet, av. déf. ; Bonello (du barreau de Nice), av.
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